Des ministres dans l’eau jusqu’aux genoux qui se font huer par la population, des riverains excédés qui bloquent l’autoroute à péage vers l’aéroport : la banlieue de Dakar, les pieds dans l’eau, ne décolère pas, alors que le pire de la saison des pluies reste à venir.
« Des incapables ! », s’emporte un riverain en désignant les ministres de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, venus constater les dégâts sous bonne escorte. La cour de sa maison à Keur Massar, dans la banlieue est de Dakar, est transformée depuis trois jours en marigot. À l’intérieur, il a surélevé son lit et des meubles, mais il patauge dans l’eau jusqu’aux chevilles.
Installée dans la précipitation avant l’arrivée des ministres, une pompe esseulée hoquette, peinant à aspirer la vaste mare survolée de libellules vibrionnantes. « C’est tous les ans comme ça. Rien n’a été fait. On est très fatigué. Il y a même des gens qui ont déménagé à cause de cela » commente, désabusé, un habitant du quartier, Moïse David Ndour.
La capitale du Sénégal est régulièrement en proie à des inondations entre juillet et octobre. Mais les Dakarois sont frappés cette année qu’il ait suffi de deux jours de précipitations pour causer autant de dégâts aussi tôt, alors que la fin de la saison des pluies, ou hivernage, est encore loin. Les experts interrogés par l’AFP incriminent surtout l’absence ou l’insuffisance du réseau d’assainissement, la construction de logements en zone inondable, sur des sols argileux et dans des cuvettes, la proximité de la nappe phréatique, la mauvaise gouvernance à l’échelle nationale et municipale…
« Rétablir le cycle de l’eau »
« Il y a un paradoxe très inquiétant : les pluies ont diminué ces dernières années. Donc de moins en moins de pluies font de plus en plus de dégâts ! », explique Cheikh Guèye, géographe et chercheur à Enda Tiers-Monde. « Et les prévisionnistes nous annoncent de fortes pluies en septembre… »
Le président Macky Sall avait pourtant lancé à son arrivée au pouvoir en 2012 un plan décennal de lutte contre les inondations, d’un budget de plus de 750 milliards de FCFA (1,14 milliard d’euros). Des stations de pompage et des canaux de drainage ont bien été installés dans certains quartiers de Dakar, mais de nombreux autres s’estiment délaissés. Les autorités ont déclenché samedi le plan Orsec, un plan d’urgence qui permet de mobiliser des moyens financiers et matériels accrus en situation de sinistre.
« Chaque année, on ne cherche qu’à soulager les populations et à les sortir de l’eau. Il manque une mise en cohérence des différentes actions – construction de remblais, de canalisations, pompage, relogement – dans le cadre d’une stratégie globale », regrette Pape Goumbo Lo, géologue. « Il faut rétablir le cycle de l’eau: connaître la nature du sol, la position des nappes, le ruissellement… La construction de logements doit tenir compte de la nature des sols », poursuit-il.
Une nécessité complexe, dans une ville à la très forte croissance démographique, qui abrite plus de 3,7 millions d’habitants, soit près du quart de la population sénégalaise, et où il manque 150.000 logements selon les autorités.
Calèches réquisitionnées
A Mbao, c’est la route nationale qui est rendue partiellement impraticable par les eaux stagnantes, alors qu’il n’a pas plu depuis trois jours. Si les voitures et les camions peuvent traverser, ce n’est pas le cas des deux roues et des transports en commun. « On a pas le choix: on se mouille ou on emprunte les calèches pour traverser la rue », témoigne un habitant, Ibrahim Cissé, en équilibre précaire sur un trottoir, de l’eau jusqu’aux chevilles. « L’eau est là depuis 72 heures ! Il faut pomper le plus urgemment l’eau, en attendant de curer les canaux bouchés. Il y a un dysfonctionnement du système de canalisation », poursuit-il.
Devant lui, une dizaine de personnes a pris place sur une des nombreuses charrettes tirées par un petit cheval, qui sert d’habitude principalement au transport de marchandises. « Il y a beaucoup de dégâts, les commerçants ne peuvent pas ouvrir… Dans un pays comme le Sénégal, on doit dépasser cela », tonne un riverain.
Le géographe Cheikh Guèye n’est pourtant pas optimiste. « On construit en zone inondable. Tous les jours de nouveaux quartiers naissent, et on y reproduit les mêmes erreurs que celles contre lesquelles on lutte déjà. Il n’y a pas de planification de l’assainissement, de plan directeur de drainage… Dans dix ans on aura les mêmes problèmes là-bas qu’aujourd’hui à Keur Massar », prévient-il.
Avec AFP