Ce devait être la dernière session, après dix jours de négociations à l’ONU et quinze ans de discussions formelles. La signature d’un texte contraignant visant à protéger l’océan et plus précisément la haute mer, cette vaste zone qui couvre près de la moitié de la planète, était à deux doigts d’aboutir. Mais ce vendredi 26 août, à la dernière minute, tout s’est effondré. La cinquantaine de pays membres de la « Coalition pour une haute ambition » de cet accord, emmenés par l’Union européenne, n’ont pu s’entendre et ont remis sine die leurs discussions. Les ONG tout comme les pays du Sud sont désemparés. La haute mer, si fragile et si importante dans ces temps de dérèglements de la planète, restera une zone de non-droit, ouverte aux appétits des plus avides des nations.
Les discussions à l’ONU avaient en ligne de mire la signature d’un traité visant spécifiquement la haute mer qui commence où s’arrêtent les zones économiques exclusives (ZEE) des États, à maximum 200 milles nautiques (370 km) des côtes, et qui n’est donc sous la juridiction d’aucun pays. Alors que la bonne santé des écosystèmes marins est cruciale pour l’avenir de l’humanité, notamment pour limiter le réchauffement de la planète, seulement 1% de cet espace océanique est protégé.
Zone de non-droit
“La haute mer est aujourd’hui une zone de non-droit qui attire les convoitises de toutes sortes. Un retard supplémentaire signifie la destruction des océans, et met en péril les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire de milliards de personnes dans le monde”, rappelle François Chartier, chargé de campagne océans pour Greenpeace France. Le temps presse. Un traité mondial sur les océans doit être adopté sans délai cette année pour créer des aires marines protégées capables de protéger 30% des océans du monde d’ici à 2030, comme l’exige la communauté scientifique. “Cela signifie que 11 millions de kilomètres carrés d’océan doivent être protégés chaque année d’ici à 2030, un défi indispensable”, ajoute François Chartier.
Mais au siège de l’ONU à New-York, les délégations se sont opposées farouchement sur le processus de création de ces aires, ainsi que sur les modalités d’application de l’obligation d’études d’impact environnementales avant une nouvelle activité en haute mer. Certains groupes, comme les îles du Pacifique et le groupe des Caraïbes, ont fait tout leur possible pour que le traité franchisse la ligne d’arrivée, mais les pays du Nord n’ont commencé à se mobiliser en faveur de compromis que dans les derniers jours des négociations, après que le risque d’un échec des négociations a été rendu public. La Russie a également été un obstacle majeur aux négociations, refusant de s’engager dans le processus du traité lui-même ou tentant de faire des compromis bilatéraux avec l’Union européenne et de nombreux autres États sur un large éventail de questions.
Questions de gros sous
Plusieurs points ont échoppé pendant les négociations, mais le plus litigieux concernait la répartition des possibles bénéfices issus de l’exploitation des ressources génétiques de la haute mer, où industries pharmaceutiques, chimiques et cosmétiques espèrent découvrir des molécules miraculeuses. Semblant aller dans le sens des pays en développement qui craignent de passer à côté de retombées potentielles faute de pouvoir conduire ces recherches coûteuses, le projet de texte publié il y a quelques jours mettait sur la table la redistribution de 2% – et à terme jusqu’à 8 % – des futures ventes de produits issus de ces ressources qui n’appartiennent à personne.
Des accusations de bonne volonté de façade, rejetées par l’UE. « Nous sommes prêts à contribuer à l’accord (…) à travers diverses sources de financement, (accord) qui de notre point de vue doit inclure un partage juste des bénéfices des ressources marines génétiques au niveau mondial », a juré un négociateur européen à l’AFP. Ces questions d’équité Nord-Sud traversent de nombreuses négociations internationales, en particulier les négociations climat où les pays en développement victimes mais pas responsables du réchauffement réclament en vain aux pays riches de respecter leurs promesses d’aide financière.
Ambition de façade
Les ONG se désolent de l’échec de ces négociations. « Pendant que les pays continuent à parler, les océans et ceux qui en dépendent souffrent », a dénoncé Laura Meller, responsable Océans de Greenpeace. Dans un communiqué, l’ONG avait d’ailleurs accusé, jeudi, l’UE, les Etats-Unis et le Canada de précipiter ces négociations vers un échec en raison de leur « avidité » à garder ces ressources pour eux.
La Fondation Tara Océan dénonce que certains pays membres de la « High Ambition Coalition » (HAC), lancée au One Ocean Summit par la France à Brest en février dernier, ont finalement renoncé à leurs engagements publics appelant à la conclusion du traité en 2022. « La réalité est que la plupart des pays, y compris ceux de la Coalition, n’ont affiché qu’une ambition de façade, et les concessions attendues sur les financements, les enjeux de propriété intellectuelle ou les aires marines protégées n’ont pas permis de trouver un deal » écrit la Fondation dans un communiqué.
Occasion ratée
Les écosystèmes marins de haute mer sont la pompe biologique des océans : ils captent le dioxyde de carbone en surface et le stockent dans les profondeurs. Sans ce service essentiel, notre atmosphère contiendrait 50 % de CO2 en plus, et la hausse des températures rendrait le monde inhabitable. Dès septembre 2019, le GIEC confirmait dans un rapport la nécessité absolue d’agir pour la protection des océans et pour répondre à l’urgence climatique.
Certains experts craignent que si le traité sur la haute mer n’est pas conclu d’ici à la fin de l’année, cet objectif soit hors d’atteinte. Les délégations s’opposent toujours sur le processus de création de ces aires protégées, ainsi que sur les modalités d’application de l’obligation d’études d’impact environnementales avant une nouvelle activité en haute mer. « Quelle occasion ratée… », a regretté sur Twitter Klaudija Cremers, chercheuse à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) qui, comme plusieurs ONG, a un siège d’observateur des négociations.
En tant que deuxième espace maritime mondial, la France a une responsabilité toute particulière dans le sort de ces négociations. Le président de la République s’y était particulièrement engagé en février dernier par l’organisation du One Ocean Summit de Brest. Face à l’échec de ce vendredi 26 août, le gouvernement français se réjouit en façade des « avancées essentielles » comme la création d’aires marines protégées, la réalisation d’études d’impact environnemental en haute mer ainsi que sur le partage juste et équitable des avantages issus de l’utilisation des ressources génétiques marines ».
Satisfecit donc du Secrétariat d’Etat chargé de la mer dans son communiqué. Il n’en demeure pas moins que tout reste à faire. La France affirme certes rester « pleinement mobilisée pour que soit conclu dans les tous prochains mois un traité ambitieux et universel qui renforce la gouvernance de la haute mer et établisse les outils nécessaires à une protection effective de l’océan et à une utilisation durable de ses ressources ». Mais encore une fois, les États remettent à plus tard les actions indispensables pour lutter contre la perspective d’un monde inhabitable. Pendant ce temps, les signaux climatiques tout comme ceux liés à l’effondrement de la biodiversité ne cessent de clignoter. Les sirènes d’alarme retentissent dans un monde de procrastinateurs sourds.
Avec AFP