À l’aune de la COP 29 à Bakou, alors que la COP 16 biodiversité vient de s’achever, nombreux sont les débats sur la crédibilité de ce type de rassemblement. Sans remettre en cause la nécessité d’accélérer la transition écologique et sa coordination à l’échelle mondiale, les financements qui en découlent sont principalement attribués à l’accès aux technologies décarbonées et à l’aménagement des territoires pour faire face aux conséquences du dérèglement climatique. Autrement dit, cela revient à garder les mêmes pratiques et accepter que notre quotidien sera de moins en moins soutenable. Comme disait Albert Einstein : « la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ».
Les matériaux : l’enjeu de la prochaine décennie
L’économie mondiale repose sur trois types de flux : les flux financiers, les flux d’informations et les flux physiques. Derrière la notion de flux physiques se cachent les matières premières, les produits transformés et les déchets. Quelques chiffres pour comprendre ce qui est en jeu :
• 100 milliards de tonnes de matières premières sont extraites chaque année (soit trois fois plus qu’au cours des 50 dernières années), dont seulement 7.2% sont réintroduites dans l’économie (le reste étant gaspillage ou pollution).
• L’extraction et la transformation des matières premières est responsable de 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et de 40% des effets des particules sur la santé.
• Selon l’UE, 34 matériaux critiques comportent des risques d’approvisionnement majeurs (épuisement des réserves, géopolitique…). Il s’agit essentiellement des métaux nécessaires à la production des technologies décarbonées.
Le constat est simple : les ressources n’étant pas infinies, il n’y aura pas de décarbonation sans circularité des matériaux, et leur mauvais usage a un impact direct sur notre santé.
La recroissance, notre boussole face à une dette systémique mondiale ?
Face à ces problématiques interconnectées et complexes, les dirigeants doivent mesurer, piloter, et orienter les axes de développement en réponse à un triple capital. Depuis l’après-guerre, telle une addiction, nous avons creusé les dettes démographiques (la population mondiale est passée de 2,6 à 8 milliards depuis 1950), économiques (la dette mondiale a doublé en 11 ans) et environnementales (la température mondiale a augmenté de 1,2°C entre l’époque préindustrielle et 2021).
Vaincre cette addiction, c’est accepter de se désintoxiquer avec volonté et courage. La volonté de faire pivoter le système actuel pour que celui-ci soit durable pour les générations futures. Le courage dans les décisions et les investissements : par exemple, il n’existe aujourd’hui en Europe qu’une seule installation de traitement des terres rares – des métaux prisés par la haute technologie – qui se situe à Narva, en Estonie. En prenant en considération l’existant et les tendances à venir, nous n’avons d’autre choix que de définir un nouvel ordre mondial qui encourage la recroissance.
Qu’est-ce que la recroissance ? C’est un modèle économique reposant sur une vision à long-terme qui promeut l’efficience des écosystèmes dans l’usage des ressources dont ils disposent : c’est-à-dire savoir faire plus avec moins. L’économie circulaire est l’épine dorsale du modèle de recroissance. Ses trois principes que sont réduire, réemployer et recycler offrent de nombreuses promesses : la diminution de 39% des émissions de gaz à effet de serre, la diminution de 28% de la pression sur les matières premières, ou encore des gains économiques estimés à 7 700 milliards de dollars d’ici à 2030.
Pour une gouvernance circulaire internationale efficiente
Il est urgent de proposer une politique incitative mondiale en faveur des produits et matériaux issus de l’économie circulaire. Son application doit être adaptée selon l’avancement économique des pays et leurs spécificités territoriales.
Ainsi, les pays à hauts revenus doivent se concentrer sur la réduction de l’extraction et de l’utilisation des matériaux afin d’alléger leur charge environnementale. Pour les pays émergents, il s’agit d’adapter leur modèle de croissance en y incorporant la circularité au cœur, l’objectif : faire en sorte que cette croissance soit vertueuse et non calquée sur le modèle occidental. Quant aux pays pauvres, ils utilisent aujourd’hui tellement peu de matériaux qu’ils doivent en utiliser davantage pour que leurs conditions de vie soient soutenables.
Si les COP encouragent le financement massif d’infrastructures, alors une COP sur la circularité des matériaux est indispensable pour transformer durablement les chaînes de valeur permettant prospérité économique, réduction des inégalités, et amélioration de l’impact sur l’environnement et notre bien-être.
Clément Chenut, Fondateur de Chistera advisory
Diplômé de l’Université de Warwick, Clément Chenue débute sa carrière à Londres chez Danone puis Atos Consulting. En 2019, il rejoint Capgemini Invent à Paris où il développe une practice dédiée à l’économie circulaire et devient directeur. Fondateur de Chistera advisory, Clément Chenut accompagne les dirigeants dans la transition durable, notamment par la circularité.
Avec son ouvrage Génération Circulaire, disponible depuis le 10 octobre, Clément Chenut invite les décideurs à « changer de paire de lunettes » en intégrant les limites physiques de notre planète dans leur modèle d’affaires. Une vision moderne qui ne s’appuie ni sur la décroissance, ni sur la croissance verte, mais sur la recroissance.