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La transition énergétique française : entre utopie et réalité

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Le mardi 14 Octobre dernier, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi relatif à la transition énergétique. Cette loi s’axe principalement sur trois grands points [1]:

– La réduction de la consommation énergétique finale de 50% en 2050 par rapport à 2012
– La divisionpar quatre des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050
– Baisse de la part des énergies fossiles dans le mix énergétique
– La Diminution de la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75% à 50% à l’horizon 2025.
Les objectifs de ce texte, s’ils sont a priori louables, sont bien ambitieux au regard de la réalité du contexte énergétique français et de la direction prise par nos sociétés modernes en matière de consommation énergétique.

La transition énergétique : des objectifs à revisiter

Soulignons l’importance que revêt l’énergie dans notre économie : en plus de la consommation directe que l’on en fait (chauffage, électricité, transport…), l’énergie participe à la transformation physique des produits y apportant de fait une valeur ajoutée. Si ce lien entre valeur ajoutée et énergie n’est pas pris en compte dans le bilan énergétique que nous connaissons, il a un impact réel sur l’économie[2] : en important de l’acier, on importe également la grande quantité d’énergie utilisée lors de sa fabrication. Le rôle de l’énergie dans nos économies est donc souvent sous-estimé.
Sur le graphique ci-dessous, on mesure mieux la force des liens entre PIB et énergie.

Croissance mondiale du PIB, de la consommation d’énergie et de la consommation de pétrole

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Si l’on veut réduire la consommation globale d’énergie française, il faut donc s’attendre à une baisse de notre croissance en conséquence… L’électricité est particulièrement importante puisque que l’on estime que les 2/3 de l’énergie utilisée en France en 2050, le sera sous forme d’électricité.

Depuis « l’invention » du contrat social, nos sociétés n’ont cessé de chercher à réduire le temps de travail manuel pour laisser plus de place à l’activité intellectuelle, génératrice d’innovations techniques, et in fine laisser une plus grande place au loisir : produire plus d’énergie à moindre effort et à moindre coût. Malgré le développement de certains mouvements à la marge, tel celui du Club de Rome prônant la croissance nulle, il est illusoire de penser que cette tendance historique va brusquement changer et que nos sociétés accepteront à l’avenir de consommer moins d’énergie. La soif de progrès est certes critiquable, mais elle est le cœur de notre système. L’enjeu réel est l’optimisation de notre consommation énergétique : produire plus, à moindre coût, et en polluant moins.

En pratique, la seule alternative au nucléaire que l’on observe est le recours accru aux énergies fossiles, en particulier le gaz. Les énergies dites renouvelables, éolien et photovoltaïque, sont par nature intermittentes, ce qui pose un problème car l’énergie sous forme d’électricité est difficilement stockable [3]: lorsqu’il fait nuit, qu’il n’y a pas de vent ou que les températures sont particulièrement basses, le recours à un autre moyen de production d’énergie est nécessaire. Par défaut, il s’agit généralement du gaz ; or une centrale thermique n’est pas rentable si elle fonctionne par à coup, la tentation est donc grande de l’utiliser en permanence… De plus, la construction des infrastructures nécessaires à la production d’énergies « vertes » n’est pas neutre en émissions de gaz carbonique.

Emissions de gaz à effet de serre des différentes sources d’énergie

N’en déplaise à certains, le nucléaire figure parmi les énergies les plus renouvelables : ce n’est pas un hasard si la France peut se vanter d’être parmi les pays qui affichent un ratio énergie consommée sur émissions de CO2 les plus faibles ! L’objectif de réduction de l’émission des gaz à effet de serre couplé à une sortie progressive du nucléaire est également invalidé par l’Histoire. Depuis le développement du nucléaire en France, la part des énergies non renouvelables dans le mix énergétique a diminué.

Consommation totale d’énergie en France sur la période 1965-2010

Qui plus est, le nucléaire génère plus d’emplois que les énergies renouvelables. Il existe des fondements macroéconomiques solides tendant à prouver que les politiques de développement des énergies vertes n’induisent aucun emploi perein à long terme[4] .

Sur le plan de l’efficience, le nucléaire est également très bon élève : un combustible nucléaire enrichi à 4% en uranium 235 à une densité énergétique de 1 000 000 de KWh/Kg, soit 100 000 fois plus que le charbon ou le pétrole. C’est sans compter le fait que les réacteurs nucléaires de nouvelle génération pourront exploiter jusqu’à 95% de l’uranium… Et ce n’est pas tout, il existe d’ores et déjà des solutions techniques envisageables à moyen terme permettant d’augmenter la rentabilité des centrales nucléaires, de réduire nos émissions de C02, d’améliorer notre balance commerciale et d’accroître notre indépendance énergétique .

