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Les zones sombres du coût de l’inaction face au changement climatique en France

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Que sait-on des coûts engendrés par le changement climatique à l’échelle nationale ? Que sait-on du coût de l’inaction ? Au-delà des évaluations du Giec, France Stratégie se lance dans une mission quasi impossible : comment à partir de la présentation d’un état des connaissances sur les évaluations d’impact du changement climatique en France, hors des études scientifiques, mesurer l’impact, en creux, de l’inaction politique ?  Cet exercice ambitieux porte sur les principaux domaines affectés par les évolutions climatiques, à savoir la ressource en eau, l’agriculture, la forêt, les risques littoraux, la biodiversité, l’énergie (électricité), les infrastructures et réseaux, les bâtiments, le tourisme et la santé. Objectif : alimenter les réflexions autour du volet dédié à l’adaptation au changement climatique de la future stratégie française pour l’énergie et le climat.

La sécheresse en cours depuis 2022 rappelle une fois de plus que les effets de la crise climatique se font particulièrement ressentir. Au-delà des évaluations du Giec aux échelles mondiale ou européenne, et au-delà des études territoriales réalisées pour certains secteurs, que peut-on dire des impacts attendus du changement climatique sur le territoire national ?

État des lieux 

Ce document de travail de France stratégie présente un état des lieux simple et pédagogique des différentes évaluations d’impact du changement climatique en France, dans les principaux domaines affectés, sous la forme de dix fiches sectorielles : ressource en eau, agriculture, forêt, risques littoraux, biodiversité, énergie (offre et demande d’électricité), infrastructures et réseaux, bâtiments, tourisme, santé.
Il revient également sur les grands enjeux méthodologiques autour de ces études et en dégage les principaux enseignements. Ce travail constitue ainsi une vision à date et non exhaustive de l’état des connaissances quantitatives sur les risques climatiques en France et, lorsqu’ils existent, de leurs coûts économiques ou socioéconomiques.

Ces évaluations sont caractérisées par une forte hétérogénéité, aussi bien dans leur objet d’étude (rendement des cultures, montant des sinistres indemnisés par les assurances, projections hydrologiques, etc.) que dans la méthode employée ou les types de résultats (monétaires ou non). Par conséquent, ces résultats n’ont pas vocation à être agrégés pour estimer un ordre de grandeur des coûts de l’inaction face au changement climatique, à mettre en regard des coûts de l’adaptation au changement climatique.

Le dernier exercice de synthèse des impacts du changement climatique à l’échelle française a été réalisé par l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc) en 2009 (1). Les impacts y sont décrits qualitativement et plusieurs éléments quantitatifs sont mis en avant, principalement vis-à-vis de la tension sur la ressource en eau, des enjeux assurantiels, agricoles, énergétiques, d’infrastructures et de tourisme. Sur l’ensemble de ces sujets, la progression de la connaissance a été substantielle, mais inégale. Des projets de modélisation ont été entrepris (Climator en agriculture, Explore 2070 pour la disponibilité de l’eau), des estimations nouvelles ont actualisé les données disponibles (assurances, infrastructures, production électrique).

Dans ce contexte, le pilotage de l’évaluation des risques climatiques gagnerait à être renforcé et constituerait un outil utile, notamment pour l’élaboration de politiques d’adaptation dimensionnées à la hauteur des enjeux. En tout état de cause, ces besoins ne doivent pas retarder la mise en œuvre des actions d’adaptation. En particulier, celles identifiées comme « sans regret » (2) peuvent être déployées sans délai.

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Ressource en eau

Nous sommes au cœur de l’actualité. Le rapport du Sénat sur l’adaptation au changement climatique cadre le problème de l’accès à la ressource en eau en suivant les résultats du programme ClimSec (3) : de fortes tensions sur les ressources en eau pourraient se développer, alors que le niveau global des précipitations est et restera considérable en France. Cela s’explique par la non-coïncidence spatiale, et surtout temporelle, entre les besoins en eau et les ressources hydriques. Il ne pleuvra pas forcément où et quand le besoin d’eau sera le plus important.

