La France doit réduire ses émissions d’ici 2030 de 55% par rapport au niveau de 1990, conformément aux nouveaux objectifs de l’Union européenne, et se mettre sur la voie de la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle. Jusqu’à présent, Paris visait -40% d’émissions, mais se tenait tout juste à -25% en 2022, ce qui lui vaut déjà deux contentieux devant la justice. De fait, la marche est haute : il va falloir faire autant en 10 ans que l’on a fait ces 30 années passées. Or le plan présenté ce lundi 22 mai par le gouvernement définit les « leviers crédibles » permettant d’atteindre ces objectifs en se gardant bien d’évoquer leur mise en œuvre et surtout leur financement. Or la facture risque d’être salée : plusieurs dizaines de milliards d’euros d’investissements publics et privés par an.
« Pour atteindre nos objectifs en 2030, nous devons doubler le rythme de baisse de nos émissions de gaz à effet de serre« , a souligné Elisabeth Borne devant le Conseil national de la transition écologique (CNTE), organe consultatif rassemblant ONG, syndicats, patronat, collectivités parlementaires… « Nous devons tous agir, et agir vite. Nous n’avons pas un instant à perdre pour la transition écologique » a-t-elle lancé. Objectif : une baisse de 55% d’émissions en 2030 par rapport au niveau de 1990, d’où le nom du texte du paquet climat européen, baptisé « Fit for 55 ».
Transports, bâtiment, agriculture, industrie… tous les secteurs devront faire leur part si la France veut réduire ses émissions d’ici 2030 de 55% par rapport au niveau de 1990. Pour y parvenir, ce plan recense tous les leviers possibles « et crédibles » à horizon 2030, explique-t-on à Matignon. L’enjeu est de taille : pour l’instant, le niveau de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’atteint que 25%. Pour être à la hauteur de ses ambitions, notre pays doit accélérer et réduire ses émissions deux fois plus vite qu’il ne le fait aujourd’hui, a concédé la locataire de Matignon.
Tous concernés
« Face à l’ampleur de l’enjeu, chacun doit prendre sa part et personne ne doit se reposer sur les efforts des autres. C’est une question d’efficacité, mais aussi de justice et d’acceptation des changements à venir« , a souligné Elisabeth Borne. Selon la cheffe du gouvernement, « l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre sera donc porté par tous à hauteur des émissions réalisées, des capacités et des moyens de chacun« .
Premiers sollicités, le logement et les transports fournissent les plus fortes marges de progrès, de même que la décarbonation des sites industriels, gros consommateurs de pétrole et de gaz. Les transports forment le premier poste d’émissions du territoire (environ un tiers du total), et la circulation ne cesse d’augmenter. L’Etat compte notamment sur l’électrification des voitures et le covoiturage, source notable d’économies de carbone selon le gouvernement, mais aussi sur un effort sur la logistique dans un contexte de boom des livraisons à domicile.
Dans le logement, il table sur la rénovation performante et le changement des modes de chauffages. Dans l’agriculture, il est question de gains sur l’élevage et les engrais azotés.
Mais quid de la mise en œuvre ? De l’acceptation des acteurs ? A Matignon, on assure que cela peut avancer pour se régler d’ici l’automne.
Des sujets épineux
La moitié des leviers recensés sont déjà engagés (soutien à l’achat de voitures électriques, loi sur les énergies renouvelables, interdiction de nouvel équipement en chaudières fioul…). Pour le reste, des réunions sont prévues entre ministres et acteurs concernés (énergie, agriculture, etc.), pour affiner ce plan d’ici fin juin et la tenue d’un « conseil de planification écologique » autour d’Emmanuel Macron.
Matignon évoque aussi les discussions déjà en cours avec les collectivités et l’aboutissement des renégociations des contrats de plan Etat-Région à la rentrée.
Sur le fond, certains sujets apparaissent en tout cas plus simples que d’autres. Certains leviers seront mécaniques, par exemple la meilleure efficacité énergétique des nouveaux modèles de voitures. D’autres sont plus épineux. Quel avenir pour les chaudières à gaz ? Le plan attend une économie conséquente de 8 millions de tonnes de CO2 par an de leur recul dans le logement, mais la décision n’est pas tranchée sur le « comment ». On peut augmenter les aides ou passer par la voie réglementaire, résume-t-on à Matignon : « deux possibilités, pas les mêmes facilités d’exécution et d’acceptabilité. C’est ce genre de choses qu’on veut continuer à bien discuter pour qu’à la fin cela marche bien » commente Elisabeth Borne.
Pour arriver à tenir l’objectif français, un effort sera demandé à tous : « Personne ne pourra se planquer », dit-on à Matignon. « On demande un peu aux petits et beaucoup aux gros ». « La moitié de l’effort sera accompli par les entreprises – et notamment les grandes entreprises ; un quart par l’État et les collectivités ; et le dernier quart par les ménages« , insiste Elisabeth Borne.
