Les politiciens, quand ils le veulent, sont capables de faire de la magie. Un tour de passe-passe, abracadabra, et voilà le nucléaire et le gaz classés au rang des énergies vertes. C’est ce qui s‘est passé ce 6 juillet au parlement européen. Les députés ont accordé le label vert à ces énergies controversées, leur permettant de mobiliser des fonds privés, jusqu’ici réservé aux énergies renouvelables.
Les eurodéputés, réunis en session plénière au Parlement européen de Strasbourg, ont approuvé le label vert accordé par la Commission européenne au gaz et au nucléaire, mercredi 6 juillet, au terme d’un vote serré (328 voix contre 278 voix). Ces deux sources d’énergie sont donc reconnues comme nécessaires pour lutter contre le changement climatique.
Le texte controversé, présenté en janvier par Bruxelles, classifie comme « durables » certains investissements pour la production d’électricité dans des centrales nucléaires – qui n’émettent pas de CO2 – ou des centrales au gaz, à condition qu’elles mobilisent les technologies les plus avancées. Cette classification (dite taxonomie) doit aider à mobiliser des fonds privés pour mener à bien ces projets. Mais la reconnaissance de la contribution du gaz et du nucléaire dans la lutte contre le changement climatique, qui s’appuie sur la base de rapports d’experts, provoque la colère d’organisations écologistes qui dénoncent une opération de greenwashing. Le label vert était jusqu’ici réservé aux énergies renouvelables. Pour eux, cette décision risque de freiner dangereusement la transition énergétique européenne en détournant des centaines de milliards d’euros de financements privés et publics vers des énergies climaticides et polluantes. Les écologistes parlent de véritable « hold-up » fomenté par les industriels des énergies nucléaires et fossiles.
Cette décision a été l’objet d’âpres disputes politiques, la France et Emmanuel Macron orchestrant un lobbying intensif faisant pression sur la Commission pour qu’elle inclue le nucléaire dans les règles de la finance verte de l’UE, et l’Allemagne formulant des demandes détaillées sur le gaz afin de refléter les exigences de son industrie gourmande en énergie. L’Autriche et le Luxembourg, en revanche, ont menacé de poursuivre la Commission en justice pour avoir ajouté le nucléaire et le gaz à la liste des investissements verts. « En cédant à la pression de la France, la Commission européenne a transformé un outil essentiel pour le climat en vaste opération de greenwashing », commente Pauline Boyer, chargée de campagne Transition énergétique pour Greenpeace France.
Pour les ONG, en tant qu’énergie fossile, le gaz ne peut qu’aggraver la crise climatique : « L’énergie nucléaire, en plus de produire des déchets radioactifs dangereux qu’on ne sait pas gérer, n’est pas non plus en mesure de contribuer à l’atteinte des objectifs climatiques de l’UE d’ici 2030. La construction de nouveaux réacteurs prend trop de temps, comme le montre l’interminable fiasco de l’EPR de Flamanville pour lequel EDF vient d’annoncer de nouveaux retards et surcoûts, près de 15 ans et plus de 19 milliards après le démarrage du chantier ».
Des conditions pour le gaz
En accordant le label vert au nucléaire et au gaz, la Commission européenne qui a proposé son texte au vote du parlement, l’a assorti d’un certain nombre de conditions. Dans le cas du gaz, pour obtenir le label vert, les nouvelles installations devraient uniquement voir le jour si elles remplacent une centrale à charbon existante et si elles sont construites avant le 31 décembre 2030.
Les nouvelles installations de gaz doivent également être conçues pour fonctionner à 100 % avec des combustibles renouvelables ou à faible teneur en carbone d’ici au 31 décembre 2035 et contribuer à « une réduction des émissions d’au moins 55 % » au cours de leur durée de vie. Les émissions directes doivent être inférieures à 270 g CO2e/kWh et ne doivent pas dépasser une moyenne de 550 kg CO2e/kW sur 20 ans.
Toutefois, des changements ont également été introduits par rapport au projet précédent de la Commission, qui exigeait des taux de mélange de gaz décarbonés de 30 % d’ici 2026 et de 55 % d’ici 2030. Ces exigences ont été abandonnées, conformément aux demandes de l’Allemagne, qui a déclaré que les objectifs intermédiaires n’étaient « pas réalisables dans des conditions réalistes ». L’objectif de 2035 n’a quant à lui pas été modifié.