D’après l’édition 2020 des Chiffres clés sur l’eau et les milieux aquatiques, les prélèvements d’eau tendent à diminuer depuis le début des années 2000, sauf pour les besoins de l’agriculture. Les évaluations indiquent que 89 % des masses d’eau souterraine sont dans un bon état quantitatif en 2015 comme en 2009, au sens de la directive-cadre sur l’eau. Néanmoins, des restrictions d’eau sont appliquées sur au moins 30 % de la métropole chaque année depuis 2017, ce qui souligne une situation déjà tendue dans certains territoires. Cela peut s’expliquer par le fait que la ressource en eau renouvelable (l’apport annuel d’eau douce sur le territoire national à travers les cours d’eau et les précipitations qui ne retournent pas à l’atmosphère par évaporation ou transpiration des végétaux et qui rejoignent les eaux superficielles et souterraines) a diminué de 14 % entre 1990-2001 et 2002-2018, passant de 229 à 197 milliards de mètres cubes en moyenne annuelle. La sécheresse que traverse la France depuis 2022 en est une bonne illustration. Ayant débuté précocement dès le printemps, la quasi-totalité des départements de métropole ont connu des restrictions d’eau durant l’été. En décembre, 48 étaient encore concernés (dont 23 en niveau de crise).

En particulier, les besoins sont sensiblement plus forts en été alors que la ressource est relativement plus abondante en hiver. Le projet Explore 2070 (4) propose des projections hydrologiques pour la France métropolitaine dans un scénario à haut niveau d’émissions et de forçage radiatif (le scénario RCP 6.0 du Giec (5) et en comparant l’horizon 2046-2065 à la période 1961-1990. Une baisse significative de la recharge des nappes phréatiques est prévue (de 10 % à 25 % en moyenne), particulièrement marquée pour le bassin de la Loire (25 % à 30 %) et pour le Sud-Ouest (30 % à 50 %). Par ailleurs, le débit annuel moyen des cours d’eau pourrait baisser de l’ordre de 10 % à 40 %, en particulier dans les cours d’eau des contreforts pyrénéens et, dans une moindre mesure, de la majorité du bassin hydrographique Seine-Normandie, avec des diminutions simulées comprises entre 10 % et 60 %. Les débits d’étiage seront par ailleurs plus sévères, plus longs et plus précoces, avec des débits estivaux réduits de 30 % à 60 %.

De nombreux secteurs sont exposés à des pertes économiques en cas de restriction de l’accès à l’eau : les secteurs de l’énergie (barrages hydroélectriques, refroidissement des centrales thermiques ou nucléaires), de l’agriculture (manque d’eau pour l’irrigation), du tourisme (lacs, activités nautiques) ou de l’industrie (aciérie ou chimie, par exemple). D’après Explore 2070, le déficit entre l’offre et la demande d’eau à disposition du secteur agricole passerait de 10 % à 23 % dans un scénario tendanciel sans adaptation. Cependant, aucune estimation des coûts induits par les déséquilibres entre offre et demande anticipés n’est proposée, à la fois au regard du caractère local de l’équilibre offre-demande et des incertitudes (modèles hydrologiques, choix politiques et techniques).

Agriculture

Le secteur agricole est, au niveau mondial, l’un des secteurs économiques les plus sensibles au changement climatique et ses effets sont déjà visibles. Selon l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), le climat serait responsable de 30 % à 70 % de la stagnation, déjà observée aujourd’hui, du niveau de rendement du blé en France, l’autre grande cause étant une baisse de la fourniture d’azote, liée aux économies d’intrants et à la diminution des légumineuses en tant que précédent cultural. Un certain nombre de filières et de territoires voient leurs rendements diminuer et le manque d’eau a en particulier déjà des conséquences visibles.

