La vision européenne de l’environnement est-elle partagée par le reste du monde ? L’ampleur des changements sera-t-il le même en Europe et dans les pays tiers ? Les inégalités entre pays ne vont-elles pas être un facteur de divergences ? …
C’est à ces questions qu’ont tenté de répondre un certain nombre de personnalités lors du séminaire Département Société, Liberté, Paix du Collège des Bernardins où Corinne Lepage et Jean-Paul Bouttes étaient intervenants.
Cette séance du 9 avril 2016 s’inscrivait dans le programme de la seconde année du séminaire « Mémoires, identités et imaginaires des européens » consacrée à des thèmes transversaux comme celui de l’environnement, et posait comme question : « Quand on pense environnement et Europe quelle est la dominante, les spécificités nationales ou une vision transculturelle s’imposant de l’extérieur car elle touche à des questions essentielles ? »
Corinne Lepage a expliqué que la construction européenne a donné à l’environnement un poids considérable bien que les traités initiaux n’en fassent pas mention. C’était une demande des populations et une capacité de faire de la Commission européenne qui ont instauré le droit de l’environnement en Europe.
Après les années 1990, un certain nombre de traités ont vu le jour qui prévoit des dispositions relatives à l’environnement qui ont permis l’adoption de directives.
Le droit de l’environnement s’est donc construit assez vite et de manière assez rigoureuse. La législation en la matière est cependant devenue très touffue car elle touche à de très nombreux secteurs. La commission compétente en la matière au Parlement européen est d’ailleurs la plus importante commission législative.
L’environnement au sens européen c’est l’environnement et la santé. C’est la jonction entre les intérêts des consommateurs et les questions environnementales et donc un champ de compétence très important qui inclut le climat, l’énergie, la pollution et la sécurité alimentaire. C’est un acquis que personne ne remet en cause.
Vis à vis du reste du monde, on doit constater qu’Il y a une vision européenne de l’environnement, un acquis portant sur les définitions, les champs de compétences, les objectifs. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas de très fortes perceptions nationales et des différences dans l’application des textes. Il y a de vraies différences liées aux traditions nationales, aux niveaux de développent et aux niveaux industriels, aux différences culturelles. En Allemagne, par exemple, on a été capable de considérer que l’environnement pouvait être un outil industriel et concurrentiel, ce qui n’a pas été le cas en France.
La question de l’environnement touche aux rapports entre l’Etat et la société ainsi qu’aux rapports entre l’Etat et les collectivités territoriales. Dans les pays du nord de l’Europe, existe une relation de confiance entre l’Etat et la société et dès lors une démocratie participative ne pose pas de problème. Il en va différemment en France où il y a une tradition de défiance entre l’Etat et la société, entre ceux qui savent et la société qui ne sait pas. Ces différences de culture ont un impact sur la gestion des projets, sur le fonctionnement de la justice. Cette coupure entre Europe du nord et Europe du sud doit cependant être nuancée car certains pays du sud comme l’Italie sont plus proches de l’Europe du nord que de ceux du sud.
En particulier, les approches différèrent sur l’application des textes communautaires. En matière de santé et d’environnement, sujet qui peut paraitre secondaire par rapport au climat mais qui ne l’est pas en réalité, les pays de l’Europe du nord sont les plus rigoureux et peuvent même avoir des règles d’un niveau supérieur à celui décidé au niveau européen.
On doit donc constater que les cultures réapparaissent dans un espace partagé.
Jean-Paul Bouttes s’est dit frappé par le parallélisme fait entre environnement et énergie. Au niveau européen la diversité des positions sur les plans politiques et économiques est très forte et il y a des difficultés à mettre en place une vraie politique énergétique. Elles trouvent leurs sources dans les différences entre les histoires nationales ce qui explique l’importance du rôle des Etats-membres ainsi que la répartition des compétences dans les traités européens. Cette situation n’est pas satisfaisante. On est obligé d’aller de l’environnement vers des politiques sectorielles et la question se pose alors de savoir comment articuler les politiques.
