Une cour d’appel de La Haye a confirmé le 9 octobre dernier l’injonction faite à l’Etat néerlandais de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25% d’ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990. Au nom du droit à la vie et à celui d’avoir une vie privée et familiale. Il y a trois ans, un premier jugement avait déjà condamné l’Etat au nom d’un « devoir de vigilance » et de la protection des citoyens. Le gouvernement avait fait appel. Il l’a perdu. Dans un nombre croissant de pays, les associations de défense de l’environnement se tournent vers les tribunaux pour essayer de sauver la planète des désastres écologiques qui la menacent. L’avocate Maud Sarliève, pour Justiceinfo.net, examine ces initiatives, explique l’importance du jugement rendu aux Pays-Bas, et plaide pour une Cour pénale internationale nettement plus entreprenante et créative.
Le 15 septembre 2016, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) publiait un document de politique générale où elle faisait part de son intention de poursuivre des crimes graves de destruction de l’environnement. Ce document précisait que son bureau s’intéresserait « particulièrement aux crimes impliquant ou entraînant, entre autres, des ravages écologiques, l’exploitation illicite de ressources naturelles, ou l’expropriation illicite de terrains ». Aux termes de ce même document, les Etats qui en manifesteraient le souhait se voyaient proposer l’assistance du bureau du procureur « au sujet de comportements constituant des crimes graves au regard de la législation nationale, à l’instar de l’exploitation illicite de ressources naturelles, du trafic d’armes, de la traite d’êtres humains, du terrorisme, de la criminalité financière, de l’appropriation illicite de terres ou de la destruction de l’environnement ».
Marjan Minnesma, la directrice d’Urgenda, arrive au tribunal le 28 mai 2018 pour l’audience d’appel dans l’affaire Urgenda versus Etat néerlandais sur les émissions de gaz à effet de serre. La décision contre l’Etat néerlandais a été confirmée le 9 octobre 2018. Photo ©Jerry Lampen /ANP/AFP
Deux années se sont écoulées depuis cette déclaration d’intention. Les questions liées aux atteintes à l’environnement, le réchauffement climatique et leur impact sur l’avenir de l’humanité n’ont jamais été aussi vives. Les effets des pressions exercées sur les écosystèmes, les désastres écologiques causés par l’homme et les déséquilibres profonds et irréversibles qui en résultent ne sont plus contestables et leurs causes probables identifiées avec une précision accrue. Les initiatives et réponses constitutionnelles, législatives et judiciaires se multiplient et de nouveaux horizons juridiques s’ouvrent, qui témoignent d’un réveil des consciences.
Parmi ces initiatives, certaines sortent d’une vision anthropocène du droit pour se concentrer sur la protection des « biens communs » et du vivant, à l’instar des Etats dont la constitution ou la législation considère désormais la nature comme sujet de droit. Ainsi, en 2008, l’Equateur a inscrit la Nature, ou Pachamama, dans sa Constitution. La Bolivie a introduit une « loi de la terre mère » en 2010. La Nouvelle-Zélande a reconnu la personnalité juridique au fleuve Whanganui, désormais considéré comme une entité vivante ; tandis qu’aux Etats-Unis, une association déposait, en septembre 2017, un recours contre l’Etat du Colorado visant à reconnaître la personnalité juridique au fleuve du même nom.
D’autres utilisent le contentieux pour proposer une interprétation actualisée des droits et obligations des Etats et forcer les détenteurs du pouvoir à prendre en compte les enjeux climatiques dans leurs politiques. Le jugement rendu ce 9 octobre par une cour néerlandaise s’inscrit dans ce mouvement. En 2015, l’organisation Urgenda, qui milite pour une rapide transition énergétique, avait rappelé avec succès aux juges que le devoir de vigilance (duty of care) de l’Etat néerlandais, combiné à ses engagements internationaux, lui imposait de prendre les mesures nécessaires pour réduire les gaz à effet de serre produites par les Pays-Bas d’au moins 25 % d’ici à 2020, par rapport à 1990.
