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GIEC : dix ans à crier dans le désert

GIEC : dix ans à crier dans le désert

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Le dernier rapport « définitif » du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies vient de sortir. Il fait la synthèse de neuf années de travaux et sonne comme un énième rappel de la nécessité pour l’humanité d’agir enfin radicalement pour assurer un « futur vivable ». Les rapports du GIEC se succèdent à un rythme dont on ne voit pas la fin. Ils ont beau annoncer des catastrophes, montrer le consensus voire l’unanimité sur ce qui arrive, ce qui va nous arriver et quels en sont les responsables et les causes, rien n’y fait, la procrastination semble être installée pour l’éternité. Les armées de scientifiques qui nous alertent et nous transmettent leurs connaissances semblent impuissants face à l’inertie des décisions et des actes des responsables politiques. Les rapports successifs du GIEC ont beau sonner l’alerte, ils ne parviennent pas à susciter la mobilisation générale. Nous avons pourtant tout : le savoir-faire, la technologie, les outils, les ressources financières pour surmonter l’urgence climatique. Qu’attendons-nous pour faire preuve de plus d’ambition pour notre futur et celui de nos enfants ?

Entre conflit sur les retraites, manifestations, grèves, problèmes géopolitiques, risques de généralisation de la guerre, le rapport du GIEC millésimé 2023 aura-t-il une chance d’émerger dans l’actualité ? Il le faut car ce travail n’aura pas d’équivalent dans les dix ans à venir. Il est, comme le dit le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, un « guide de survie pour l’humanité ». Le dernier.

La menace est là

Le rapport publié ce lundi 20 mars indique que le monde risque de ne pas atteindre son objectif climatique le plus ambitieux – limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius par rapport aux températures préindustrielles – d’ici une dizaine d’années. Selon les scientifiques, au-delà de ce seuil, les catastrophes climatiques deviendront si extrêmes que les populations ne pourront plus s’y adapter. Les vagues de chaleur, les famines et les maladies infectieuses feront des millions de victimes supplémentaires. Les éléments fondamentaux du système terrestre seront fondamentalement et irrévocablement modifiés.

Selon le GIEC, le monde dispose déjà de toutes les connaissances, de tous les outils et de toutes les ressources financières nécessaires pour atteindre ses objectifs en matière de climat. Mais après des décennies passées à ignorer les avertissements scientifiques et à retarder les efforts en matière de climat, la fenêtre d’action de l’humanité se referme rapidement. « Le changement climatique est une menace pour le bien-être humain et la santé de la planète », indique le rapport. « Les choix et les actions mis en œuvre au cours de cette décennie auront des répercussions aujourd’hui et pendant des milliers d’années.

Qualifiant le rapport de « guide pratique pour désamorcer la bombe à retardement climatique », M. Guterres a annoncé lundi un « programme d’accélération » visant à accélérer les actions mondiales en matière de climat. Les économies émergentes, notamment la Chine et l’Inde, qui prévoient d’atteindre le niveau zéro en 2060 et 2070, respectivement, doivent accélérer leurs efforts de réduction des émissions aux côtés des pays développés, a déclaré M. Guterres. Le chef de l’ONU et le GIEC ont également appelé le monde à éliminer progressivement le charbon, le pétrole et le gaz, qui sont responsables de plus des trois quarts des émissions mondiales de gaz à effet de serre. « Chaque pays doit faire partie de la solution », a déclaré M. Guterres. « En exigeant des autres qu’ils agissent en premier, on s’assure que l’humanité arrive en dernier ».

Un horizon de plus en plus sombre

Le rapport de synthèse du GIEC montre que l’humanité a déjà transformé le système terrestre de manière fondamentale et irréversible. Les émissions provenant de la combustion de combustibles fossiles et d’autres activités de réchauffement de la planète ont augmenté les températures moyennes mondiales d’au moins 1,1 degré Celsius depuis le début de l’ère industrielle. La quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère n’a jamais été aussi élevée depuis que les hommes archaïques ont taillé les premiers outils en pierre.

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Ces changements ont causé des dommages irrévocables aux communautés et aux écosystèmes, comme le montrent les faits : Les populations de poissons diminuent, les exploitations agricoles sont moins productives, les maladies infectieuses se multiplient et les catastrophes météorologiques atteignent des extrêmes inouïs. Les risques liés à ce réchauffement relativement faible s’avèrent plus importants que ne l’avaient prévu les scientifiques, non pas en raison d’une quelconque faille dans leurs recherches, mais parce que les infrastructures construites par l’homme, les réseaux sociaux et les systèmes économiques se sont révélés exceptionnellement vulnérables au changement climatique, même s’il est de faible ampleur, indique le rapport.

