Les informations qui se succèdent sur le front de l’urgence climatique ne sont guère réjouissantes. Le tableau d’ensemble apparaît comme catastrophique : rien ne va plus. Les climatologues eux-mêmes, qui ont à longueur de journée le nez sur leurs tableaux de bord et leurs indicateurs n’en croient pas leurs yeux : l’emballement climatique va de plus en plus vite, et beaucoup plus que ce qu’ils attendaient — inondations dystopiques, sécheresses calamiteuses, incendies monstres, canicules meurtrières, effondrement de la calotte glaciaire, menace de montée des eaux, perturbations des grands équilibres atmosphériques et océaniques. Avons-nous encore des raisons d’espérer ? Les opinions publiques à travers le monde ont compris, singulièrement en 2022, que le changement climatique était là et les menaçait. Il n’est encore pas trop tard pour bien faire, car chaque petite fraction de degré de réchauffement planétaire évitée va faire la différence. Les grands acteurs économiques et étatiques commencent à le comprendre. Des décisions allant dans le bon sens sont enfin amorcées ou mises en œuvre ; en voici quelques exemples, glanés sur différents continents.
Baisse des émissions de gaz à effet de serre en Chine
La Chine est le plus grand pollueur annuel de carbone au monde. Pourtant, le pays a enregistré une baisse de 8 % au cours du deuxième trimestre de 2022 et une réduction de 3 % en glissement annuel.
Comme le rapporte l’analyste Lauri Myllyvirta dans Carbon Brief, la baisse par rapport à la même période en 2021 a été de 230 millions de tonnes, soit l’équivalent d’un peu plus de la moitié des émissions annuelles de la France, et la plus forte réduction de la pollution par le carbone en Chine depuis au moins une décennie. Elle s’explique par des tendances à court et à long terme : un effondrement de l’immobilier, des restrictions liées aux mesures drastiques de confinement contre le Covid, une faible croissance de la consommation d’électricité et une expansion continue des énergies renouvelables.
Il est trop tôt pour dire s’il s’agit d’une baisse permanente – un plan de relance annoncé récemment pourrait encourager la construction et l’utilisation d’énergies propres. Signe encourageant : la Chine enregistre son quatrième trimestre consécutif au cours duquel la pollution a diminué. Certes, des informations circulent selon lesquelles la Chine continue à construire des centrales électriques au charbon. Il n’en demeure pas moins que la production d’électricité à partir de ce combustible sale a diminué de 4 % au cours des six premiers mois de l’année. À ce propos, il faut savoir que, comme pour la plupart des types d’infrastructures, le pays construit plus de capacités de production de charbon qu’il n’en a besoin.
On peut donc se réjouir, mais il faut être prudent : cette tendance pourrait être inversée, du moins temporairement. En effet, l’électricité produite à partir du charbon a rebondi ces dernières semaines, la capacité hydroélectrique s’étant effondrée en raison d’une sécheresse et d’une chaleur extrêmes, et la Chine s’est engagée auprès des Nations unies à atteindre un pic de ses émissions avant 2030.
Les énergies renouvelables, en particulier l’énergie solaire, sont en plein essor
Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le nombre de personnes employées dans le secteur des énergies propres (qu’elle définit comme comprenant les énergies renouvelables, les véhicules électriques, les mesures d’efficacité énergétique et l’énergie nucléaire) est supérieur à celui de l’industrie des combustibles fossiles. Petit problème : les emplois dans les énergies propres ne sont pas aussi bien payés, en partie parce qu’ils sont moins susceptibles d’être syndiqués. Mais l’argument selon lequel il n’y a pas d’emplois dans les énergies propres s’est dissipé.
Les investissements dans les énergies propres ont augmenté de 12 % par an depuis 2020, en partie grâce à l’augmentation du soutien public et privé à la finance durable, notamment dans les pays riches. Les énergies renouvelables, les nouveaux réseaux et le stockage de l’énergie représentent plus de 80 % du total des investissements dans le secteur de l’électricité. L’AIE estime que les dépenses consacrées à l’énergie solaire, aux batteries et aux véhicules électriques augmentent désormais à un rythme compatible avec l’objectif de zéro émission nette à l’échelle mondiale d’ici à 2050.