Le programme de recherche Climator (6) a mis en avant une grande hétérogénéité de l’évolution des rendements agricoles de quelques cultures emblématiques, avec un impact négatif sur la culture du maïs mais potentiellement positif sur celle du blé tendre. Néanmoins, ces résultats supposent que le déficit hydrique futur sera compensé par davantage d’irrigation, ce qui devrait être remis en question par l’impact du changement climatique sur la ressource en eau.

Plus récemment, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a proposé une première estimation partielle des dommages liés aux seules catastrophes naturelles sur la « ferme France » de un milliard d’euros par an à l’horizon 2050, sans toutefois la relier à une modélisation climatique explicite. Les auteurs soulignent la nécessité de poursuivre une évaluation plus précise des coûts liés au changement climatique pour l’agriculture française au niveau local, étant donné les spécificités des couples filière territoire sur chaque territoire (7).

Les auteurs de l’étude évaluent en parallèle les coûts de l’adaptation liés à l’accroissement de l’usage de l’irrigation à un milliard d’euros par an (investissement dans les nouveaux dispositifs de stockage et dans le matériel d’irrigation sur les exploitations, sous l’hypothèse d’un doublement des volumes d’eau prélevés pour l’irrigation). Un enjeu de massification du conseil climatique auprès des exploitants est également identifié, dont le coût est évalué à 150 millions d’euros par an, et un coût de renouvellement du verger français, lorsqu’il est inadapté au climat futur, estimé à 600 millions d’euros par an (10 % du verger par an). De manière agrégée, cela signifie que les impacts et les solutions d’adaptation considérés dans ce travail représenteraient de l’ordre de 3 milliards d’euros par an. Cette première analyse pourrait être complétée à l’avenir par des chiffrages territoriaux, eu égard aux spécificités locales des filières et des territoires, mais également à l’interaction avec d’autres enjeux (notamment la gestion de l’eau et les conséquences sur la biodiversité).

Forêt

L’impact combiné de la hausse des émissions de gaz à effet de serre (GES) et du changement climatique sur la forêt est complexe : si l’augmentation de la concentration en CO2 atmosphérique est en théorie bénéfique pour la croissance des arbres, une plus haute température moyenne accroît le déficit hydrique, augmente la probabilité de feux de forêt et encourage l’apparition de nouveaux pathogènes (8).

D’après l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), la surface de la forêt française a augmenté de 21 % depuis 1985 et la productivité biologique nette, c’est-à-dire la croissance des arbres déduite de la mortalité, a décru de 10 % en une décennie, passant de 5,3 à 4,8 mètres cubes par hectare et par an. En particulier, la mortalité atteint désormais 0,4 % du volume de bois vivant, soit une augmentation de 50 % entre les périodes 2005-2013 et 2012-2020. Les facteurs de cette augmentation sont nombreux (sécheresse, canicule, insectes, champignons, bactéries, etc.) et les responsabilités respectives ne sont pas connues. À titre d’illustration, les années 2018 et 2019 ont été particulièrement néfastes pour les forêts françaises : comme l’indique la Feuille de route pour l’adaptation des forêts au changement climatique, les sécheresses prolongées et les températures hors normes ont conduit notamment au dépérissement massif d’épicéas dans le quart nord-est de la France, qui s’explique à la fois par leur affaiblissement et par des attaques de ravageurs.
De même, l’été 2022 a été marqué par des incendies importants, notamment dans les Landes et en Bretagne, région jusqu’à présent plutôt épargnée : plus de 66 000 hectares de forêts ont brûlé pendant l’année 2022, contre une moyenne annuelle de près de 10 000 hectares par an sur la période 2006-2021

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En 2009, l’Onerc rapportait que le changement climatique pourrait avoir un impact positif sur la productivité forestière à l’horizon 2030-2050 et négatif à l’horizon 2100. Plus récemment, le projet Climator (9) estime que le déficit hydrique pourrait entraîner une baisse du rendement moyen national du pin de 5 % entre 2020 et 2050 et jusqu’à 12 % entre 2070 et 2100, dans le scénario RCP 6.0 du Giec.

