Ce mardi 18 octobre 2022, le ministre néerlandais du Climat et de l’Énergie Rob Jetten a annoncé que les Pays-Bas avaient décidé de se retirer du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE), ce traité nocif qui retarde, renchérit ou bloque la transition énergétique. Après l’Espagne la semaine passée, avant la Pologne et peut-être d’autres pays européens, cette décision augmente la pression sur la France. Alors que les États-membres de l’UE devront se prononcer d’ici à mi-novembre sur le projet de réforme du TCE, ces décisions illustrent combien ce nouveau TCE n’est pas acceptable. Les Pays-Bas, poursuivis par deux fois au titre du TCE pour leur décision de fermer les centrales au charbon, montrent la voie : pour le Collectif national Stop CETA – Mercosur, la France doit se retirer du TCE comme le réclament des milliers d’activistes qui ont écrit ces derniers jours aux ministres français concernés.
« Nous ne voyons pas comment le TCE a été suffisamment aligné sur l’Accord de Paris ». C’est ainsi que le ministre néerlandais du Climat et de l’Énergie Rob Jetten a annoncé ce mardi 18 octobre que les Pays-Bas avaient décidé de se retirer du TCE. Faisant référence au résultat de quatre ans de négociations visant à rénover ce traité, le ministre hollandais, issu d’un gouvernement de droite, rejoint la ministre de la transition écologique espagnole, Teresa Ribera, issue d’un gouvernement de gauche, qui ne voyait pas « d’améliorations » suffisantes dans ce TCE rénové.
C’est le constat que font également les organisations de la société civile qui alertent depuis des années sur le caractère nocif du TCE : les principes qui le fondent, qui ne tiennent aucun compte de l’immense défi climatique auquel nous sommes confrontés, n’en sont pas transformés. La protection des investissements est prolongée dans les énergies fossiles sur une trop longue période ainsi qu’étendue à de nouveaux secteurs (captage et stockage du carbone, biomasse, hydrogène, combustibles synthétiques, etc.).
Le Traité sur la charte de l’énergie (TCE) est un traité peu connu, mais aux effets nocifs considérables : c’est une puissante arme juridique aux mains des investisseurs et entreprises de l’énergie qui leur permet de retarder, renchérir ou bloquer la transition énergétique. Comment peut-on accepter que la France reste membre d’un traité qui encourage les industriels à poursuivre des États pour leurs politiques de fermeture de centrales au charbon (Pays-Bas), d’interdiction de forages pétroliers (Italie), de restriction sur l’utilisation des techniques d’exploitation les plus néfastes (Slovénie), ou d’adaptation des politiques de soutien aux énergies renouvelables (Espagne, France) ?
L’annonce des Pays-Bas, qui intervient également quelques jours après le vote à une très large majorité par la chambre basse polonaise d’un projet de loi qui autorisera la Pologne à sortir du TCE, augmente la pression sur la France.
L’Italie en est déjà sortie depuis 2015. Alors qu’un avis du Haut-Conseil pour le climat est sur le point d’être rendu au sujet du TCE, la France doit arrêter de tergiverser et écouter les milliers d’activistes qui ont écrit depuis quelques jours aux ministres concernés (Bruno Le Maire Christophe Béchu, Agnès Pannier-Runacher, Olivier Becht, Laurence Boone) via une action en ligne, pour leur demander que la France se retire du Traité sur la Charte de l’énergie, de voter contre le projet de nouveau Traité sur la charte de l’énergie lors du prochain vote du Conseil des ministres de l’UE, et de mettre fin à l’expansion de cet accord dangereux à d’autres pays du Sud.
Cette campagne est relayée par des activistes du climat telles que Greta Thunberg, ou Camille Etienne pour la France. Il est temps qu’Emmanuel Macron et le gouvernement d’Elisabeth Borne s’engagent fermement en ce sens.
Le TCE, un traité contre les politiques climatiques
L’AITEC, sur son site, explique pourquoi le TCE est nocif. « Cela fait des années que les ONG et associations, dont l’Aitec, alertent : le Traité sur la charte de l’énergie (TCE) est un traité nocif qui ne peut que ralentir, compliquer, renchérir ou même empêcher les politiques climatiques les plus ambitieuses. Investigate Europe, un collectif de journalistes d’investigation, a publié en février 2021 une série d’enquêtes sur le TCE qui viennent un peu plus, s’il en était besoin, faire la démonstration que se retirer de ce Traité qui protège les pollueurs, est une condition nécessaire pour qui veut avoir des politiques de transition énergétique qui soit à la hauteur du défi climatique.
Réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 pour conserver une chance raisonnable de contenir le réchauffement climatique mondial en-deçà de 1,5°C ou 2°C. Tel est l’objectif que se sont fixés les Etats du monde entier via l’Accord de Paris sur le climat. Immanquablement, il en résulte la nécessaire et progressive sortie de l’âge des fossiles, c’est-à-dire un processus inexorable de réduction à la fois de la production et de la consommation d’énergies fossiles. Ainsi qu’arrêter d’explorer et exploiter de nouveaux gisements et de construire de nouveaux corridors d’approvisionnement qui vont nécessiter des dizaines d’années d’exploitation pour être rentabilisés.
