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Le spleen de ceux qui vous donnent (encore et toujours plus) de mauvaises nouvelles sur le climat

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Tous les voyants de l’état du climat sont au rouge vif. Il ne se passe pas une journée sans qu’un chercheur, un scientifique, un climatologue n’écrive un article alarmiste sur la dégradation du climat. Les journalistes n’en reprennent qu’une infime partie tant la masse d’informations sur le sujet est abondante. À la longue, ce flux de mauvaises nouvelles ne risque-t-il pas de dégrader la santé mentale de ceux qui sont aux premières loges : les scientifiques du climat et les informateurs spécialisés ? Cette question étrange a été posée par une universitaire américaine qui signe un article dans la prestigieuse revue Nature. Quelles sont les conséquences de cette plongée quotidienne dans une information déprimante et quelles sont les sources de résilience ? Le savoir s’avèrera, sans doute, très utile quand cette exposition aux mauvaises nouvelles deviendra le quotidien pré et post-traumatique de l’ensemble de la population sur notre planète.
 
Le changement climatique affecte tous les écosystèmes de la planète mais il n’est pas sans conséquences sur la santé mentale des êtres humains. De plus en plus de recherches décrivent les implications du dérèglement climatique sur la santé physique mais aussi documentent une gamme d’effets potentiels sur la santé mentale. Les phénomènes météorologiques violents comme les ouragans, les sécheresses, les inondations, les canicules et les feux de forêt – qui devraient tous devenir plus fréquents à mesure que la dégradation du climat s’intensifie – sont clairement associés à des pathologies psychologiques comme le syndrome de stress post-traumatique, l’anxiété et la dépression. Les changements plus lents mais plus profonds dans l’environnement qui résultent de la hausse des températures, de l’évolution des précipitations et de l’élévation du niveau de la mer auront également des effets négatifs sur le bien-être humain. De plus en plus de personnes éprouvent au sujet du climat des niveaux de peur et d’anxiété qui nuisent à leur santé mentale. L’intensité des troubles varie d’une population à l’autre. Quand on est situé dans une zone géographique menacée, comme les côtes océaniques par exemple ou les zones de forte sécheresse, on est susceptible de développer plus fortement des symptômes de ce que les experts dénomment le « traumatisme climatique ».
 

Professionnellement déprimé

Ces troubles sont ceux qui peuvent atteindre tout être humain, quelle que soit sa culture. Mais que dire de ceux dont c’est le métier d’être exposé quotidiennement aux informations sur les menaces climatiques ? L’universitaire américaine Susan Clayton pose cette question dans un article qui vient d’être publié dans la revue Nature. Les climatologues, les scientifiques spécialisés sur le sujet tout comme les journalistes qui suivent ces questions, sont confrontés quotidiennement aux changements de notre environnement. Ils y sont attentifs et mieux informés que le reste de la population. « Leur prise de conscience est certainement une condition préalable à une réponse émotionnelle » écrit Susan Clayton. L’auteur s’appuie dans son analyse sur un modèle proposé par des chercheurs[1] de l’équipe du psychologue Graham Bradley selon lequel l’expérience de la dégradation de l’environnement prédit la perception du risque, ce qui à son tour prédit la détresse. Selon eux, « l’adaptation psychologique, qui consiste à accorder plus d’attention au changement climatique, à l’accepter comme une menace et à adopter une attitude de résolution de problèmes à l’égard du changement climatique, renforcerait la relation entre la perception du risque et la détresse ».
 
On peut imaginer qu’en moyenne, les climatologues entendus au sens large, sont susceptibles d’avoir plus de valeurs pro-environnementales qu’un citoyen lambda. Pour eux, les risques climatiques sont plus pénibles à supporter car ils ont conscience qu’ils menacent quelque chose qui a de la valeur. Des études[2] ont déjà montré que les personnes ayant une orientation pro-environnementale déclarent davantage de cas de détresse psychologique. De la même manière, des spécialistes du climat peuvent être confrontés à des menaces pour leur identité personnelle et leur sentiment d’identité : ils peuvent se sentir impuissants face à l’augmentation des émissions de CO2, et le changement climatique peut miner leur sentiment d’identité professionnelle. Établissant un lien entre la profession et la santé mentale, Camille Parmesan, collaboratrice du GIEC, s’est décrite comme étant « professionnellement déprimée »[3].
 
Les journalistes ayant à traiter des questions sur le climat sont, sans doute pour une grande majorité d’entre eux, conscients du risque traumatique que représente la répétition des mauvaises nouvelles sur le climat. Car la litanie est longue des catastrophes annoncées ou avérées. Certains forgent même des mécanismes de protection en réduisant l’ampleur des informations. La nouvelle parue ces derniers jours sur l’accélération de l’affaiblissement du courant océanique et notamment du Gulf Stream est un exemple significatif. L’information est capitale, elle est hautement traumatisante pour la plupart de la communauté scientifique concernée, mais elle n’a fait, in fine, l’objet que de très peu de développements dans la presse et singulièrement dans la presse française. Est-ce pour ne pas rajouter à l’angoisse ou est-ce pour se protéger ou inconsciemment protéger les lecteurs d’un éventuel risque traumatique ?
 

Résilience

Dans son article, Susan Clayton note que, si les spécialistes du climat sont particulièrement exposés aux risques de détresse psychologique liées à leur implication dans le sujet, ils peuvent aussi bénéficier de facteurs de protection qui sont moins accessibles aux profanes. Le plus important d’entre eux est le sens de la communauté. Percevoir que l’on travaille avec d’autres en vue d’un objectif commun est certainement une source de soutien et de validation. Le modèle de Graham Bradley montre bien que la recherche de soutien social réduit la force de la relation entre les perceptions du risque et la détresse. Lors de la catastrophe du Deepwater Horizon, cette plateforme de forage en mer qui avait explosé dans le golfe du Mexique, des recherches de suivi auprès des personnes touchées par la catastrophe ont montré que – contrairement aux effets constatés immédiatement après- l’attachement à la communauté a servi à protéger la santé mentale des personnes, dans la durée[4].
 