Par ailleurs, d’après un rapport du Sénat (10), les surfaces brûlées en région méditerranéenne pourraient augmenter de 80 % d’ici 2050 (RCP 4.5). Le risque s’étendrait à des zones aujourd’hui peu impactées : près de 50 % des landes et forêts métropolitaines pourraient être concernées par un niveau élevé de l’aléa feux de forêt, contre seulement un tiers en 2010 (11).

L’évaluation des risques portant sur le secteur forestier est d’autant plus importante que la forêt est à la fois source de biomasse et génératrice de puits de carbone. Sa détérioration pourrait donc nuire aux objectifs de neutralité. D’après une étude de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et de l’Institut géographique national (IGN) (12), le stockage carbone annuel dans l’écosystème forestier pourrait, à l’horizon 2050, être de l’ordre de 40 % plus faible dans le scénario climatique RCP 8.5 qu’à climat actuel. À titre de comparaison, l’Onerc prévoyait dès 2009 une baisse de la productivité forestière annuelle, et donc de l’accroissement du stock de carbone, de 6 % à 16 % à l’horizon 2100.

Dès aujourd’hui, le Haut Conseil pour le climat (HCC) (13) rapporte que les puits nets de carbone liés aux forêts ont diminué de 72 % de 2013 à 2019, en partie pour des raisons méthodologiques, mais également à cause de la détérioration du puits forestier sous l’effet de la diminution de la production biologique, de l’augmentation des prélèvements et de la mortalité (sécheresse, tempêtes, incendies, scolytes).

Risques littoraux

D’après le premier volume du sixième rapport d’évaluation du Giec, le niveau moyen global des mers a augmenté de 14 à 25 centimètres entre 1901 et 2018. Cette augmentation du niveau de la mer entraîne d’une part des phénomènes de recul du trait de côte et, d’autre part, une augmentation des risques de submersion marine. Déjà visible sur 20 % du littoral métropolitain, le recul du trait de côte a également des causes anthropiques directes (artificialisation, modification des transports de sédiments).

À l’horizon 2100, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) estime qu’entre 5 000 et 50 000 logements, pour une valeur entre 0,8 et 8 milliards d’euros, seraient directement menacés par l’érosion côtière (14).

Au même horizon temporel mais en étendant le champ d’analyse aux risques de submersion marine, Callendar, startup française spécialisée dans l’évaluation des risques climatiques, aboutit à une fourchette de 30 000 à 150 000 logements concernés, pour une valeur entre 10 et 50 milliards d’euros. Par ailleurs, France Assureurs estime le surcoût lié aux submersions marines à 100 millions d’euros annuels, presque intégralement dû au changement climatique, sur la période 2020-2050 selon le scénario RCP 8.5 (15).

Enfin, au-delà du champ des logements mentionnés infra, on remarque qu’on ne dispose pas de synthèse de l’exposition des infrastructures et des activités économiques aux risques littoraux.

Biodiversité

L’IPBES (16) indique que le changement climatique est l’une des principales causes de l’érosion de la biodiversité, avec la modification de l’usage des sols et des milieux aquatiques (pertes et fragmentation d’habitats), la surexploitation de la biodiversité (chasse, braconnage, surpêche), la pollution (de l’eau, de l’air, des sols) et l’introduction d’espèces envahissantes. D’après les travaux menés dans le cadre de l’évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques (Efese) (17), le changement climatique affecte et affectera durablement les écosystèmes métropolitains (forêts et écosystèmes agricoles, écosystèmes de haute montagne), entraînera une hausse des situations de stress hydrique auxquelles sont exposés les milieux aquatiques terrestres et induit déjà des modifications des milieux qui impactent la structure et le fonctionnement des écosystèmes marins.

À cela s’ajoute une vulnérabilité particulière des écosystèmes ultramarins (perturbation récente et de grande ampleur de la forêt amazonienne, exposition accrue aux incendies des écosystèmes altimontains réunionnais ou très forte vulnérabilité des écosystèmes coralliens).