Ces réalités sont désormais de l’ordre de l’évidence. Mais les industriels des énergies fossiles ont une arme secrète : le Traité sur la charte de l’énergie. Dès que l’un d’entre eux considère qu’une politique climatique remet en cause la profitabilité de ses investissements existants ou en cours, le TCE lui permet de poursuivre les pouvoirs publics devant une justice parallèle qui leur est réservée, et de réclamer des centaines de millions, voire des milliards d’euros d’indemnités. Pour exemples : Les Pays-Bas décident de sortir progressivement du charbon : la multinationale allemande RWE les poursuit et réclame 1,4 milliard € ; l’Italie interdit les plateformes pétrolières près des côtes : une entreprise britannique réclame jusqu’à 350 millions de dollars d’indemnisation ; la France envisage de rogner sur les droits acquis des industriels des énergies fossiles ? Ceux-ci menacent d’utiliser le TCE et obtiennent l’affaiblissement de la loi Hulot sur les hydrocarbures (Source : bilaterals.org).
Dans de nombreux cas, la seule évocation d’éventuelles poursuites leur permet de dissuader les pouvoirs publics de mettre en place ces mesures. Les exemples sont nombreux, rappelés dans la note Aitec-Attac publiée en décembre 2020.
Le collectif de journalistes Investigate Europe a donc fait les calculs. Ce sont 344,6 milliards d’euros d’infrastructures liées aux énergies fossiles en Europe, au Royaume-Uni et en Suisse qui sont aujourd’hui protégées par le Traité sur la charte de l’énergie. On parle ici d’infrastructures détenues, totalement ou partiellement, par des investisseurs étrangers et donc protégées par le TCE : trois quarts de ces montants sont des infrastructures gazières et pétrolières. En France, ce sont 22,5 milliards d’euros qui sont concernés (principalement des oléoducs et gazoducs qui traversent le pays). Deux fois plus en Allemagne.
A l’échelle européenne, cela représente donc le double du budget de l’UE. Qui est donc prêt à débourser l’équivalent de 660 euros par habitant.e pour satisfaire les intérêts des industries fossiles ? Qui plus est alors que ces estimations reposent sur une hypothèse basse : les industriels ont le droit de poursuivre les Etats non seulement pour le montant de leurs infrastructures construites mais aussi pour les profits espérés dans le futur. Ce n’est d’ailleurs pas une simple hypothèse : en Italie, l’entreprise Rockhopper demande 9 fois plus d’argent (275 millions $) que la valeur de ses investissements (29 millions $) suite à l’interdiction sur les forages offshore près des côtes.
Souvent, les entreprises des énergies fossiles n’ont même pas besoin d’aller jusqu’à l’arbitrage proprement dit. Outre l’exemple français qui montre que Vermilion a obtenu un affaiblissement de la loi Hulot sur les hydrocarbures simplement en évoquant la possibilité d’un recours devant le TCE, Investigate Europe montre, dans un article en allemand, que le TCE a permis aux industriels du charbon d’obtenir en Allemagne des compensations bien plus conséquentes que celles initialement prévues par les pouvoirs publics. »
L’idéal serait que les 27 Etats-membres de l’UE décident de se retirer du TCE conjointement et dans de brefs délais. A défaut, on attend de la France qu’elle le fasse de manière unilatérale ou avec les autres Etats-membres désireux d’en faire autant.
Pour aller plus loin :
- Rapport de l’Aitec et d’Attac France « Le Traité sur la charte de l’énergie, l’accord qui protège les pollueurs », décembre 2020,
- Traité sur la Charte de l’énergie : la France poursuivie pour la première fois
- Traité sur la charte de l’énergie : le moderniser est vain, s’en retirer est urgent !, prise de position du 23 juin 2022
Sur le plan institutionnel
- Date du vote au conseil de l’UE : le vote n’aura pas lieu lors du Conseil de l’énergie du 25 octobre au Luxembourg et il est repoussé en novembre, peut-être via une procédure écrite ; la décision sera prise à la majorité qualifiée ; une opposition et/ou abstention de plusieurs pays pourraient empêcher son adoption ;
- 22 novembre 2022 : c’est la date où tous les Etats-membres du TCE doivent se réunir en Mongolie pour adopter le texte rénové ; si l’UE n’a pas mandat de voter « pour », le texte rénové ne sera pas adopté.
Sur le plan de la société civile :
- Outil en ligne d’interpellation des ministres. En France, les internautes peuvent écrire à Bruno Le Maire, Christophe Béchu, Agnès Pannier-Runacher, Olivier Becht et Laurence Boone ; également sur twitter et sur Facebook ;
- En 2021, une pétition avait déjà réuni plus d’un million de signataires en Europe.
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