Les souffrances sont les plus grandes dans les pays les plus pauvres du monde et dans les nations insulaires de faible altitude, qui abritent environ un milliard de personnes mais représentent moins de 1 % de la pollution totale de l’humanité responsable du réchauffement de la planète, selon le rapport. Mais comme les perturbations climatiques s’accentuent avec la hausse des températures, même les endroits les plus riches et les mieux protégés ne seront pas à l’abri.

Les chercheurs affirment qu’il est presque inévitable que le monde dépasse 1,5 degré Celsius de réchauffement d’ici le début des années 2030, poussant la planète au-delà d’un seuil à partir duquel les scientifiques affirment que le changement climatique deviendra de plus en plus difficile à gérer. « Les années les plus chaudes que nous avons vécues jusqu’à présent seront parmi les plus fraîches d’ici une génération », résume pour l’AFP Friederike Otto, coautrice de la synthèse. Les huit dernières années ont déjà été les plus chaudes jamais enregistrées au niveau mondial. A l’avenir, elles compteront donc parmi les plus fraîches du siècle, quels que soient les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre.

En 2018, le GIEC a constaté qu’un monde à 1,5 °C est nettement plus sûr qu’un monde à 2 °C de plus que l’ère préindustrielle. À l’époque, les scientifiques avaient déclaré que l’humanité devrait réduire à zéro ses émissions de carbone d’ici à 2050 pour atteindre l’objectif de 1,5 degré et d’ici à 2070 pour éviter un réchauffement supérieur à 2 degrés. Cinq ans plus tard, l’humanité n’est pas près d’atteindre l’un ou l’autre de ces objectifs. Selon le rapport de synthèse, si les nations n’adoptent pas de nouvelles politiques environnementales et ne réorientent pas rapidement leurs économies vers l’abandon des combustibles fossiles, les températures moyennes de la planète pourraient augmenter de 3,2 degrés Celsius d’ici la fin du siècle. Dans ce scénario, un enfant né aujourd’hui vivra avec une élévation de plusieurs mètres du niveau de la mer, l’extinction de centaines d’espèces et la migration de millions de personnes de lieux où elles ne peuvent plus survivre.

« Nous n’en faisons pas assez, et ce sont les pauvres et les personnes vulnérables qui font les frais de notre inaction collective », a déclaré Madeleine Diouf Sarr, haut responsable sénégalais en matière de climat et présidente du groupe des pays les moins avancés qui négocient ensemble à l’ONU. Elle a rappelé les dégâts causés par le cyclone Freddy, la tempête tropicale la plus longue et la plus puissante jamais enregistrée, qui a tué des centaines de personnes et en a déplacé des milliers d’autres après avoir bombardé l’Afrique australe et Madagascar pendant plus d’un mois. Le rapport montre que l’augmentation des températures rend les tempêtes plus puissantes et que l’élévation du niveau de la mer rend les inondations dues à ces tempêtes plus intenses. Par ailleurs, le nombre de victimes de ces catastrophes est 15 fois plus élevé dans les pays vulnérables que dans les régions plus riches du monde.

Selon le GIEC, si la planète continue à se réchauffer, les dégâts causés par les inondations seront jusqu’à quatre fois plus importants que si l’on limite l’augmentation de la température à 1,5 degré Celsius.

« Le monde ne peut ignorer le coût humain de l’inaction », prévient Mme Sarr.

Le prix de l’inaction

Bien qu’une grande partie du rapport de synthèse reprenne les avertissements lancés par les scientifiques depuis des décennies, l’évaluation se distingue par la certitude brutale de sa rhétorique. L’expression « degré élevé de confiance » apparaît 118 fois dans le chapitre récapitulatif de 26 pages. La responsabilité de l’humanité dans le réchauffement du système climatique mondial est décrite comme un « fait » inattaquable.

Pourtant, le rapport explique en détail comment les responsables publics, les investisseurs privés et d’autres groupes puissants n’ont pas tenu compte de ces avertissements à plusieurs reprises. Plus de 40 % des émissions cumulées de carbone ont eu lieu depuis 1990, date à laquelle le GIEC a publié son premier rapport sur les conséquences dangereuses d’un réchauffement incontrôlé. Selon le rapport, les habitudes de consommation des 10 % de personnes les plus riches génèrent trois fois plus de pollution que celles des 50 % les plus pauvres.