Il a été frappé de constater que depuis les années 1950/60 on voit émerger des préoccupations de protection de la nature et des productions locales puis un élargissement vers le sanitaire et l’agriculture et une dimension spatiale planétaire liée au climat dans les années 1980, 1990 et 2000. A partir des années 1970-80 les questions se posent au niveau global avec l’arrivée des Etats-Unis et des pays émergents.
Devant cette réalité, on assiste alors au démarrage des politiques publiques notamment en Allemagne et en France. L’Acte Unique européen de 1986 et le traité de Maastricht de 1992 inscrivent l’environnement au titre des politiques européennes. L’Europe va alors avoir un rôle normatif. Cela n’est pas un hasard car pendant 10 à 15 ans avant la constitution de l’Europe l’environnement a été très détruit.
Il a également été frappé par les résultats de sondages. En France le second sujet de préoccupation c’est l’environnement. Toutefois sur la question des actions concrètes et efficaces à prendre pour la protection de l’environnement les français n’envisagent pas de mesures immédiates touchant à leur mode de vie personnel. S’ils sont favorables au tri des déchets, en revanche leurs réactions sont réservées sur une diminution de la consommation de viande ou de l’utilisation de leur voiture.
Pour avancer il faut toucher à des secteurs dans lesquels les traditions nationales divergent et les politiques doivent se mobiliser même si les sondages montrent que la confiance dans les politiques s’est affaiblie. Les sondages montrent également que les français sont proches des allemands mais que les réponses divergent sur la question de la gestion des problèmes. Alors que la première préoccupation des français ce sont les générations futures et le monde, les allemands sont préoccupés par le moi. Les britanniques sont très pragmatiques et optimistes sur l’inventivité de l’homme. La plus grande différence dans les réactions vient de celles des habitants des pays de l’Europe de l’Est, les questions de développement économique, de croissance et d’environnement étant plus difficiles à régler pour eux que pour nous. Dans le domaine de l’énergie, on constate de grandes différences entre les pays quant aux sources d’énergie et à l’usage de ces énergies ce qui a des conséquences sur l’économie et la sécurité des approvisionnements.
Au vu des différences entre les pays, il faut examiner les enjeux sur le long terme.
En France, la sécurité de l’approvisionnement et la croissance des ressources énergétiques sont au cœur de la question des ressources énergétiques. Il y a une géographie française des ressources (charbon dans le nord, hydraulique dans le massif central et dans les Alpes du sud et une consommation très forte en région parisienne et en région Rhône-Alpes) et une interconnexion qui permet des complémentarités. En Allemagne la situation est différente puisqu’il y a du charbon partout, la consommation est identique dans les régions et le rôle des collectivités locales important. Par ailleurs, en France la révolution industrielle a été ratée et les opérateurs veulent reprendre le pouvoir sur les étrangers alors qu’en Allemagne on constate un phénomène de longue période.
Au vu des différences entre les Etats européens dans leurs ressources énergétiques, il faut examiner les enjeux sur le long terme et notamment la question de la sécurité de l’approvisionnement.
La mise en place d’une politique énergétique européenne sera difficile. Si les traités européens notamment le traité de Lisbonne placent la politique énergétique dans le champ de la compétence européenne, il faut observer que les questions liées à la sécurité énergétique relèvent de la compétence propre des Etats membres. On comprend les difficultés mais on ne peut s’en contenter.
Stéphane Rozès a relevé que les deux intervenants ont souligné le caractère récent de la vision européenne de l’environnement. Toutefois, la première intervenante a relevé que des différences apparaissent dans les conditions de sa mise en œuvre. Le second nous dit que si on veut aller plus loin que le commun il faut se pencher sur l’articulation entre environnement et économie et y réfléchir ensemble.
