Alors que l’Europe s’est fixé l’objectif d’accélérer la baisse de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, la France doit à son tour revoir ses objectifs sur l’énergie et le climat dans le cadre de sa planification écologique, qui devait être présentée par l’exécutif mais a été reportée à plusieurs reprises. Dans ce cadre, s’appuyer sur un état des lieux partagé est indispensable pour pouvoir avoir un débat éclairé sur les trajectoires à venir. L’Observatoire climat-énergie est un outil qui vise à faire un état des lieux régulier de la transition énergétique et climatique en France et à identifier les domaines pour lesquels des mesures complémentaires sont nécessaires. Etat des lieux.
L’Observatoire climat-énergie permet de savoir où en est la France dans l’atteinte de ses objectifs sur le climat et l’énergie, d’évaluer les tendances et d’identifier les secteurs où des actions supplémentaires doivent être mises en œuvre pour que la France se mette sur la bonne trajectoire. Il s’appuie sur les indicateurs définis dans la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) et la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) et les sources officielles du Service de la Donnée et des Études Statistiques (SDES) du Ministère de la Transition énergétique ainsi que du CITEPA et de RTE (Réseau de Transport d’Electricité). Cet observatoire est réalisé par le Réseau Action Climat et co-porté par l’ADEME, le CLER-Réseau pour la transition énergétique, Entreprises pour l’Environnement et l’IDDRI.
2022 : une année en trompe l’œil
Si la France respecte son objectif global en émissions brutes (la somme de toutes les émissions des différents secteurs émetteurs, sans l’absorption par les forêts et sols), avec une marge de 4,2 MtCO2e** en termes d’émissions nettes, elle le dépasse de près de 20 MtCO2e. Pourquoi ? parce que l’absorption par les puits carbone a été très inférieure aux niveaux attendus : fixée à 41 MtCO2e dans la SNBC, cette séquestration n’a été en réalité que de 16,9 MtCO2e. La baisse des puits carbone ces dernières années est liée aux sécheresses (renforcées par le changement climatique), aux incendies et aux maladies et parasites dans les forêts, mais aussi aux politiques agricoles engendrant retournement de prairie et arrachage de haies.
** MtCO2e : mégatonne d’équivalent CO2 La tonne équivalent CO2 est une unité créée par le GIEC pour cumuler les différents gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote…) sous un indice unique et les comparer. La SNBC ne prend en compte que les émissions brutes émises sur le territoire français et non pas l’empreinte carbone, qui elle correspond aux biens ou services consommés sur le territoire, qu’ils aient été produits en France ou importés. L’empreinte carbone de la France est estimée à 605 MtCO2e pour 2019 (SDES).
Selon l’association Canopée, face à ce constat d’un puits de carbone forestier en chute (1), le volet forestier de la planification écologique, en cours de finalisation par le gouvernement, pourrait aggraver le problème. À travers l’article 5 de l’Accord de Paris, décliné avec le règlement européen relatif à l’utilisation des terres, au changement d’affectation des terres et à la foresterie (UTCATF), la France est engagée à inverser la diminution actuelle de nos puits de carbone naturels et à atteindre cet objectif contraignant de -41 MtCO2 eq à l’horizon 2030. Or ce puits est estimé à -16,9 MtCO2 eq en 2022. L’atteinte de cet objectif est déterminant pour atteindre la neutralité carbone au plus vite et atténuer l’ampleur du changement climatique en cours.
Mais, alors que le puits de carbone est déjà fragilisé par une hausse de la mortalité et une baisse de l’accroissement biologique, le gouvernement s’entête pourtant à vouloir augmenter la récolte de bois, notamment pour des usages énergétiques. L’augmentation de cette récolte dégraderait le puits de carbone forestier d’environ 11 MtCO2 eq à l’horizon 2030 (et 15-20 MtCO2 eq en 2050) (2).
Plutôt que de remettre en cause cette augmentation, le gouvernement met en avant son objectif de plantation d’un milliard d’arbres. Or, d’après l’évaluation de l’association, et celle de scientifiques indépendants, ce programme de plantation pourrait au mieux permettre d’absorber de 0,5 à 3 MtCO2 eq à l’horizon 2030 et 5 MtCO2 eq (3).
Planter des arbres ne compense donc pas le fait d’en couper davantage. Surtout si ces plantations sont justement réalisées à la place de forêts existantes et bien portantes. Or les critères actuels, et ceux envisagés par le gouvernement, sont insuffisants pour éviter ce risque. Ainsi, Canopée estime que les projets concernent des forêts qui ne sont pas dépérissantes aujourd’hui (4). Le dispositif France 2030 n’a corrigé que très partiellement ce problème puisqu’il autorise toujours la coupe rase d’une forêt à partir du moment où 20% des arbres sont dépérissants.
Pour Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes de l’association Canopée : « Le gouvernement est en train de prendre un risque considérable pour l’avenir de nos forêts en poussant à récolter davantage de bois et en refusant de mettre des garde-fous à son programme de plantation. »
Au moment où le gouvernement est en train de finaliser les derniers arbitrages de sa planification écologique, Canopée l’appelle à revoir sa copie en renonçant à augmenter la récolte de bois, en encourageant l’amélioration des forêts existantes plutôt que leur transformation par coupe rase puis plantation et enfin, en soutenant des sylvicultures favorables à la biodiversité.
Autre secteur, celui des transports qui, au global, reste le secteur le plus émetteur, avec 32,3 % des émissions nationales, suivi par les secteurs de l’agriculture (19 %) et de l’industrie (18,1%).