Le gouvernement néerlandais avait fait appel de la décision historique rendue en faveur d’Urgenda par les juges de première instance. L’arrêt d’appel était attendu avec espoir, angoisse et impatience par nombre d’activistes à travers le monde. La décision de la Cour d’appel de La Haye représente un tournant historique pour au moins deux raisons. D’une part, elle considère que l’inaction étatique porte atteinte au droit à la vie et à la vie privée et familiale des citoyens néerlandais, droits internationalement protégés. D’autre part, elle valide l’action portée par une organisation non gouvernementale et 886 citoyens, ouvrant ainsi la porte à d’autres recours de la société civile, déjà en ébullition sur ces questions.
En Colombie, vingt-cinq enfants et adolescents, soutenus par l’association Dejusticia ont saisi la Cour suprême, début de 2018, pour enjoindre l’Etat de protéger la forêt amazonienne colombienne de la déforestation. La Cour suprême a fait droit à leur demande et, en avril, a ordonné au gouvernement colombien de présenter de toute urgence un plan d’action à cette fin, visant notamment le droit à un environnement sain, réaffirmé par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans un avis consultatif du 15 novembre 2017.
Ces initiatives nationales, visant à mettre les Etats en face de leurs responsabilités, ne suffisent malheureusement pas toujours à faire le poids face aux pouvoirs exorbitants de certaines entreprises transnationales. Ainsi, Chevron a récemment obtenu de la Cour permanente d’arbitrage de la Haye l’annulation d’un jugement de la justice équatorienne, qui avait condamné la compagnie pétrolière américaine à payer 9,5 milliards de dollars de dédommagement pour dégâts écologiques dans la région amazonienne. L’Equateur examine la possibilité d’un recours en appel de cette décision, rendue publique le 7 septembre 2018. Indépendamment du dépôt d’un tel appel ou de son résultat, le message envoyé par cette décision est clair : les intérêts individuels privés sont prioritaires sur l’intérêt général collectif, l’avenir de l’humanité voire celui de la planète.
Il devient pourtant évident que la destruction de tout environnement perçu comme « local » entraîne des conséquences graves à l’échelle planétaire. La déforestation massive en Amazonie, dans le bassin du Congo ou en Indonésie – qui selon certaines sources, représente 25% des émissions annuelles de gaz à effet de serre, soit presque autant que l’activité des Etats-Unis – illustre tristement cet état de fait. Outre son impact sur le réchauffement climatique, la disparition de la forêt prive de cadre de vie les peuples autochtones et la biodiversité qu’elle abrite. Sans le barrage de la forêt, l’érosion hydrique et éolienne s’en donne à cœur joie, ce qui conduit souvent à très court terme à la désertification et à l’appauvrissement des sols. Dans le même temps, les gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique en cours, accélèrent la fonte de la calotte polaire arctique et des glaciers du monde entiers, de l’Himalaya à la Cordillère des Andes en passant par les Alpes. Il est donc vital de se préoccuper de la protection internationale de l’environnement comme d’un enjeu global pour l’humanité dont dépendent la paix et la sécurité de tous les peuples.
Dans ce contexte, le droit pénal international pourrait-il venir au secours de l’environnement ? C’est l’idée que la procureure de la CPI semblait avoir voulu communiquer dans son document de politique générale en 2016, soulevant une vague d’espoir au sein de la communauté des défenseurs de l’environnement. Parmi les mécanismes internationaux existants, la CPI est en effet l’une des seules juridictions internationales que des acteurs non étatiques peuvent saisir via une plainte devant le Bureau du procureur. Son mandat lui permet de poursuivre des individus pour des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et le crime d’agression. Son Statut ne contient cependant aucune définition du crime environnemental en temps de paix. L’article 8 renvoie bien aux crimes commis contre l’environnement, mais seulement dans le cadre d’un conflit et sous réserve de la réunion de conditions restrictives. Cette absence d’incrimination claire compte certainement parmi les facteurs expliquant pourquoi la déclaration d’intention de la procureure générale n’a pas été suivie d’effets : au cours des deux années qui se sont écoulées depuis, aucune enquête n’a été publiquement conduite, aucune poursuite n’a été engagée sur des faits se rapportant de près ou de loin à l’environnement et la vague d’espoir soulevée par le document de politique générale s’est désormais transformée en « vague espoir ».