Des contraintes pour le nucléaire
Dans le cas du nucléaire, les nouvelles centrales doivent obtenir un permis de construire avant 2045 et présenter des plans détaillés pour disposer d’ici 2050 d’une installation d’élimination des déchets hautement radioactifs. Cela a suscité l’indignation des militants antinucléaires qui ont déclaré que ces critères étaient fondés sur des promesses qui ne seront pas vérifiables avant le milieu du siècle.
Cependant, la Commission a balayé ces préoccupations, affirmant que l’engagement devra être pris officiellement par les gouvernements nationaux de l’UE. « Cette promesse de disposer d’une installation d’élimination des déchets hautement radioactifs d’ici 2050 se présente en fait sous la forme d’un document approuvé au niveau des États membres et soumis à la Commission » en vertu de la directive sur la gestion des déchets radioactifs, a expliqué un fonctionnaire européen cité par la plateforme Euractiv.
Le seul changement significatif concerne le combustible nucléaire tolérant aux accidents (Accident Tolerant Fuel ou ATF en anglais), qui, selon la proposition, doit être disponible « à partir de 2025 » pour que les projets nucléaires puissent obtenir le label européen d’investissement vert. Les combustibles tolérants aux accidents n’en sont encore qu’au stade de la recherche, selon le groupe de pression européen de l’énergie nucléaire Foratom, qui a jugé que les critères seraient « inacceptables » s’ils étaient mis en œuvre sans délai.
Au final, la Commission a donné à l’industrie jusqu’en 2025 pour disposer de combustibles tolérants aux accidents au lieu d’exiger leur utilisation immédiate. Selon la proposition de taxonomie, la technologie devra être « certifiée et approuvée par le régulateur de sécurité national » pour être éligible. « Ces critères constitueront un véritable défi », a déclaré Yves Desbazeille, directeur général de Foratom. « Les carburants tolérants aux accidents, par exemple, sont encore en phase de test et ne seront donc pas disponibles commercialement (et ne seront ni certifiés ni approuvés) d’ici 2025, ce qui rendra impossible la mise en place de projets répondant à ces critères », a-t-il expliqué dans un communiqué.
Comme de nombreuses autres organisations de défense de l’environnement, le Fonds mondial pour la nature (WWF), l’ONG de protection de la nature, avait appelé le Parlement européen à rejeter la proposition de la Commission, affirmant qu’elle est le résultat d’une alliance entre les États membres de l’UE pronucléaire et progaz, dirigée par la France. « La Commission européenne a permis aux gouvernements européens de traîner cette loi sur la taxonomie dans la boue — et ce fiasco va engendrer un énorme désordre sur les marchés financiers. Scientifiquement parlant, cette loi est une imposture qui doit être rejetée pour préserver la crédibilité de l’ensemble de la taxonomie européenne », a déclaré Sébastien Godinot, économiste principal au bureau des politiques européennes du WWF.
Une décision transitoire ?
L’exécutif européen estime néanmoins que les énergies renouvelables ne pourront pas, à elles seules, répondre à la demande croissante d’électricité, en raison de leur production intermittente. D’où le besoin, au moins à titre transitoire, de favoriser aussi l’investissement dans des moyens stables et pilotables comme le gaz et le nucléaire. La France, qui veut relancer sa filière nucléaire, et des pays d’Europe centrale comme la Pologne, qui doivent remplacer leurs centrales à charbon, soutiennent la Commission sur ce sujet.
« Je vous demande de ne pas rejeter ce fragile compromis négocié avec précaution », a demandé aux eurodéputés le Premier ministre tchèque, Petr Fiala, dont le pays vient de reprendre à la France la présidence tournante de l’UE. « L’énergie nucléaire et le gaz provenant de pays sûrs seront les seuls moyens pour certains Etats membres d’atteindre nos objectifs climatiques communs dans les années à venir », a-t-il plaidé lors d’un discours devant le Parlement européen.
« Si ni le Parlement ni le Conseil ne s’opposent à la proposition d’ici le 11 juillet 2022, l’acte délégué sur la taxonomie entrera en vigueur et s’appliquera à partir du 1er janvier 2023 », précise le site du Parlement européen. Le feu vert des Etats membres étant déjà acquis, les opposants ont annoncé qu’ils lanceraient une procédure en justice.
Avec AFP, Euractiv