Par ailleurs, Il y a un paradoxe dans le constat selon lequel l’Europe est à la pointe sur le sujet de
l’environnemental tout en relevant des différences entre l’Europe et le reste du monde. On dit en Europe que l’homme maitrise la nature alors qu’en Asie l’homme est un élément de la nature. L’Europe est la partie du monde où l’idée qu’il y aurait une responsabilité de l’homme est la plus évidente alors qu’en Asie il n’y a pas de perspective de développement d’une politique publique.
Corinne Lepage a relevé que les exigences en matière de développement et de démographie influencent le comportement des pays d’Asie. Dans les débats sur les questions, à la question de la culpabilité de l’homme doit être ajoutée celle de la responsabilité de la dette historique, de la responsabilité pour le temps présent et de la richesse des Etats. Concernant les pays de l’est de l’Europe, il y a certes un problème d’approvisionnement mais il faut aussi prendre en compte les différences dans la conception de l’Etat.
Dans ces pays l’Etat c’est le totalitarisme et dés lors quand on parle d’Etat au niveau européen on ne parle pas de la même chose. La révolution écologique ne se fera donc pas par les Etats.
Enfin, doit être souligné l’importance que va prendre la révolution sur les prix qui va se produire dans les quinze ans à venir ; le nucléaire de nouvelle génération va en particulier devenir très couteux et l’unification sur le marché va se faire par les prix.
Jean-Paul Bouttes a partagé l’analyse tout en relevant que si nous faisons preuve d’efficacité notamment dans le stockage de l’énergie les prix du pétrole ne seront pas forcément très élevés. A l’horizon 2030, le parc européen de l’énergie devra être renouvelé et nous devons donc construire les nouvelles bases de notre politique industrielle et de notre politique publique. Concernant l’environnement, il faut rappeler que l’histoire de notre occident est une histoire de prudence, nous n’avons pas un modèle planétaire. Le principe de précaution est excessif. Il faut assumer ses responsabilités et avoir une vision du futur et ouvrir les champs du possible.
Corinne Lepage a relevé que nous sommes entrés dans une nouvelle dimension anthropocentrique mais on ne sait pas si ce qu’on vit est de nature biologique ou historique. Nous sommes aussi entrés dans la révolution numérique qui va modifier la vie économique et sociale et nous devons donc maitriser notre capacité de faire.
Le constat peut être fait que les humains devront vivre autrement mais comment faire. Nous sommes dans la rencontre entre l’urgence et l’incapacité d’action et les Etats utilisent des méthodes qui renforcent les spécificités historiques et ce qui conduit à des prises de position divergentes et donc inadaptées.
Des éclaircissements ont été demandés sur les conséquences de l’extraction du gaz de schiste, sur la liquéfaction du gaz qui permettrait plus d’indépendance énergétique, sur les rapports du GIEC, sur les raisons d’une culture politique de l’environnement plus forte en Allemagne qu’en France et sur l’évolution des changements climatiques.
Corine Lepage a précisé que la seule technique qui existe actuellement pour l’extraction du gaz de schiste est celle de la fracturation hydraulique. Il y a aussi un problème de rentabilité et en Europe les positions sont très différentes. Sur notre indépendance énergétique il faut rappeler que tant que tant que nous ne serons pas passés aux énergies renouvelables on sera dépendant du stockage énergétique. Les rapports du GIEC sont des métas analyses dont on tire une synthèse lisible pour les décideurs avec des scenarios et des problématiques. Ce sont donc des constats résultant d’études et non pas des choix politiques.
Sur le gaz de schiste a été relevé que si des produits chimiques sont utilisés pour l’extraction du gaz en réalité la technique d’extraction n’existe pas, il y a des problèmes de rentabilité et une absence d’accord au niveau européen. L’Europe n’a pas de ressources suffisantes pour être indépendante. La présentation des rapports du GIEC sont d’ordre politique. En Allemagne existe une tradition culturelle de l’environnement que l’on ne retrouve pas en France.