En Europe, où l’invasion de l’Ukraine par la Russie a bouleversé l’approvisionnement en énergie, on observe un virage important vers les énergies renouvelables, alors même que les pays soutiennent à court terme les combustibles fossiles pour assurer l’éclairage et le chauffage. Le groupe de réflexion britannique Ember a constaté qu’un été record de production d’énergie solaire dans le Nord a permis au continent d’éviter de dépenser 29 milliards d’euros en gaz. Dans les 27 pays de l’UE, les énergies renouvelables ont fourni 35 % de l’électricité, contre 16 % pour le charbon.
Selon une analyse de Bloomberg NEF, la fabrication du polysilicium solaire – le semi-conducteur utilisé dans les panneaux photovoltaïques – est si rapide que toute la chaîne d’approvisionnement nécessaire pour mettre fin aux émissions est déjà en cours de construction. Elle se trouve presque entièrement en Chine – ce qui n’est qu’une des nombreuses complications potentielles décrites par David Fickling, de Bloomberg – mais cela en dit long sur ce qui est réalisable.
Dans un autre rapport publié en juillet, l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) souligne que le prix moins volatil des énergies renouvelables favorise leur compétitivité. Quand les prix du pétrole et du gaz explosent, celui de l’électricité issue des énergies renouvelables a connu une nouvelle baisse en 2021 : -15 % pour l’éolien terrestre, -13 % pour l’éolien en mer et le photovoltaïque. Depuis début 2022, les cours du pétrole ont augmenté de 32 %, celui du gaz naturel a été multiplié par 2,5 en Europe.
Plusieurs pays à travers le monde sont d’ailleurs parvenus à utiliser 100 % ou presque d’énergie verte et renouvelable : l’Islande, le Costa Rica, l’Écosse… D’autres avancent à pas de géant vers cet objectif, notamment le Portugal dont 65 % de l’électricité consommée vient aujourd’hui du renouvelable (contre 19 % en France, à titre de comparaison).
Les riches commencent enfin, d’une certaine manière, à s’engager
Les négociations des Nations unies sur le climat n’ont pas abouti à un accord sur la contribution des riches pour aider les pays en développement à faire face aux pertes et dommages inévitables causés par les émissions mondiales, mais les riches s’engagent enfin dans la transition vers une énergie propre dans certains des pays qui comptent.
L’objectif est assez simple : donner aux principaux émetteurs de gaz à effet de serre le soutien financier et tout ce qui peut être nécessaire pour que leur expansion économique s’éloigne des combustibles fossiles. Un accord type a été annoncé lors du sommet sur le climat de la Cop26 à Glasgow, lorsque l’Afrique du Sud a signé un partenariat avec l’Allemagne, le Royaume-Uni, les États-Unis et l’UE, qui promet 8,5 milliards de dollars de capitaux mondiaux au cours des trois à cinq prochaines années pour aider le pays à restructurer son système énergétique dépendant du charbon.
En juin, le G7 a confirmé un objectif plus vaste, à savoir l’accès à 600 milliards de dollars de financements publics et privés sur cinq ans pour des infrastructures énergétiques propres dans des pays tels que l’Indonésie, l’Inde, le Sénégal et le Vietnam. Avec d’autres mesures, telles que la promesse des pays du G20 de ne plus financer de nouvelles centrales au charbon à l’étranger et le mécanisme de transition énergétique de la Banque asiatique de développement, cet objectif pourrait redéfinir ce qui est possible. Il sera vital pour son succès de veiller à ce que les communautés locales ne soient pas exploitées ou laissées pour compte dans ce processus.
Selon une étude de l’Université de Stanford, la transition énergétique mondiale coûterait 62 000 milliards de dollars. Une somme astronomique qui, cependant, selon les universitaires, serait amortie en six ans, grâce à des économies annuelles d’énergie de l’ordre 11 000 milliards de dollars à l’échelle mondiale. Investir pour sauver le climat peut, finalement, s’avérer très rentable.