Dans un autre registre, l’auteur rappelle que le fait de travailler avec d’autres pour résoudre un problème peut aussi donner un sentiment d’habilitation et de signification. Selon un modèle théorique[5], l’activisme communautaire peut mener à l’autonomisation. Par exemple, dans un échantillon d’étudiants noirs et latino-américains, l’activisme politique a permis d’atténuer les effets négatifs de la discrimination sur la santé mentale[6]. De façon plus générale, on a constaté que la participation communautaire permet de prédire (plus fortement qu’on ne le pense) un sentiment d’habilitation personnelle[7].
 
Certes, les spécialistes du climat ne sont pas a priori des activistes communautaires. Il n’en demeure pas moins qu’ils en partagent certaines des caractéristiques. En effet, par leur recherche et leur travail, ils tentent de perturber le statu quo sur la façon dont les sociétés utilisent les ressources naturelles et entretiennent des relations avec la nature. Leur profession leur permet d’affirmer publiquement leurs objectifs et leurs valeurs communes, fournissant ainsi la base d’une identité sociale forte. L’expérience de l’action collective qui découle du travail en groupe peut mener au développement de nouvelles relations sociales et de nouvelles sources de soutien social, à l’expérience d’émotions positives et à l’augmentation de l’estime de soi et de l’autonomisation.
 
Le spleen des spécialistes du climat est vraisemblable, mais l’analyse de Susan Clayton suggère que, plus que d’autres, ces personnes développent des moyens de protection. Avons-nous des preuves sur la dégradation de la santé mentale des climatologues ou des spécialistes du climat ? L’auteur n’a trouvé aucune étude sur le sujet. Il existe en revanche un faisceau d’indices pour dire que ces populations pourraient présenter plus de risques de détresse que d’autres.  Dans une enquête[8] portant sur une population de spécialistes de l’environnement, 77 % des personnes interrogées se disent très préoccupées par la dégradation de l’environnement, 35 % se disent constamment préoccupés par la dégradation de l’environnement et 49 % se disent préoccupés par l’état futur de l’environnement. Décrivant un événement spécifique de dommage environnemental, les répondants ont utilisé des mots tels que :  » en colère « ,  » enragé « ,  » regret « ,  » anxiété  » et  » désespéré « . Une série d’entrevues de suivi avec des éducateurs en environnement et des étudiants diplômés en environnement au sujet des expériences émotionnelles du changement climatique a suggéré qu’il a déclenché une détresse émotionnelle grave.
 
Dans une autre enquête[9], beaucoup plus restreinte, un journaliste scientifique a demandé à un petit échantillon de climatologues (43 personnes) ce qu’ils pensaient du changement climatique. Le sondage n’a pas de prétention scientifique mais ses résultats sont particulièrement éclairants. De nombreux climatologues ont fait état de réactions négatives fortes telles que  » désespérant « ,  » effrayé « ,  » submergé  » et  » outré « . Mais, en même temps, les répondants faisaient état de leur optimisme et de leur espoir.
 
Pour Susan Clayton, les climatologues, population fortement exposée au « traumatisme climatique », développent des mécanismes de résilience qu’il pourrait être utile de connaître pour aider des populations plus larges. Parmi les moyens de résilience, le fait d’être informé, préparé et socialement connecté sont primordiaux.
 
Le thème que développe Susan Clayton dans son article mérite d’être approfondi. Les données sur ce sujet sont encore très partielles mais il semble évident que des populations de plus en plus larges seront exposées à ce traumatisme climatique. Les futurs travaux pourraient permettre d’aider les plus vulnérables à faire face aux multiples formes de détresse mentale que le dérèglement climatique ne manquera pas de multiplier.
 
 
[1]Bradley, G., Reser, J., Glendon, A. I. & Ellul, M. in Stress and Anxiety: Applications to Social and Environmental Threats, Psychological Well-Being, Occupational Challenges, and Developmental Psychology (eds Kaniasty, K. et al.) 33–42 (Logos, 2014).

[2]Searle, K. & Gow, K. Int. J. Clim. Change Strateg. Manage. 2, 362–379 (2010). https://www.emeraldinsight.com/doi/abs/10.1108/17568691011089891

[3]Richardson, J. H. When the end of human civilization is your day job. Esquire (7 July 2015).

[4] Cope, M. R., Slack, T., Blanchard, T. C. & Lee, M. R. Soc. Sci. Res. 42, 872–881 (2013). https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0049089X1200261X?via%3Dihub

[5]Drury, J. & Reicher, S. J. Soc. Issues 65, 707–725 (2009). https://spssi.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1540-4560.2009.01622.x

[6]Hope, E., Velez, G., Offidani-Bertrand, C. & Keels, M. Cultur. Divers. Ethn. Minor. Psychol. 24, 26–39 (2017). http://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.1037/cdp0000144

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[7]Christens, B. D., Peterson, N. A. & Speer, P. W. Health Educ. Behav.38, 339–347 (2011). http://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1090198110372880

[8]Fritze, J. G., Blashki, G. A., Burke, S. & Wiseman, J. Int. J. Ment. Health Syst. 2, 13–22 (2008). https://ijmhs.biomedcentral.com/articles/10.1186/1752-4458-2-13

[9] Fraser, J., Pantesco, V., Plemons, K., Gupta, R. & Rank, S. J. Ecopsychol. 5, 70–79 (2013). https://www.liebertpub.com/doi/abs/10.1089/eco.2012.0076
 

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