L’optimisme initial n’était pourtant pas dénué de fondement. En juillet 2010, par exemple, Omar el-Bechir, président du Soudan, avait été poursuivi pour empoisonnement de sources et de pompes à eau dans des villes et villages du Darfour. Cette atteinte à l’environnement, qualifiée par le procureur de soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner la destruction physique, était associée à l’une des charges de génocide visée dans le mandat d’arrêt contre le président soudanais.
Au moins l’une des plaintes (appelées « communications ») déposées au bureau du procureur de la CPI concerne des faits se rapportant à la destruction de l’environnement : en 2014, le cabinet de consultant Global Diligence demandait au procureur d’enquêter sur les transferts forcés de populations intervenus au Cambodge depuis juillet 2002. Selon cette plainte, ces déplacements massifs de population s’inscrivent dans le cadre d’une politique générale et systématisée d’accaparement des terres, mise en œuvre par l’élite dirigeante à des fins d’exploitation industrielle. Cette politique a abouti, dans de nombreux cas, à la destruction de l’environnement et de sols précédemment occupés et exploités par des populations civiles. Selon Global Diligence, elle pourrait donner lieu à des poursuites pour les crimes contre l’humanité de transfert forcé, d’emprisonnement illégal, d’autres actes inhumains et de persécution.
Compte-tenu de l’avidité de certaines sociétés commerciales en matière d’exploitation minière, pétrolière ou autre, il serait surprenant que l’exemple de la plainte cambodgienne soit isolé. Il est de notoriété publique que l’exploitation minière dans l’est de la République Démocratique du Congo nourrit les conflits dans la région. Parmi les nombreuses conséquences dramatiques de la violence qui y règne figure la déforestation massive.
Cette destruction de la forêt tropicale continue également sans relâche, et sans beaucoup de résistance, au Brésil, dans le cadre de la construction du barrage de Belo Monte par exemple, ou en Indonésie, à des fins d’exploitation agricole intensive. Les conséquences à court, moyen et long terme pour les personnes qui vivent dans les environs et l’humanité tout entière ont été rappelées ci-dessus.
Pourtant, il semble que la plainte cambodgienne, déposée il y a quatre ans, en soit toujours au stade de l’examen préliminaire. Quand bien même les crimes contre l’humanité « classiques » qu’elle vise relèvent clairement de la compétence matérielle de la Cour. Qu’en serait-il en matière de crimes environnementaux, non définis en tant que tels par le Statut de Rome ? Quels crimes parmi ceux définis par ce Statut pourraient-ils être utilisés pour combattre ce fléau ? Si les réponses à ces questions dépendent naturellement des situations concernées, des groupes visés, des actes et conduites reprochées, elles tiennent également à la créativité des juristes saisis de ces problématiques et à la volonté de la procureure en matière d’opportunité des poursuites.
En l’état, aucun des comportements contribuant de façon significative au réchauffement climatique ne relève de crimes définis par le Statut de Rome. Dès lors que l’impact des comportements en question sur l’avenir de l’humanité n’est plus contestable, certains juristes militent donc pour une modification de ce Statut, afin d’y ajouter le crime d’écocide. Malgré la complexité des problématiques juridiques et des enjeux politiques, il faut souhaiter qu’ils arrivent à convaincre l’assemblée des Etats membres de la CPI du bien-fondé d’une telle modification.
D’ici là, s’il n’est pas trop tard, c’est vers les tribunaux nationaux, comme aux Pays-Bas, qu’il faudra se tourner pour que le droit vienne au secours de l’environnement.
Maud Sarliève, Avocate
Maud Sarliève est avocate et chargée de cours à l’université de Paris-Ouest-Nanterre. Elle a notamment travaillé pour le bureau des juges d’instruction aux Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, pour les Procureurs EULEX au Kosovo et pour une équipe de défense au Tribunal spécial pour le Liban.
L’original de cet article est paru dans Justiceinfo.net
S’abonner
Connexion
0 Commentaires
Les plus anciens
Les plus récents
Le plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments