Plusieurs « dizaines de milliers de personnes » sont désormais impactées en Ouganda par un mégaprojet pétrolier du groupe français Total et ont « commencé à perdre leurs moyens de subsistance avant même de percevoir » une compensation, dénoncent mardi les associations les Amis de la Terre France et Survie.
En octobre 2019, six ONG ougandaises et françaises – dont les Amis de la Terre France et Survie – ont intenté en France une action en justice, accusant Total de ne pas respecter « ses obligations légales de prévenir les violations aux droits humains et les dommages environnementaux dans le cadre de son mégaprojet pétrolier en Ouganda et Tanzanie ». Cette action en justice est la première basée sur la loi française relative au « devoir de vigilance » des multinationales.
Avec le projet « Tilenga », Total envisage notamment de forer plus de 400 puits reliés par un réseau de pipelines (et produire 200 000 barils par jour), dont 132 dans le parc national des Murchison Falls en Ouganda. « Total est aussi le principal développeur du projet EACOP (…), un oléoduc géant de 1 445 km de long (qui) sera chauffé à 50 degrés et transportera le pétrole extrait aux abords du lac Albert en Ouganda » jusqu’à la côte nord-est de la Tanzanie. « Ces deux projets impliquent des déplacements massifs de population », dénonce ce nouveau rapport intitulé « Un cauchemar nommé Total », publié ce mardi 20 octobre et basé sur une « enquête de terrain réalisée entre juin et septembre ».
Impacts en chaîne
« Ce sont maintenant plusieurs dizaines de milliers de personnes qui sont impactées et qui ont commencé à perdre leurs moyens de subsistance ; l’une des principales violations (…) concerne les restrictions imposées aux communautés dans l’usage de leurs terres agricoles, dont elles dépendent pour survivre, et ce bien avant d’avoir reçu leurs compensations », relève le rapport.
Pertes de ressources, déscolarisation des enfants ou réduction de l’accès à la santé : les impacts en chaîne sont nombreux. Les paroles recueillies aussi, qui racontent cette dégradation globale des conditions de vie, de même que les menaces et les intimidations auxquelles procéderaient les sous-traitants de Total.
« En 2019, nous avions alerté sur la nécessité de mesures urgentes pour que ces violations ne se répètent pas à grande échelle. Ce qu’on redoutait est malheureusement devenu réalité, touchant environ 100 000 personnes en Ouganda et en Tanzanie », estime Juliette Renaud, responsable de campagne aux Amis de la Terre France.
Ces associations s’inquiètent aussi des conséquences écologiques de ces projets pétroliers car plus de 50% des espèces d’oiseaux et 39% des espèces de mammifères vivant sur le continent africain sont représentées dans le bassin du lac Albert.
« La dernière année a aussi été marquée par la multiplication des menaces, intimidations et persécutions des leaders communautaires, des organisations de la société civile et des journalistes qui se mobilisent et dénoncent publiquement les impacts négatifs du développement pétrolier en Ouganda », dénoncent en outre ces associations.
Bataille judiciaire
Le rapport des ONG sera versé au dossier judiciaire en vue de l’audience à la Cour d’Appel de Versailles le 28 octobre prochain, qui opposera la multinationale pétrolière aux associations françaises et ougandaises. Cette action en justice se fonde pour la première fois sur la nouvelle loi sur le devoir de vigilance. Elle permet de tenir légalement responsables, en France, les maisons mères des multinationales pour les conséquences de leurs activités dans le monde entier.
Malheureusement, déplore Juliette Renaud auprès de Reporterre, « nous avons eu une première déconvenue ». En première instance, le tribunal judiciaire de Nanterre s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce. Il ne s’est pas prononcé sur le fond de l’affaire, ne remettant donc aucunement en cause les accusations portées contre Total. « Nous avons décidé de faire appel, poursuit-elle, considérant que la décision du tribunal judiciaire de Nanterre sur la compétence repose sur une interprétation erronée du droit. Les tribunaux de commerce sont des tribunaux d’exception, chargés de juger des litiges entre commerçants ou concernant la vie interne des entreprises. Ce ne sont pas des juges professionnels, mais des commerçants ou des dirigeants d’entreprises élus par leurs pairs. Il est inconcevable que ces tribunaux jugent des litiges concernant de graves violations de droits humains ou des dommages environnementaux ».
Avec AFP
Ne peut on pas saisir la cours européenne de justice ?