Jean-Paul Bouttes a considéré qu’il y deux catégories de problèmes. Les questions relatives au CO2 et au GIEC sont globales alors que celles relatives au gaz de schiste sont certes importantes mais concernent l’environnement local. Concernant le gaz de schiste un bilan coût/avantage doit être fait mais il ne faut pas pour autant interdire la recherche. Derrière le GIEC, il y a trois groupes de travail l’un sur l’évolution climatique, l’autre sur l’impact sur la vie humaine et enfin sur les solutions qui progressent à des rythmes différents. Le plus important est le premier. Il y a une réalité mais des incertitudes sur les impacts et les remèdes. La difficulté c’est de savoir comment structurer un débat, comment se mettre en mouvement pour sauver la planète. Sur la question des ressources en Europe, la situation est différente entre la France qui peut trouver des ressources de gaz ailleurs qu’en Algérie et des pays comme les pays baltes, la Roumanie, les Pays-Bas et la Slovaquie qui ont une solidarité intra européenne insuffisante. Le problème n’est pas technique, il est politique.
La vision européenne de l’environnement est-elle partagée par le reste du monde ? L’ampleur des changements sera-t-il le même en Europe et dans les pays tiers ? Les inégalités entre pays ne vont-elles pas être un facteur de divergences ? Quels sont les pronostics sur la Conférence sur le climat ?
L’anthropocentrisme ne va-t-il pas conduire à une prise de pouvoir politico-scientifique qui mettrait tout le monde d’accord ?
Corinne Lepage ne peut faire de pronostics sur l’ampleur des changements. Elle a souligné que tous les pays vont bénéficier des progrès techniques. Sur la question d’une vision mondiale de l’environnement, elle a rappelé que c’est l’Europe qui a porté le sujet de l’environnement et que ce qui est irritant c’est qu’elle n’a pas constitué un leadership industriel. Actuellement, on peut constater que la vision européenne de l’environnement est partagée par beaucoup de pays.
Elle a souligné que lors de la conférence sur le climat qui se déroulera à Paris dont la France est le pays hôte au titre du continent européen le rôle de l’Europe sera important. Elle aura un rôle de médiateur, de facilitateur et c’est la Commission européenne qui jouera ce rôle. La participation des Etats-Unis et de la Chine sera importante quant aux résultats à en attendre.
Jean-Paul Bouttes a relevé que dans certains pays comme le Brésil ou la Chine certains industriels commencent à constater des évolutions climatiques et à se poser la question de l’adaptation des industries à ces transformations. Le problème pour ces pays c’est de concilier croissance économique, développement et environnement. Ils sont donc plus exigeants sur les analyses économiques.
Nous devons être moins donneur de leçons mais être à l’écoute, structurer cette écoute pour avancer et aussi exprimer notre position.
Source : « Mémoires, identités et imaginaires des européens »
Collège des Bernardins
Corinne Lepage est ancienne ministre de l’environnement, députée européenne, présidente de Cap 21 et a ouvert depuis les années 1970 un cabinet d’avocats sur les questions d’environnement. Elle a écrit de nombreux ouvrages et rédige actuellement un rapport sur la synergie dans l’économie du nouveau monde.
La ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie lui a confié une mission sur la transition économique pour les acteurs du Nouveau Monde. Elle a un point commun avec Jean-Paul Bouttes puisqu’elle part du concret pour envisager la transition écologique, économique et sociétale.
Jean-Paul Bouttes est chief economist d’EDF, ancien directeur de la stratégie et de la prospective. Il a également été actif au plan européen en écrivant plusieurs rapports et en animant des réseaux. Il réfléchit aux questions culturelles et écologiques. Il est responsable d’un grand groupe industriel et est attentif à ce que la transition écologique puisse advenir correctement.
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