Pour autant, hormis les travaux de l’Efese, les connaissances sur les conséquences physiques et socioéconomiques du déclin de la biodiversité demeurent aujourd’hui lacunaires. Au-delà du potentiel d’activité économique directement lié aux écosystèmes, certains services non marchands (services écosystémiques) échappent au périmètre des évaluations socioéconomiques, en dehors de quelques estimations de consentement à payer.

Énergie (offre et demande d’électricité)

Côté demande, le réchauffement entraînera une baisse de la consommation de chauffage et un recours accru à la climatisation (respectivement, principalement en hiver et en été). D’après RTE, les économies d’énergie ainsi réalisées sur le chauffage et les dépenses nouvelles liées à la climatisation seraient globalement équivalentes à l’horizon 2050 (18), ce qui contribuerait à lisser la demande dans l’année.

Côté offre, les aléas climatiques et la tension sur la ressource en eau pourraient affecter la production nucléaire et la production hydroélectrique, mais de manière a priori modérée : par exemple, le risque d’indisponibilité simultanée du parc nucléaire en bord de fleuve à un instant donné doit passer de 4 Gigawatt (GW) une année sur dix en 2000 à 6 GW à l’horizon 2050. Dans un contexte d’augmentation de la consommation en été, ces pertes de puissance peuvent ne pas être négligeables.

Les auteurs insistent néanmoins sur l’incertitude autour de l’évolution du débit réel des cours d’eau à long terme (liée à l’augmentation éventuelle des besoins en eau des autres secteurs et à l’incertitude inhérente aux projections hydrologiques) et sur les conséquences sur les réservoirs hydrauliques à la fin de l’automne, entraînant des risques de sécheresse prolongée.

Cependant, le scénario météorologique identifié comme étant le plus à risque, qui pourrait se produire une fois tous les vingt ans, est la conjonction d’un manque de vent et d’une vague de froid sur une grande partie de l’Europe. Il serait donc localisé en saison froide, ce qui l’expose moins à la réduction des capacités de production nucléaires et hydroélectriques due aux épisodes de sécheresses et de fortes chaleurs.

Infrastructures et réseaux

Les impacts du changement climatique sur les réseaux de transport terrestre, d’électricité et de télécommunications sont décrits qualitativement dans une publication récente de France Stratégie (19). Une étude de Carbone 4 a proposé une méthodologie d’estimation des coûts des dommages aux infrastructures de réseaux à l’échelle française pour certains secteurs en scénario RCP 8.5, à l’horizon 2050, en se fondant sur des cas types d’infrastructures (françaises ou étrangères) existantes, ou des études à l’échelle européenne (20).

À titre d’exemple, les surcoûts induits par ce scénario s’élèveraient à 1,5 milliard d’euros par an pour les réseaux routiers entre 2035 et 2050, soit 10 % du budget total alloué à la rénovation des routes en France chaque année. Des coûts plus modestes sont avancés pour les infrastructures ferroviaires, le réseau d’électricité et le transport aérien.

Ces chiffrages sont des premiers ordres de grandeur et d’autres estimations seraient nécessaires pour les confirmer (ou les infirmer). En particulier, la mise en place d’une structure de gouvernance nationale des risques sur les infrastructures, s’appuyant sur des expérimentations territoriales, serait un cadre idéal d’évaluation de ces coûts (21).

Bâtiments

Plusieurs exercices prospectifs portant sur l’évolution de la charge des sinistres supportés par les assureurs ont été réalisés depuis la revue de l’Onerc. Les portefeuilles incluent la quasi-totalité des logements privés et les bâtiments professionnels. D’après France Assureurs, le montant moyen des sinistres liés aux catastrophes naturelles (sécheresses/retrait-gonflement des argiles, inondations, submersion marine, tempêtes) devrait doubler à l’horizon 2050, passant de 2,4 milliards d’euros par an (1989-2019) à 4,6 milliards d’euros par an (2020-2050) dans le scénario RCP 8.5.

Plus d’un tiers de cet accroissement est dû au changement climatique (35 %), 53 % à l’augmentation des valeurs assurées, 7 % à la variabilité naturelle du climat et 5 % à la répartition géographique des valeurs assurées (22).