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La cogénération nucléaire : une solution pragmatique 

Dans une centrale nucléaire, le réacteur principal chauffe et transmet sa chaleur à de l’eau qui circule au sein du circuit secondaire. Cette eau chaude va ensuite faire fonctionner une turbine qui génère de l’électricité. L’eau est ensuite renouvelée afin de conserver une température au sein du circuit secondaire, propre à refroidir le réacteur nucléaire et à éviter sa surchauffe. La chaleur produite est ainsi rejetée dans l’environnement, et ne sert à personne si ce n’est aux poissons présents dans la rivière… Et pourtant, par une installation technique ne nécessitant pas de modifications majeures de la centrale, on pourrait récupérer cette chaleur sous forme d’eau entre 40°C et 120°C et l’acheminer vers les habitations et les usines : c’est le principe de la cogénération.

Le principal coût est celuampoulei lié à l’installation du réseau de chaleur nécessaire au transport de l’énergie. Il faut également installer tous les 20 à 30 km, des stations de pompage pour acheminer l’eau. La construction du réseau représente un coût fixe : une fois installé, outre les travaux de maintenance, on peut transporter de la chaleur pendant des dizaines d’années. Le fonctionnement d’une centrale en cogénération induit également une diminution de la production d’électricité, qui est largement compensé par les gains en chaleur si les conditions d’optimisation sont respectées[5]. Pour la centrale de Nogent-sur-Seine, située à 80 km de Paris, on estime que la réalisation de l’optimum impliquerait une production supplementaire en chaleur équivalente à un gain de 540 millions d’euros/an (+9 TWh) et une diminution de la production d’électricité équivalente à 180 millions d’euros/an (-1,8 TWh) : soit un gain annuel net de 360 millions/an. Le retour sur investissement d’un tel projet est estimé à une dizaine d’année, ce qui n’est pas grand-chose pour un projet d’une telle envergure. De plus, cela réduirait les émissions de gaz à effet de serre de la région parisienne de 1,7 millions de tonnes de CO2 par an.

Les besoins croissants en chaleur de basse température (<120°C), la hausse du prix des énergies fossiles et les innovations récentes dans les matériaux isolants[6] font de la cogénération nucléaire une solution de plus en plus intéressante. La construction et l’entretien des réseaux de chaleur sont une importante source d’emplois qui rassurera les exploitants des centrales thermiques, dont une bonne partie du métier consiste dès à présent à s’occuper de la thermodynamique des réseaux. La chaleur en provenance du nucléaire représente autant de chaleur ne provenant pas du gaz ou du pétrole, matières premières qui coûtent chers à la France. De plus, la volatilité des prix internationaux et européens de ces combustibles introduit un risque tangible à la dépendance énergétique[7]. Enfin, l’utilisation de cette chaleur dans nos industries diminue l’impact de l’énergie d’origine étrangère participant à la réalisation des produits finis, et donc augmente la part de la valeur ajoutée qui est véritablement d’origine française. Sachant que le fonctionnement de l’ensemble des centrales françaises en cogénération produirait 4 fois plus de chaleur que celle dont on a actuellement besoin, cela est loin d’être négligeable ! On pourrait même imaginer revendre de la chaleur en provenance des centrales frontalières.

Un autre enjeu de taille est celui de la conquête de nouveaux marchés : l’équipe France se positionne aujourd’hui comme l’un des experts mondiaux du nucléaire. A l’heure où de nombreux pays envisagent de produire de l’énergie en provenance du nucléaire, il est dommage de vouloir réduire notre activité dans ce domaine[8]. A titre d’exemple, la Pologne va lancer en 2016 un appel d’offre pour la construction d’un réacteur, et envisage de le doter directement d’une installation de cogénération. La maîtrise pratique de cette technologie constiturait pour la France un véritable atout face à ses concurrents japonais et coréens.

Le nucléaire : une énergie réconciliant croissance économique et développement durable 

La loi française sur la transition énergétique n’est pas seulement utopique mais inefficiente. En renonçant au nucléaire, on force les français à choisir le gaz par défaut, et on prive la France d’une niche de compétitivité importante. Non seulement on émettra plus de gaz à effet de serre, mais le prix de l’énergie augmentera et la variable d’ajustement sera très certainement le consommateur final… Non seulement on prive les français d’une énergie à bon marché, mais on les prive aussi de tous les emplois potentiellement générés par la filière nucléaire.

