Les pays producteurs de pétrole réunis sous l’OPEP et l’OPEP+ ont décidé ce 31 mars de ne pas augmenter leur production, favorisant de ce fait l’élévation des prix de l’or noir. Un bras de fer engagé avec les États-Unis qui avaient décidé le même jour d’augmenter leur production afin de faire baisser les prix. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, l’OPEP+ —qui comprend dans son groupe la Russie—, cherche à spéculer en pesant sur l’Occident là où la plaie est la plus sensible. Une politique qui ne va pas arranger le porte-monnaie des Européens mais peut-être aussi une « chance » d’accélérer la libération de notre dépendance aux énergies fossiles.
Les treize membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), menés par Ryad, et leurs dix alliés conduits par Moscou (Opep +), ont décidé ce jeudi 31 mars de s’en tenir à une augmentation modeste de leur production de pétrole en mai. Le groupe informel formé par l’élargissement de l’Opep à plusieurs autres gros producteurs de brut continue ainsi de résister aux appels des Etats-Unis et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) à accroître l’offre pour faire baisser les cours, dopés par la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales contre Moscou.
Pour ne pas trahir la Russie
L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui disposent de la majeure partie des capacités de production non-employées au sein de l’Opep, justifient ce refus en expliquant que le groupe ne doit pas « se soucier de politique mais seulement de l’équilibre entre l’offre et la demande mondiales ». « L’Arabie saoudite va chercher à éviter une confrontation avec la Russie au moment où la production russe est en difficulté », estime Callum Macpherson, d’Investec. En clair, l’Opep redoute qu’une intervention saoudienne sur les marchés soit perçue comme une trahison envers la Russie.
L’Opep+ a averti que l’économie mondiale subirait un coup dur si la guerre en Ukraine devait perdurer.
« Le moral des consommateurs et des entreprises devrait baisser non seulement en Europe mais aussi dans le reste du monde, si l’on ne tient compte que de l’impact inflationniste que le conflit a déjà provoqué », a déclaré le groupe dans un rapport interne révélé par Reuters.
Bras de fer
De son côté, l’administration Biden a annoncé ce même jeudi 31 mars, décider de puiser jusqu’à 180 millions de barils de pétrole dans les réserves stratégiques des Etats-Unis pour stabiliser l’envolée des prix du pétrole qui avait dépassé 139 dollars le 7 mars, du jamais vu depuis 2008. Cela représenterait environ 5 % de la demande américaine et 1 % de la demande mondiale, à un moment où les exportations de pétrole russe ont diminué d’environ trois millions de barils par jour.
Un possible changement total de paradigme, car la guerre a fait craindre des ruptures de livraisons du pétrole russe et provoqué une fébrilité extrême. Une mesure toutefois aux effets modestes. « Cela fera baisser un peu le prix du pétrole et encouragera une plus grande demande », a déclaré Scott Sheffield, directeur général de Pioneer Natural Resources, une grande compagnie pétrolière texane. « Mais cela reste un pansement sur une pénurie importante de l’offre ».
D’autant que les pays de l’Opep et de l’Opep+ restent impassibles devant les appels de la communauté internationale qui se sont intensifiés, notamment après la décision des États-Unis et de la Grande-Bretagne d’arrêter d’importer du pétrole de Russie, deuxième plus grand exportateur de brut au monde derrière l’Arabie saoudite.
Les consommateurs européens pris en otage
Les pays du Golfe résistent donc pour le moment aux demandes occidentales. L’alliance Opep +, loin d’être déstabilisée par le conflit, apparaît plus solide que jamais. Elle est « là pour rester », a déclaré lundi le ministre émirati de l’Énergie Suhail al-Mazrouei, déterminé à ne pas laisser « la politique » miner l’organisation. S’exprimant lors du forum mondial de l’énergie de l’Atlantic Council, ce lundi 28 mars à Dubaï, ce ministre a ironisé sur la position des pays Occidentaux. « Lors de la COP 26 (sur le climat), tous les pays producteurs se sont sentis indésirables (…) Aujourd’hui, parce qu’ils veulent qu’on augmente notre production, on est à nouveau des supers héros. Mais ça ne marche pas comme ça », a-t-il déclaré.
Les consommateurs européens de pétrole doivent donc s’attendre à ce que les prix de l’or noir naviguent dans les zones hautes pendant encore longtemps. Le pouvoir d’achat des Européens est en quelque sorte pris en otage non seulement par la guerre mais aussi par les stratégies spéculatives des pays producteurs qui en profitent pour s’enrichir à bon compte.
La « chance » de la guerre ?
Cette situation est aussi le résultat de notre extrême dépendance aux énergies fossiles. Les appels à en réduire la consommation, au bénéfice de la planète et du réchauffement climatiques, n’ont pas encore été suffisamment entendus. La guerre sera-t-elle une « chance » de servir de levier pour le développement des énergies renouvelables en Europe ? Le mot chance est malvenu et singulièrement cynique quand il est associé au mot guerre. Il n’en demeure pas moins que l’invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait avoir un effet collatéral « positif » pour le Pacte Vert européen. Plus généralement, la guerre, tragique sur le plan humain et des plus problématiques sur le plan économique, pourrait être une opportunité pour la planète.
Alors que l’Europe s’évertue à trouver des moyens législatifs, au terme de longues négociations, pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et réduire, d’ici 2030, de 55% ses émissions de gaz à effet de serre, la guerre actuelle est en train d’accélérer les prises de décisions et de rebattre les cartes de la lutte contre le réchauffement climatique.
Selon Eurostat, en 2020, 43,6% du gaz et 48,4% du pétrole de l’UE provenaient de Russie. C’est dire la dépendance d’une Europe indignée par cette guerre qui survient à ses portes, mais qui hésite encore à durcir sa position par un embargo sur les importations d’énergie. L’appel au boycott des entreprises – notamment énergétiques – ayant des activités en Russie pourrait inciter les particuliers à se détourner de leurs fournisseurs traditionnels au profit de fournisseurs en énergies renouvelables, de même que d’abandonner leurs véhicules thermiques au profit de véhicules électriques.
À l’échelle européenne, l’agence Euractiv rappelle que l’on affiche la volonté d’accélérer le mouvement. Lors de la présentation du plan REPowerEU, le 8 mars dernier, Frans Timmermans, le responsable du Green Deal européen, a ainsi déclaré : « Il est temps de nous attaquer à nos vulnérabilités et de devenir rapidement plus indépendants dans nos choix énergétiques. Lançons-nous dans les énergies renouvelables à la vitesse de l’éclair. » Le 17 mars, la Commission a réitéré en appelant le Parlement européen et les pays de l’UE à envisager « des objectifs plus élevés ou plus précoces pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique » en réponse au changement de situation géopolitique.
Faut-il un dernier coup de marteau pour enfoncer le clou ? La décision de l’Opep+, et très certainement la flambée des prix de l’énergie qui en sera la conséquence, aura-t-elle raison du gaz et du pétrole russes en particulier, et de notre addiction fossile en général ?