D’après l’ensemble des études du secteur assurantiel, l’accroissement de la valeur des sinistres dû au seul changement climatique se situe entre + 20 % et + 60 %. Selon la source, l’aléa à l’origine de la plus forte augmentation des sinistres en valeur absolue est soit la sécheresse/le retrait-gonflement des argiles (France Assureurs), soit l’inondation (Covéa).

À l’inverse, les modèles climatiques ne prévoient pas d’augmentation des dommages liés à l’aléa tempête du fait du changement climatique. D’après France Assureurs, les dommages liés à l’accroissement du retrait-gonflement des argiles passerait de 450 millions d’euros par an sur la période 1989-2019 à 1,3 milliard d’euros par an sur 2020-2050, et 59 % de cette hausse serait due au réchauffement climatique.

Les sinistres seraient particulièrement concentrés dans le sud-ouest du territoire.

Tourisme

Le secteur du tourisme de ski a été et demeure pionnier dans l’analyse des risques climatiques. Déjà en 2009, l’Onerc donnait une estimation du nombre de stations de ski françaises bénéficiant d’un enneigement « fiable » qui pourrait diminuer de 30 % à plus de 60 % selon le niveau de réchauffement (à + 2 °C ou + 4 °C) d’après une étude de l’OCDE (23).

Récemment, une étude sur les conséquences locales du changement climatique sur l’enneigement (24) a avancé des résultats plus pessimistes : dans les Pyrénées, sous un réchauffement global de + 2 °C29, seules trois stations pourraient encore compter un enneigement naturel et la moitié des stations ne pourraient plus fonctionner selon les critères actuels d’exploitation, même à l’aide de neige artificielle. À + 4 °C, aucune station des Pyrénées ou des Alpes ne présenterait un enneigement naturel fiable : seulement une vingtaine de stations dans les Alpes pourraient fonctionner, sous condition d’enneigement artificiel, car l’épaisseur du manteau neigeux en hiver y serait diminuée de 80 % (contre seulement – 30 % à + 2 °C).

D’autres types de tourismes pourraient être affectés (dans un contexte de hausse des températures estivales ou d’accroissement de la tension sur l’eau).

Santé

Le risque le plus identifié du changement climatique sur la santé humaine est celui lié à l’accroissement en fréquence et en intensité des vagues de chaleur (accroissement de la fatigue, perte d’attention, symptômes cardiovasculaires, troubles de la grossesse, sollicitation accrue du système de santé, surmortalité). Ces événements sont déjà associés à une surmortalité (+ 10 700 décès depuis 2015, dont 2 820 en 2022 (25).

Le coût cumulé entre 2015 et 2020 en France métropolitaine de cette surmortalité est estimé entre 16 et 30 milliards d’euros par Santé publique France (26), auquel s’ajoutent des pertes de bien-être liées à une restriction d’activité les jours de plus forte chaleur de 6 milliards d’euros (27). D’après Santé publique France (28), à partir d’une étude statistique d’ampleur mondiale (fondée sur des relations température-mortalité utilisées évaluées au niveau local), la part de la mortalité future attribuable aux extrêmes de température (chaleur et froid) varierait entre 0,1 % (RCP 2.6, faibles émissions) et 1 % (RCP 8.5, fortes émissions) en 2050 et entre 0,2 % (RCP 2.6, faibles émissions) et 4 % (RCP 8.5, fortes émissions) en 2100.
D’autres risques sanitaires, comme l’accroissement de la transmissibilité des maladies infectieuses, sont décrits de manière qualitative mais ne sont pas quantifiés au niveau français sous climat futur.

Renforcer l’analyse des risques climatiques implique une meilleure articulation des évaluations des dommages entre maille locale et nationale, encourageant les aller-retours entre les deux. Une analyse des coûts d’une éventuelle inaction au niveau local, comme demandé pour la mise en place d’actions dans le cadre des Plans climat air-énergie territoriaux (PCAET), est nécessaire pour mieux cerner les enjeux liés aux bâtiments, aux infrastructures, aux activités économiques locales exposées (ex : usage de l’eau) et aux effets de santé (ex : chaleur). Toutefois, encore peu des éléments fournis sont donnés en termes de coûts, ce qui limite la capacité d’établir des priorités.