Les États-Unis sortent l’artillerie lourde
C’est sans doute la plus grande raison d’être optimiste cette année. Après des années d’essais et d’échecs, les États-Unis – le plus grand émetteur historique de CO2 dans l’atmosphère- ont fait adopter par leur Congrès une législation majeure sur le changement climatique. Une analyse a montré que la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) pourrait permettre au pays de réduire ses émissions de 43 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2005, ce qui représente une avancée considérable par rapport à la situation antérieure. Si le système politique se maintient, l’objectif national d’une réduction de 50 % au cours de cette décennie, et de réductions plus importantes par la suite, devrait être à portée de main.
Un point essentiel à noter : la loi américaine souligne que pénaliser les industries des combustibles fossiles en fixant un prix pour le carbone est, sans être mort, considéré comme démodé. L’IRA concerne principalement les investissements – 370 milliards de dollars américains – destinés à aider les solutions propres à supplanter l’ancien modèle polluant. Une grande partie de cette somme ne sera disponible que pour les produits fabriqués aux États-Unis. Les experts affirment qu’en plus de réduire la pollution locale, cela pourrait également accroître la concurrence et réduire les coûts sur les marchés internationaux.
La France bifurquera-t-elle ?
En France l’été 2022 a marqué les esprits : canicules, sécheresses, incendies de forêts ont imposé l’urgence climatique au cœur de la rentrée politique. Or il faut faire vite car le pays n’est pas en ordre de marche pour atteindre ses objectifs climatiques en 2030. Le quinquennat qui s’amorce doit nécessairement être celui de la bifurcation.
L’utilisation d’énergie fossile étant à l’origine des trois quarts de nos émissions, l’accélération du volet énergétique de la transition écologique conditionne l’atteinte d’une réduction de 55 % des émissions en 2030. Nous n’y sommes pas vraiment car la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), feuille de route fixant les objectifs climatiques du pays, reste calée sur l’objectif intermédiaire de – 40 % en 2030 hérité du précédent quinquennat.
Côté demande, la guerre en Ukraine et la mise à l’arrêt de la majorité des réacteurs nucléaires du pays ont contraint les pouvoirs publics à préconiser la sobriété. Mais l’action s’inscrit dans une logique de court terme : il s’agit de passer l’hiver en évitant un rationnement du gaz en cas d’interruption totale des livraisons russes. Côté offre, il convient d’accélérer la substitution de moyens de production décarbonés aux sources d’origine fossile. En premier lieu, cela requiert d’accélérer le déploiement des renouvelables pour lesquels notre pays fait office de lanterne rouge au sein de l’UE. Le gouvernement s’est engagé à accélérer leur déploiement via une loi qui est loin de faire consensus dans sa formulation actuelle.
Les Français suivent de près ces avancées pour la plupart encore tâtonnantes. Ils sont très attentifs car les prises de conscience se sont brutalement accélérées. En 2021, seulement 26 % des Français jugeaient selon une étude Ifop la transition écologique « urgente ». Un peu plus d’un an plus tard, les tendances se sont inversées. Si l’on en croit un sondage Yougov réalisé début août 2022, ils sont désormais 78 % à se dire inquiets, et même très inquiets pour 38 % d’entre eux. Selon un sondage BVA, 87 % des Français se déclarent aujourd’hui conscients des impacts du changement climatique. Et si 36 % estiment déjà faire leur maximum pour lutter contre le changement climatique, ils sont 41 % à déclarer vouloir augmenter ces efforts.
Les gouvernants ne peuvent désormais plus faire impasse sur l’urgence climatique. Ils sont attendus avec des actes et plus seulement des paroles.
Avec The Guardian, The Conversation
Le solaire, c’est bien beau, encore que… L’urgence climatique profite au nucléaire. Des centrales se construisent ou bien sont planifiées partout. En plus du risque d’accident et de bombardement (Ukraine) le problème est celui des déchets. La Suisse, par exemple, ne l’a jamais résolu. Les communes se refilent le poison. Quelle cohérence de gouvernance dans tout ça? Y a-t-il seulement un pilote climatique dans l’avion? L’ébauche d’une réflexion globale? De quoi discutent réellement les milliers de délégués aux « conférences » sur le climat?