Pour les secteurs émetteurs, l’industrie et le bâtiment ont respecté leurs budgets carbone, en partie grâce à des facteurs conjoncturels comme des prix de l’énergie élevés et un hiver doux, et en partie par des actions de sobriété et d’efficacité. En revanche, la reprise du trafic routier et aérien en 2022 a engendré une hausse des émissions du secteur des transports qui dépasse son budget carbone. Enfin, l’absence de volonté politique pour le secteur agricole pourrait l’empêcher de respecter son budget carbone en 2022 (à confirmer avec les chiffres définitifs pour ce secteur).
Il est donc nécessaire de renforcer les transformations structurelles dans tous les secteurs pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, d’autant que les objectifs européens visent maintenant une réduction de 55 % des émissions nettes d’ici à 2030 (par rapport aux – 40 % sur les émissions brutes prévus actuellement en France).
Quelles énergies consommons-nous ?
La France est encore fortement dépendante des énergies fossiles, notamment dans ses capacités non électriques. Les produits pétroliers raffinés et le gaz naturel représentent quasiment la moitié de la consommation énergétique nationale.
Une sortie des énergies fossiles difficile et un retard marqué sur les énergies renouvelables
Après une année marquée par une crise énergétique et un plan sobriété, la France a quasiment respecté sa trajectoire de baisse de consommation d’énergie, mais a consommé davantage d’énergies fossiles que prévu (en particulier du gaz fossile et du charbon).
La France reste également en retard sur le développement des énergies renouvelables avec une part de 20,7 % dans la consommation brute finale d’énergie au lieu des 24,3 % prévus dans la trajectoire de la PPE. L’accélération attendue n’est pour l’instant pas au rendez-vous.
La France ne respecte pas son objectif d’émissions nettes pour l’année 2021. Le principal écart vient de la moindre absorption des émissions par les forêts et les sols. Pour les secteurs émetteurs, la baisse des émissions de gaz à effet de serre reste insuffisante.
Le secteur de l’industrie doit avancer plus rapidement dans sa transition, et ce malgré la reprise économique.
Les autres grands secteurs émetteurs (transports, agriculture, bâtiments) ne respectent que de justesse leur budget carbone alors que 2021 était encore une année marquée par le Covid, ce qui laisse craindre une reprise encore plus forte en 2023.
Le système énergétique français reste donc fragile et notre dépendance aux énergies fossiles est encore forte. La planification écologique devra donner les moyens d’atteindre une politique ambitieuse de transition énergétique. Il est donc nécessaire d’effectuer des changements structurels ambitieux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, d’autant que les objectifs européens visent maintenant une réduction de -55 % des émissions nettes d’ici à 2030 (par rapport aux -40 % sur les émissions brutes prévus actuellement pour la France).
La situation énergétique de la France est critique, avec un retard sur les objectifs de baisse de la consommation d’énergie et de développement des énergies renouvelables, leviers essentiels pour nous prémunir des crises internationales et réduire les émissions de gaz à effet de serre.
La France n’est donc pas dans les clous de la transition énergétique, ce qui conduit à de nombreux risques sur le réseau électrique (en grande partie décarbonné mais faisant face à des problèmes structurels majeurs – retard sur les renouvelables et problèmes de disponibilité du parc nucléaire) et une dépendance encore forte aux énergies fossiles. Elle doit mettre en place les moyens d’atteindre ses objectifs et avoir une politique énergétique ambitieuse.
Le 20 septembre prochain, se tient le Sommet sur l’ambition climatique 2023, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies de New York. Cet événement vise à fixer des repères mondiaux pour informer les engagements et stimuler la mise en œuvre par les pays, les entreprises et les institutions financières internationales. A suivre.
(1) Un constat à nouveau pointé par le rapport de l’Observatoire Climat Energie publié le 14 septembre 2023. https://reseauactionclimat.org/ou-en-est-la-france-dans-ses-objectifs-climatiques-et-energetiques-edition-2023/
(2) Le SGPE évoque désormais une hausse des prélèvements équivalente à 11 MtCO2 en page 8 de son document de planification relatif à la forêt. Dans le groupe de travail « biomasse » de la Stratégie Française Energie Climat, l’hypothèse envisagée est une hausse de la récolte de 54,6 Mm3 à 63Mm3 en 2030 (soit environ 8 MtCO2 eq) puis 70 Mm3 en 2050 (soit 15 MtCO2 eq).
(3) Korosuo et al (2023) estime que l’objectif européen de plantation de 3 milliards d’arbres pourrait absorber -15 MtCO2 eq à l’horizon 2050 soit -5 MtCO2 eq pour un milliard d’arbres. Il existe très peu de données permettant d’évaluer l’absorption de CO2 par de très jeunes arbres (10 ans) : avec des hypothèses extrêmement favorables (aucune mortalité, climat très favorable, pas de coupe rase préalable), nous estimons que le puits de carbone d’un programme de plantation 50% chêne sessile / 50% de pin maritime, avec 100 millions d’arbres plantés pendant 10 ans est au maximum de 3 MtCO2 eq et de façon plus réaliste de l’ordre de 0,5 à 1 MtCO2 eq. Korosuo et al (2023) : https://cbmjournal.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13021-023-00234-0
(4) Voir le rapport « Planté ! Le bilan caché du plan de relance forestier ». Ce chiffre est une estimation car le gouvernement refuse la transparence sur les projets financés.
Pour aller plus loin :
- L’IDDRI publie un billet sur son blog : « Élimination du dioxyde de carbone : cinq principes pour une approche scientifique, durable et réalisable« .