Des décennies d’atermoiements ont empêché le monde d’espérer une transition facile et progressive vers une économie plus durable, selon le groupe d’experts. Aujourd’hui, seuls des efforts « profonds, rapides et […] immédiats » dans tous les aspects de la société permettront d’éviter la catastrophe. « Il ne s’agit pas seulement de la manière dont nous produisons et utilisons l’énergie », a déclaré Christopher Trisos, directeur du laboratoire sur les risques climatiques dans le cadre de l’initiative africaine sur le climat et le développement à l’université du Cap et membre de l’équipe de rédaction du rapport de synthèse. « C’est la façon dont nous consommons la nourriture, la façon dont nous protégeons la nature. C’est en quelque sorte tout, partout, en même temps ».

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Mais peu d’institutions agissent assez rapidement, selon le rapport. La conférence des Nations unies sur le climat, qui s’est tenue en novembre en Égypte, s’est achevée sans qu’aucune résolution n’ait été adoptée en faveur d’une réduction progressive des émissions de pétrole, de gaz et de charbon, ce qui est pourtant une condition essentielle pour freiner le changement climatique. L’année dernière, la Chine a approuvé sa plus grande expansion de centrales électriques au charbon depuis 2015. Face à la montée en flèche de leurs bénéfices, les grandes compagnies pétrolières réduisent leurs initiatives en matière d’énergie propre et renforcent leurs investissements dans les combustibles fossiles.

Selon le GIEC, les émissions prévues des infrastructures existantes de combustibles fossiles rendront impossible d’éviter le seuil de 1,5 degré. Ne pas agir maintenant ne condamnera pas seulement l’humanité à une planète plus chaude. Elle empêchera également les générations futures de faire face aux changements de leur environnement. Il existe des seuils de réchauffement auxquels les populations et les écosystèmes peuvent s’adapter. Certains sont des limites « douces », déterminées par les lacunes des systèmes politiques et sociaux. Par exemple, une communauté à faible revenu qui n’a pas les moyens de construire des dispositifs de lutte contre les inondations est confrontée à des limites douces pour faire face à l’élévation du niveau de la mer.

Mais au-delà d’un réchauffement de 1,5 degré, le rapport indique que l’humanité se heurtera à des « limites dures » en matière d’adaptation. Les températures deviendront trop élevées pour permettre la culture de nombreux produits de base. Les sécheresses deviendront si graves que même les mesures de conservation de l’eau les plus strictes ne pourront pas les compenser. Dans un monde qui s’est réchauffé d’environ 3 degrés Celsius – là où l’humanité se dirige actuellement – les dures réalités physiques du changement climatique seront mortelles pour un nombre incalculable de plantes, d’animaux et de personnes.

Des condamnés encore en sursis

Malgré son langage cru et ses avertissements sinistres, le rapport du GIEC envoie un message de possibilité, fait observer Friederike Otto, climatologue à l’Imperial College de Londres et membre de l’équipe principale de rédaction du rapport. « Ce n’est pas que nous dépendions de quelque chose qui reste à inventer », a-t-elle déclaré. « Nous disposons en fait de toutes les connaissances nécessaires. Tous les outils dont nous avons besoin. Il ne nous reste plus qu’à les mettre en œuvre.

Selon le rapport, dans de nombreuses régions, l’électricité produite à partir de sources renouvelables telles que le solaire et l’éolien est désormais moins chère que l’électricité produite à partir de combustibles fossiles. Plusieurs pays ont considérablement réduit leurs émissions au cours de la dernière décennie, alors même que leur économie se développait. De nouvelles analyses montrent que les efforts déployés pour lutter contre le changement climatique peuvent profiter à la société d’innombrables autres façons, qu’il s’agisse de l’amélioration de la qualité de l’air, de l’amélioration des écosystèmes ou du renforcement de la santé publique. Ces « co-bénéfices » dépassent largement le coût des réductions d’émissions à court terme, même si l’on ne tient pas compte des avantages à long terme liés à la prévention d’un réchauffement dangereux.

« Nous vivons un moment unique », a déclaré Kaisa Kosonen, experte en climatologie pour Greenpeace International, qui a représenté l’organisation à la réunion d’approbation du rapport de synthèse la semaine dernière. « Les menaces sont plus importantes que jamais, mais les possibilités de changement le sont tout autant.

Image d’en-tête : feux de forêt sur l’île d’Evia, en Grèce, 2021. Photo : Konstantinos Tsalidis/Bloomberg via Getty Image

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