Aussi, ces analyses gagneraient à mieux prendre en compte les inégalités, que ce soit en matière d’exposition ou de vulnérabilité, ainsi que la sensibilité des résultats aux points de basculement climatique, ou la propagation au territoire national des risques interrégionaux. Dans ce cadre, le pilotage de l’évaluation des risques climatiques devrait être renforcé, et constituerait un outil utile pour l’élaboration de politiques publiques d’adaptation au changement climatique.

La connaissance des impacts du changement climatique doit être améliorée à tous les maillons de la chaîne de causalité, et en priorité à la maille territoriale. Cela étant dit, au regard de la complexité des transformations envisagées, les choix de politique publique devront se montrer robustes face aux incertitudes intrinsèques aux différents exercices de prospective.
En tout état de cause, les besoins en matière d’évaluation des impacts ne doivent pas retarder la mise en œuvre des actions d’adaptation : dès lors que des actions dites « sans regret » ont pu être identifiées (29), celles-ci peuvent être déployées sans délai.

(1) Onerc (2009), Changement climatique. Coûts des impacts et pistes d’adaptation, Paris, La Documentation française, 194 p.
(2) Dépoues V., Dolques G. et Nicol M. (2022), Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France. De combien parle-t-on ? étude, I4CE, juin, 66 p.
(3) Météo-France (2011), Projet ClimSec. Impact du changement climatique en France sur la sécheresse et l’eau du sol, rapport final, mai, 72 p.
(4) Vulnérabilité conditionnée par une plus ou moins grande résilience face au risque
(5) Representative Concentration Pathways : trajectoire d’émissions et de niveau de forçage radiatif, c’est-à-dire la variation du flux radiatif net au sommet de l’atmosphère (exprimé en W/m2) dû à la modification de facteurs externes à l’horizon 2100, utilisé par le Giec dans son cinquième rapport. Il en existe quatre (RCP 2.5, RCP 4.5, RCP 6.0 et RCP 8.5). Le scénario RCP 6.0 correspond à un forçage radiatif de 6 W/m² d’ici 2100, correspondant à un réchauffement global entre 3 °C et 4 °C. Le scénario RCP 8.5, le plus pessimiste, est fréquemment utilisé dans les références utilisées dans ce document.
(6) Ademe (2012), Livre Vert du projet Climator (2007-2010). Changement climatique, agriculture et forêt en France : simulations d’impacts sur les principales espèces, 334 p. Climator utilise les scénarios SRES, ancêtres des scénarios RCP, et privilégie le scénario A1B, qui correspond au RCP 6.0.
(7) CGAAER (2022), Évaluation du coût du changement climatique pour les filières agricoles et alimentaires, rapport n° 21044, avril, 117 p.
(8) Giec (2022), Climate Change 2022. Impacts…, op. cit.
(9) Ademe (2012), Livre Vert du projet Climator…, op. cit
(10) Audition de François Pimont, ingénieur de recherche à l’Inrae, cité dans Sénat (2022), Feux de forêt et de végétation. Prévenir l’embrasement, rapport d’information de M. Jean Bacci, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Pascal Martin et Olivier Rietmann, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques, août.
(11) CGEDD, CGAAER et IgF (2010), Rapport de la mission interministérielle Changement climatique et extension des zones sensibles aux feux de forêt, rapport final, juillet, 190 p. (à partir de données Météo-France).
(12) Roux A., Colin A., Dhôte J.-F. et Schmitt B. (2020), Filière forêt-bois et atténuation du changement climatique. Entre séquestration du carbone en forêt et développement de la bioéconomie, Paris, Quae, 152 p.
(13) HCC (2022), Dépasser les constats, mettre en œuvre les solutions, Haut Conseil pour le climat, rapport annuel, juin, 216 p.
