Dans un pays où les vastes étendues d’aridité symbolisent autant les défis climatiques que la richesse des hydrocarbures, l’Arabie saoudite déploie une stratégie ambitieuse pour lutter contre la désertification. En accueillant jusqu’au 13 décembre la COP16 sur la lutte contre la désertification, le royaume cherche à se positionner comme un acteur incontournable de la transition écologique mondiale. Mais cette volonté affichée de reverdir ses déserts soulève des interrogations : est-elle la preuve d’une véritable réorientation ou une tentative de greenwashing dans un pays encore très dépendant des énergies fossiles ? Entre initiatives technologiques novatrices et doutes sur leur impact durable, Ryad mise gros sur ce tournant vert, tout en restant sous le feu des critiques.
Un rendez-vous décisif pour l’avenir des terres arides
Présentée par le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, comme un « moment décisif » dans la lutte contre la sécheresse et l’avancée des déserts, la COP16 met l’Arabie saoudite au centre des discussions mondiales sur la désertification. Dans ce contexte, le premier exportateur mondial de pétrole tente de concilier sa dépendance historique aux hydrocarbures avec des aspirations écologiques affirmées.
Le royaume a déjà annoncé une série d’initiatives ambitieuses. Parmi elles, l’« Initiative verte du Moyen-Orient », visant à planter dix milliards d’arbres pour réhabiliter près de 74 millions d’hectares, soit une surface supérieure à celle de la France.
« Cette réhabilitation des terres arides est essentielle pour répondre aux conséquences de la crise climatique et préparer le pays à un avenir post-pétrole », explique un expert local en environnement.
Des innovations prometteuses au cœur des ambitions
Les universités et startups saoudiennes jouent un rôle central dans cette stratégie. À la King Abdullah University of Science and Technology (KAUST), des chercheurs ont développé une station d’épuration capable de traiter les eaux usées tout en produisant sa propre énergie grâce à des micro-organismes anaérobies. Ces bactéries transforment le carbone organique en méthane, collecté sous forme de biogaz.
« L’eau ainsi filtrée peut être réutilisée pour cultiver des micro-algues destinées à l’alimentation animale ou pour irriguer des cultures, participant ainsi directement à la lutte contre la désertification », explique Peiying Hong, professeure à KAUST.
Dans le désert saoudien, un autre projet pilote suscite l’intérêt : la transformation du sable en sol fertile. Himanshu Mishra, professeur à KAUST, et son équipe ont mis au point une technique utilisant du fumier de poulet optimisé pour enrichir les terres désertiques. Cette ressource, abondante, mais sous-utilisée, est produite à raison de 500 000 tonnes par an dans le royaume. Selon le professeur Mishra, le produit agit comme une éponge, retenant les nutriments et l’eau tout en stimulant la biodiversité microbienne indispensable à la végétation.
« Contrairement aux engrais classiques, cette solution offre une capacité durable de fertilisation des sols et pourrait transformer la gestion des terres arides », affirme-t-il depuis une parcelle sur laquelle prospèrent des arbres et plantes dans ce qui était jadis une langue de sable.
Des investissements insuffisants pour un enjeu colossal
Malgré ces avancées, la transition écologique de l’Arabie saoudite se heurte à des obstacles de taille. Selon le rapport « 2023 Middle East Climate Tech » du cabinet PwC, près de 75 % des investissements du Moyen-Orient dans les startups technologiques vertes proviennent du royaume. Toutefois, seule une infime partie de ces fonds est réinvestie à l’échelle régionale.
En 2023, la majorité des 363 millions de dollars dédiés aux startups était dirigée vers le secteur énergétique, suivi de loin par l’agriculture et la gestion des terres (39 millions de dollars). « Lever des fonds reste extrêmement difficile pour ce type d’initiatives », confirme John Robinson, investisseur chez Mazarine Ventures, spécialisé dans la gestion de l’eau.
Un équilibre fragile entre écologie et hydrocarbures
Les ambitions écologiques du royaume s’accompagnent néanmoins d’une réalité plus nuancée. L’Arabie saoudite continue de défendre vigoureusement sa place de leader mondial des hydrocarbures. Pour concilier cette position avec son image verte, le royaume mise sur des technologies comme la capture de carbone et la production d’hydrogène, dans le cadre de son « économie circulaire du carbone ».
Ces efforts sont perçus par certains comme un exercice de greenwashing. En mai 2024, l’ONG European Centre for Democracy and Human Rights affirmait que l’Initiative verte saoudienne servait à dissimuler la dépendance à long terme du pays aux énergies fossiles.
Ryad répond que cette stratégie est essentielle à sa sécurité énergétique. Selon le professeur Mishra, le royaume pourrait devenir un leader régional de l’innovation verte, en exportant à la fois ses technologies et des produits dérivés comme le terreau enrichi.
« L’Arabie saoudite dispose des ressources financières et technologiques nécessaires pour relever le défi. La question est de savoir si elle est prête à accorder la priorité à la durabilité environnementale sur ses intérêts économiques à court terme », conclut un analyste.
Avec AFP