L’inaction face à la crise climatique qui s’accélère s’apparente à un « suicide collectif », a lancé lundi le patron de l’ONU aux grands de ce monde réunis à la COP27 en Egypte, les exhortant à renforcer la lutte avant qu’il ne soit trop tard. « L’humanité a un choix : coopérer ou périr. C’est soit un Pacte de solidarité climatique soit un Pacte de suicide collectif », a tonné Antonio Guterres devant près de 100 chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Charm el-Cheikh.
Le climat est « la question déterminante de notre temps », et il serait « inacceptable, scandaleux et autodestructeur » de la reléguer « au second plan », a martelé M. Guterres.
« Terre de souffrance »
« Le monde est devenu une terre de souffrance », a lancé l’hôte du sommet, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, en référence à la multiplication des impacts catastrophiques du réchauffement : inondations dévastatrices, canicules, sécheresses mettant à mal les récoltes. « N’est-il pas temps d’y mettre fin ? » Mais les engagements actuels des pays sont loin d’être à la hauteur des objectifs de l’accord de Paris de 2015, pierre angulaire de la diplomatie climatique. A savoir contenir le réchauffement de la planète « nettement » sous 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle, et si possible à 1,5°C. Les dernières « contributions nationales », si elles étaient pour une fois pleinement respectées, laisseraient au mieux le monde sur une trajectoire de +2,4°C d’ici à la fin du siècle, selon l’ONU. Et avec les politiques menées actuellement, c’est même un catastrophique +2,8°C qui se profile.
Simon Stiell, patron de l’ONU-Climat a lui aussi clairement mis les responsables politiques en première ligne, les appelant à mettre en adéquation déclarations publiques et actes. « La responsabilité est entre vos mains ».
Une des hypothèques pesant sur la lutte climatique est le regain de tensions entre les deux plus grands pollueurs mondiaux, la Chine et les Etats-Unis. Leurs présidents ne se croiseront pas à Charm el-Cheikh, mais devraient se voir la semaine prochaine à Bali, au G20. Le patron de l’ONU les a appelés à assumer leur « responsabilité particulière ». « Il faut qu’on ait les Etats-Unis et la Chine qui soient vraiment au rendez-vous », en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de solidarité financière, a abondé le président français Emmanuel Macron, en marge de la conférence.
Dégâts dévastateurs
Ce volet des finances, notamment l’aide des pays riches aux plus pauvres, les moins responsables des émissions de gaz à effet de serre à l’origine du réchauffement mais souvent très exposés à leurs effets dévastateurs, est un des dossiers les plus épineux.
Pour la première fois, la question du financement des dommages déjà causés par le réchauffement sera ainsi à l’agenda officiel d’une COP. Ils se chiffrent déjà à des dizaines de milliards de dollars – plus de 30 par exemple pour les récentes inondations qui ont mis sous l’eau un tiers du Pakistan – et devraient croître fortement.
Les pays vulnérables réclament un mécanisme de financement spécifique, mais les plus riches rechignent, craignant de voir leur responsabilité mise en cause et arguent que le financement climat est déjà suffisamment complexe. « Nous devons être aidés pour réparer les dégâts que vous nous avez infligés », a résumé le président des Seychelles Wavel Ramkalawan, rappelant la vulnérabilité de son petit pays insulaire.
Antonio Guterres a qualifié de « test décisif » l’obtention de résultats concrets sur ce dossier, mais la COP27 ne devrait pas déboucher sur une décision. Un horizon à 2024 a en effet été fixé pour les discussions, ce qui exaspère certains militants, qui réclamaient une décision dès la COP27. Car la confiance sur ces dossiers est au plus bas entre pays du Nord et du Sud, les riches n’ayant toujours pas tenu leur engagement de fournir en 2020 aux plus pauvres 100 milliards de dollars par an d’aide pour la réduction des émissions et l’adaptation aux effets du changement climatique.
Greenwashing à Charm el-Cheikh
Le sommet se déroule entouré d’importantes mesures de sécurité et selon l’ONG Human Rights Watch, les autorités égyptiennes ont interpellé des dizaines de personnes appelant à manifester en marge de la COP. Les possibilités pour les militants climatiques de s’exprimer ou manifester, tradition bien établie des conférences sur le climat, ont également été limitées.