De nombreuses innovations sont à faire dans le domaine du nucléaire, que ce soit par le développement de « micro-centrales » au plus près des habitations pour limiter le coût du réseau de chaleur, la production d’hydrogène au sein des centrales qui constiturait un bon moyen de stocker l’énergie[9], ou d’autres encore à découvrir.

Le questionnement du gouvernement français ne devrait-il pas être « De quelle manière peut-on permettre aux français de poursuivre leur train de vie actuel sans compromettre celui des générations futures[10] ? » plutôt que « De quelle manière peut-on faire croire aux français que l’on agit en vue d’augmenter le bien commun intergénérationnel ? »

Martin Leurent *, MTI Review – 13 novembre 2014

*Martin souhaite participer à la conception d’un système énergétique réconciliant développement durable et croissance économique. Il démarrera en Juin 2014 une Thèse sur la cogénération nucléaire encadrée par Henri Safa, expert du nucléaire au CEA. Celle-ci va débuter sous la forme d’une étude de prospective technologique en Pologne, pays qui lancera en 2016 un appel d’offre pour la construction d’un réacteur nucléaire. 

Illustration : Nicolas Rolland

[1] http://www.developpement-durable.gouv.fr/-La-transition-energetique-pour-la-.html
[2] D’après les calculs de Gaël Giraud, il faut accroître en moyenne la consommation d’énergie de 1 pour aboutir à une croissance de 0,6 du PIB par habitant. Cela expliquerait peut-être le ralentissement de la croissance que l’on observe dans les pays développés depuis l’époque des chocs pétroliers: http://petrole.blog.lemonde.fr/2014/04/19/gael-giraud-du-cnrs-le-vrai-role-de-lenergie-va-obliger-les-economistes-a-changer-de-dogme/
[3] Exception faite de l’hydroélectricité, qui est limitée par le nombre de rivières exploitables et par son impact sur l’écosystème.
[4] Voir à ce sujet « The myths of green jobs », de Gordon Hughes.
[5] Les Conditions d’optimisation dépendent de la température de la chaleur transportée (120°) et du diamètre des tuyaux utilisés (environ 2m). La production énergétique globale d’une centrale augmenterait alors de 70%.
[6] Le transport de la chaleur sur de longues distances induit des pertes. Grâce aux nouveaux matériaux existants, cette perte serait de seulement 2% pour une ligne de transport de 150Km.
[7] Pour des chiffres sur le solde importateur français des combustibles fossiles ou sur la volatilité des prix : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/Produits_editoriaux/Publications/Le_Point_Sur/2014/lps-192-bilan-energetique-de-la-france-en-2013-b.pdf
[8] 60 pays font ou souhaitent développer le nucléaire pacifique selon la conférence ministérielle internationale sur l’énergie nucléaire au 21e siècle : http://www.delegfrance-onu-vienne.org/spip.php?article458.
[9] Pour en savoir plus : http://www.nuclearforum.be/fr/forum/l-energie-nucleaire-petite-echelle
[10] Définition du concept de Développement durable selon le philosophe allemand Hans Jonas, l’un des premiers penseurs à développer cette notion et à la faire connaître.

BIBLIOGRAPHIE :

SAFA H., [2013], « Quelle transition énergétique ? », Ecosciences.
SAFA H., [2012], « Heat Recovery from Nuclear Plants », Electrical Power and Energy Systems, 42, 539-559.
Hughes G., [2011], « The myths of green jobs », The Global Warming Policy Fondation, GWPF RFeport 3.
Giraud G., [2014], « Le vrai rôle de l’énergie va obliger les économistes à changer de dogme »,
http://petrole.blog.lemonde.fr/2014/04/19/gael-giraud-du-cnrs-le-vrai-role-de-lenergie-va-obliger-les-economistes-a-changer-de-dogme/

JONAS H., [1979], “Le principe responsabilité”.

Sites du gouvernement français :
http://www.developpement-durable.gouv.fr/-La-transition-energetique-pour-la-.html
http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/Produits_editoriaux/Publications/Le_Point_Sur/2014/lps-192-bilan-energetique-de-la-france-en-2013-b.pdf
http://www.delegfrance-onu-vienne.org/spip.php?article458.
Forum sur le nucléaire :
http://www.nuclearforum.be/fr/forum/l-energie-nucleaire-petite-echelle
Etude de Prospective technologique des étudiants MTI

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