Ce jeudi 30 juin restera gravé comme un jour noir pour l’action climatique. La Cour suprême américaine dans sa dernière décision bloque toutes les décisions fédérales et gouvernementales en matière de climat. Triomphe des lobbies pro-pétrole et des ultraconservateurs téléguidés par Donald Trump, la décision de la plus haute instance juridique américaine est non seulement un déni climatique mais aussi un déni démocratique. C’est aussi un crime contre les générations futures car cette décision ouvre les vannes à encore plus de gaz à effet de serre, encore plus de dévastation climatique, à un moment où l’ensemble de la communauté scientifique s’épuise à alerter sur les risques que l’humanité est en train de prendre.
Les six juges ultraconservateurs — dont trois nommés in extremis par l’ancien président Trump — l’ont emporté sur les trois juges démocrates. Ils se sont prononcés en faveur des États producteurs de combustibles fossiles contre l’Agence de protection de l’environnement (EPA). Cette décision prive les agences de régulation de leur pouvoir, d’une part, et d’autre part fait avancer l’objectif républicain de mettre fin à toute surveillance gouvernementale en matière de climat. En conséquence, il est sans doute désormais mathématiquement impossible, par les moyens disponibles, que les États-Unis atteignent leur objectif de réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 comme les y invite l’Accord de Paris.
La Cour a rendu son verdict sur un litige opposant l’Etat de Virginie-Occidentale à l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA). En substance, cette décision revient à interdire à cette administration essentielle d’imposer des limitations aux émissions de dioxyde de carbone des centrales électriques qui, à elles seules, représentent le tiers des émanations américaines de gaz à effet de serre. De fait, cet arrêt de la Cour suprême est une camisole de force posée sur le pouvoir de l’Etat fédéral le privant d’imposer à l’avenir la moindre réglementation climatique ou environnementale.
Les trois juges démocrates ont tout tenté pour empêcher cette décision, en vain. Elena Kragan est l’une de ces juges progressistes ; elle regrette amèrement que « la Cour retire à l’Agence de protection de l’Environnement le pouvoir que le Congrès lui a donné pour répondre au défi environnemental le plus urgent de notre temps ». Elle fustige violemment le déni climatique des autres membres conservateurs de cette juridiction : « Quoi que cette Cour sache par ailleurs, elle n’a pas la moindre idée de comment répondre au changement climatique. Et pourtant […], la Cour se désigne elle-même – à la place du Congrès ou de l’agence spécialisée – comme le décideur sur la politique climatique. Je ne vois pas grand-chose qui soit plus effrayant que cela. »
L’importance de cette décision juridique est considérable, d’autant que l’Etat de Virginie occidentale n’est que la partie émergée de l’iceberg. En réalité, derrière cet Etat, haut fief charbonnier américain, se profilent pas moins de dix-sept autres États, comme le Texas ou le Wyoming, viscéralement attachés à l’extraction des énergies fossiles. Des États tous républicains qui s’acharnent à combattre par tous les moyens toute nouvelle législation, réglementation ou simple régulation sur leurs mines et zones de forages pétroliers. Ce sont eux qui produisent le plus de gaz à effet se serre, mais ce sont eux aussi qui sont les plus actifs pour défendre leur business écocide. Ils ont armé depuis des années des bataillons d’avocats et sont soutenus, aidés, armés et financés par les principales associations de pétroliers américains et de groupes financiers des énergies fossiles. A leur tête, on retrouve la richissime fondation Americans For Prosperity, dirigée par la famille Koch qui a fait sa fortune dans les industries pétrochimiques. Une armée d’influence qui croit dur comme fer, comme Donald Trump et plus d’un quart des membres du Congrès, que le réchauffement climatique est un canular inventé par les Chinois pour nuire à la puissance industrielle américaine.
Conflit d’intérêts, lobbying, corruption… quel que soit le nom que l’on donne à cette situation, cela revient à ce que les déjà très riches s’enrichissent encore plus, à un coût énorme pour l’humanité et le reste de la vie sur Terre, et cela s’étend jusqu’aux juges eux-mêmes. L’arrêt de la Cour jette un éclairage intense sur cette intersection d’un système social conçu pour concentrer les richesses comme une singularité gravitationnelle (le « capitalisme ») et du pouvoir des combustibles fossiles. Le milliardaire Charles Koch, qui dirige la plus grande société privée de combustibles fossiles au monde, n’a pas seulement poussé directement à cette décision, il a fait campagne pour installer les trois nouveaux juges républicains. Rupert Murdoch a passé des décennies à créer un empire médiatique mondial de négation du climat, dont Fox News fait partie. Et les dirigeants du secteur des combustibles fossiles se sont concertés pendant des décennies pour empêcher toute action en faveur du climat, en toute connaissance des conséquences.
Alors que la capacité de la Terre à soutenir la vie continue de se dégrader, des millions, voire des milliards de personnes seront déplacées et mourront, l’autoritarisme se développera, les guerres climatiques s’intensifieront et l’État de droit s’effondrera. Le mythe de l’exceptionnalisme américain sera un bien maigre bouclier contre la chaleur mortelle et la famine climatique. Les États-Unis démontrent avec cette décision, tout comme celle concernant l’interdiction de l’avortement prise il y a seulement quelques jours, qu’ils vivent sous l’emprise d’une poignée de personnes, superstitieux maniaques en robe de magistrats, déterminés à faire reculer des libertés fondamentales et à rejeter les faits scientifiques les plus établis.
En ce jour d’Independance Day, il est manifeste que la démocratie américaine n’est plus que la flamme d’une maigre chandelle. Le danger de l’apparition d’anciens démons ne guette pas seulement les Américains mais l’ensemble du monde. Car la planète ne connaît pas les frontières, les dogmes et les idéologies. L’urgence climatique nous met en danger, le retour des archaïsmes et des superstitions nous menace d’autant plus. Si la démocratie défaille que restera-t-il ? La désobéissance, la révolte, le soulèvement ?
Le dernier paragraphe est essentiel. Merci!