L’égérie du mouvement mondial des jeunes pour le climat, Greta Thunberg, a d’ailleurs renoncé à y venir, qualifiant ces grand-messes de « greenwashing ». « Certaines déclarations des leaders mondiaux et chefs d’Etats lorsque les microphones sont éteints sont difficiles à croire lorsqu’on les raconte », a-t-elle assuré lundi à l’agence suédoise TT.
La Suédoise, qui avait déjà déploré que la COP26, organisée l’an dernier à Glasgow, ne se résume selon elle qu’à du « bla bla bla », explique que ses rencontres avec les dirigeants mondiaux l’ont rendue plus pessimiste. »Le manque de connaissance des personnes les plus puissantes de la planète est choquant », selon elle.
Tableau accablant
Quelques heures avant l’ouverture de cette COP26, L’organisation météorologique mondiale avait dressé le tableau accablant du climat dans un rapport publié dimanche. Si les projections pour cette année se confirment, les huit années de 2015 à 2022 seront les plus chaudes jamais enregistrées, s’est alarmée l’OMM, décrivant une « chronique du chaos climatique ».
Avec une température moyenne estimée de 1,15°C supérieure à celle de l’ère préindustrielle, l’année 2022 devrait se classer « seulement » à la cinquième ou sixième place de ces années les plus chaudes, en raison de l’influence inhabituelle, pour une troisième année consécutive, du phénomène océanique La Niña qui entraîne une baisse des températures. « Mais cela ne renverse pas la tendance de long terme ; c’est seulement une question de temps avant qu’il y ait une nouvelle année plus chaude », a insisté l’OMM, l’agence spécialisée de l’ONU.
Preuve s’il en est de cette tendance, « les huit années de 2015 à 2022 seront probablement les huit années les plus chaudes enregistrées », a estimé l’Organisation, qui publiera son évaluation définitive en 2023.
La température moyenne sur la décennie 2013-2022 est estimée à 1,14°C au-dessus de celle de l’ère préindustrielle, contre 1,09°C sur la période 2011-2020. L’Accord de Paris sur le climat vise à limiter le réchauffement bien en dessous de 2°C, si possible 1,5°C. Alors que la science a prouvé que chaque dixième de degré multiplie les événements météorologiques extrêmes, cet objectif le plus ambitieux de +1,5°C est devenu l’objectif à « maintenir en vie ».
« Les concentrations de CO2 dans l’atmosphère sont tellement élevées que l’objectif de 1,5°C (…) est à peine du domaine du possible », a commenté dimanche le patron de l’OMM Petteri Taalas. « C’est déjà trop tard pour de nombreux glaciers et la fonte va se poursuivre pendant des centaines voire des milliers d’années, avec des conséquences majeures sur l’approvisionnement en eau », a-t-il ajouté. Ainsi, les glaciers des Alpes ont enregistré en 2022 une perte record de masse de glace, avec une réduction d’épaisseur de 3 à 4 mètres, « beaucoup plus que lors du précédent record en 2003 ».
Et les nouvelles ne sont pas meilleures du côté de l’élévation du niveau des océans, principalement liée à la fonte des calottes glaciaires. Le niveau des océans est aussi à un « record » en 2022, avec une hausse de 10 mm depuis janvier 2020, soit 10% de la hausse enregistrée depuis le début des mesures par satellite il y a près de 30 ans. Et le rythme d’élévation a doublé depuis 1993.
La planète a été en outre victime cette année d’une avalanche d’événements extrêmes, des inondations historiques au Pakistan aux canicules répétées en Europe, en passant par la sécheresse dans la Corne de l’Afrique. « Nous savons que certains de ces désastres, les inondations et la chaleur au Pakistan, les inondations et les cyclones dans le sud de l’Afrique, l’ouragan Ian, les canicules extrêmes et la sécheresse en Europe n’auraient pas été aussi graves sans le changement climatique », a commenté Friederike Otto, climatologue à l’Imperial College de Londres.
« S’il y a bien une année où il faut réduire en lambeau et brûler les œillères qui empêchent l’action climatique, c’est celle-là », a ajouté Dave Reay, de l’Université d’Edimbourg. Souhaitons qu’il soit écouté par les dirigeants réunis pour cette COP26.
Avec AFP