(14) Cerema (2020), Connaissance du trait de côte. Évaluation prospective des enjeux affectés par le recul du trait de côte, rapport d’étude, coll. « Connaissance », janvier, 23 p. L’effet du changement climatique sur l’augmentation du niveau de la mer n’est pas explicitement modélisé dans ces travaux : les auteurs considèrent que ce phénomène est décrit implicitement dans leur scénario où le recul du trait de côte (actuellement à l’œuvre sur 20 % de la bande côtière) est étendu à l’ensemble du littoral.
(15) France Assureurs (2021), « Impact du changement climatique sur l’assurance à l’horizon 2050 », étude, octobre, 30 p.
(16) Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services.
(17) CGDD (2020), Du constat à l’action. Rapport de première phase de l’évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques, Paris, La Documentation française, 266 p.
(18) RTE (2022), Futurs énergétiques 2050, rapport complet, juin, 988 p. (chapitre 8).
(19) Rais Assa C., Faure A. et Gérardin M. (2022), « Risques climatiques, réseaux et interdépendances : le temps d’agir », France Stratégie, La Note d’analyse, n° 108, mai, 12 p.
(20) Carbone 4 (2021), Le rôle des infrastructures dans la transition bas-carbone et l’adaptation au changement climatique de la France, rapport complet, décembre, 105 p.
(21) Rais Assa C., Faure A. et Gérardin M. (2022), « Risques climatiques, réseaux et interdépendances : le temps d’agir », op. cit.
(22) France Assureurs (2021), « Impact du changement climatique sur l’assurance à l’horizon 2050 », étude, octobre, 30 p.
(23) OCDE (2006), Changements climatiques dans les Alpes européennes. Adapter le tourisme d’hiver et la gestion des risques naturels, 136 p.
(24) Spandre P., François H., Verfaillie D., Pons M., Vernay M., Lafaysse M., George E. et Morin S. (2019), « Winter tourism under climate change in the Pyrenees and the French Alps: relevance of snowmaking as a technical adaptation », The Cryosphere, vol. 13(4), avril, p. 1325-1347, cité dans WWF (2021), Dérèglement climatique. Le monde du sport à +2 °C et +4 °C, rapport, juillet, 63 p.
(25) Données Santé publique France.
(26) Adélaïde L., Chanel O. et Pascal M. (2021), « Évaluation monétaire des effets sanitaires des canicules en France métropolitaine entre 2015 et 2020 », Santé publique France, Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n° 12, p. 215-233. La mortalité est exprimée soit en années de vies perdues (16 milliards d’euros), soit en nombre de décès supplémentaires (30 milliards d’euros).
(27) La restriction d’activité correspond à des périodes de chaleur extrême (deux jours en 2019 et quatre à cinq jours en 2020) et est évaluée à 43 euros par personne exposée et par jour d’activité restreinte, suivant plusieurs études internationales. Cette valeur est recommandée par Ready R., Navrud S., Day B. et al. (2004), « Benefit transfer in Europe : How reliable are transfers between countries? », Environmental and Resource Economics, n° 29, p. 67-82.
(28) À partir de Gasparrini A., Guo Y., Sera F. et al. (2017), « Projections of temperature-related excess mortality under climate change scenarios », The Lancet Planetary Health, vol. 1(9), décembre, p. e-360-e367, cité dans Sénat (2019), Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050. Urgence déclarée, rapport d’information de MM. Ronan Dantec et Jean-Yves Roux, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, mai, 190 p. (audition de Santé publique France).
(29) Voir Dépoues V., Dolques G. et Nicol M. (2022), Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France. De combien parle-t-on ?, étude, I4CE, juin, 66 p.

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patricia.fetnan@gmail.com
1 année

«  La Terre m’a dit : pose ton oreille contre mon écorce, entends-tu notre cœur battre ? » «  La forêt m’a dit : si tu laisses ma terre se dessécher, je cracherai des flammes, comme le volcan. »

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