Dans un communiqué, Europe Écologie-Les Verts s’est déclaré « effrayé par l’absence de réelle vision et du courage politique nécessaire pour mettre en œuvre la transition ». « Ce sont des trajectoires plutôt ambitieuses, mais il n’y a pas encore les mesures pour les atteindre », a réagi auprès de l’AFP Anne Bringault, directrice des Programmes au Réseau Action Climat. De son côté, Benoît Leguet, directeur général de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) et membre du Haut conseil pour le climat, a évoqué lui aussi à l’AFP un discours « sans nouvelles annonces ». « Le gouvernement a compris qu’il va falloir des nouvelles politiques publiques [mais] il y a une moitié à peu près de la baisse qui relève de politiques encore à définir », a-t-il ajouté. Pierre Cannet, directeur du plaidoyer et des campagnes du WWF France résume la situation : « le gouvernement a maintenant du pain sur la planche. »
Zones d’ombre et discordances sur le financement
Sur le financement, le gouvernement ne livre ni modalités ni chiffres. Dans son discours, Élisabeth Borne a simplement rappelé que les ministères ont été invités à identifier « des marges de manœuvre », « qui participeront à financer la transition écologique ».
Mais le même jour, l’économiste Jean Pisani-Ferry a estimé, dans un rapport remis à la Première ministre, à 25 à 34 milliards d’euros l’investissement public annuel d’ici 2030. Le lendemain, la corapporteuse et inspectrice générale des finances Selma Mahfouz – affirme quant à elle que « la décarbonation va appeler à un supplément d’investissement » public et privé de 66 milliards d’euros par an.
Pour parvenir à franchir ce mur d’investissements, Jean Pisani-Ferry préconise un recours massif à l’endettement : 25 points de plus d’ici 2040. Actuellement le niveau de dette publique s’établit à 111,6 % du PIB. En parallèle, il préconise un « impôt exceptionnel et temporaire » sur le patrimoine financier des 10 % de Français les plus aisés, pour un produit de 5 milliards d’euros par an. Impossible de savoir dans quelle mesure le gouvernement s’appuiera ou non sur le rapport Pisani-Ferry. Dans sa présentation du 22 mai, Elisabeth Borne a simplement affirmé la volonté de l’État : « Chacun a compris que nous avions besoin d’une action forte et résolue pour nous adapter, limiter les changements en cours et restaurer la biodiversité. »
Le lendemain, mardi 23 mai, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire s’est voulu plus précis, affirmant au micro de RTL qu’« un nouvel impôt n’est pas la solution » et que la politique du gouvernement « est de baisser la pression fiscale ». Bruno Le Maire a, par ailleurs, assuré qu’il n’était pas question « d’aggraver l’état de nos finances publiques. Les deux options qui ne sont pas de bonnes options à mon sens, c’est l’augmentation des impôts ou l’augmentation de notre dette, qui est déjà trop élevée ».
Quelles sont alors les pistes du gouvernement pour financer la transition écologique ? Bruno Le Maire a listé quatre options, dont certaines ont déjà été évoquées pour financer la loi sur l’industrie verte : le verdissement de la fiscalité existante (déjà évoqué par Jean Pisani-Ferry), la mobilisation de l’épargne des Français, le financement de la transition écologique par les entreprises et la mobilisation des banques, parmi lesquelles la Banque européenne d’investissement, « qui doit devenir la banque européenne du climat ». « Voilà quatre solutions alternatives que je mets ce matin sur la table (…), tout ça doit nous permettre d’avoir les moyens de financer la transition écologique (…) sans aggraver nos finances publiques », promet Bruno Le Maire.
Se préparer à l’échec
Autant de déclarations laissant présager que la mise en œuvre concrète de la transition écologique ne va pas être une partie de plaisir. Les difficultés sont immenses, les négociations multiples et complexes. Or le temps presse. Il n’est pas certain que la France réalise ces ambitions et puisse mener la politique de réduction drastique qu’exige l’urgence climatique. En même temps, le président de la République, Emmanuel Macron, a évoqué il y a quelques jours vouloir « une pause » dans la transition écologique.
Est-ce la raison pour laquelle, en parallèle de ce plan de réductions des émissions de gaz à effet de serre, le gouvernement affirme vouloir mieux préparer le pays aux conséquences du réchauffement climatique ? Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, a lancé ce mardi une consultation publique pour définir une nouvelle stratégie pour adapter la France aux températures de la fin du siècle. L’exécutif compte intégrer dans les réflexions le scénario pessimiste d’un réchauffement de 4° degrés des températures en France d’ici la fin du siècle.
Autant dire un échec un échec de la politique climat française et de l’inaction politique globale des dernières décennies : « La réalité globale du réchauffement climatique s’impose (…) ; il faut donc se préparer concrètement à ses effets inévitables sur notre territoire et sur nos vies », a ainsi expliqué ce dimanche 21 mai le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, dans un communiqué. Le gouvernement veut désormais prévoir un « scénario plus pessimiste » correspondant « à la tendance probable en l’absence de mesures additionnelles », dans lequel le réchauffement mondial serait de 3°C, et donc de 4°C en France métropolitaine a dit le ministre.
Une façon de préparer les esprits, au pire.
En effet, dans ce scénario, les canicules pourraient durer jusqu’à deux mois et certaines zones particulièrement exposées (arc méditerranéen, couloir rhodanien, vallée de la Garonne) pourraient connaître jusqu’à 90 nuits tropicales par an. Le gouvernement s’attend à des pluies extrêmes plus intenses, notamment sur une large moitié nord, et des épisodes de sécheresse de plus d’un mois l’été dans le sud et l’ouest. Les pénuries d’eau se multiplieront avec de « fortes tensions sur l’agriculture et la forêt » et la « quasi-totalité des glaciers français auront disparu ». Enfin, des « risques importants sur tous les bâtiments, les infrastructures de transport et les réseaux d’énergie, d’eau et de télécommunications » sont à prévoir avec des « effets marqués sur les zones côtières » devenues hypersensibles à l’érosion du trait de côte et aux submersions marines.
Avec AFP