La Chine est régulièrement décrite comme le mauvais élève de la protection de l’environnement. Un constat qui se vérifie à tous les niveaux : air vicié (particules fines, dioxyde de souffre, dioxyde d’azote, ozone), rivières contaminées, désertification galopante et les plus importantes émissions de gaz à effet de serre au monde (en valeur absolue). Pour autant, en 2015, cette vision d’un pays qui semble sacrifier sa propre terre à des intérêts court-termistes a commencé à se fissurer. Les présidents Xi et Obama ont en effet signé l’an passé un pacte d’objectifs climatiques qui a en partie permis l’émergence d’un accord global à la conférence de Paris sur le climat (COP21). Cette évolution politique a été confirmée dans le texte de la contribution nationale soumise par la Chine en vue de la COP21.
Mais comment se traduit cet engagement diplomatique dans la société et l’économie chinoises ?
Le déploiement des e-bikes
Le développement de la technologie électrique appliquée aux vélos et aux scooters – regroupés ici sous le nom d’e-bikes – fait partie des objectifs gouvernementaux chinois depuis 1991. Cet objectif a porté ses fruits, puisque l’Agence internationale de l’énergie dénombrait en 2015 plus de 230 millions d’e-bikes en Chine, contre 83 000 voitures électriques, 36 500 bus électriques, environ 400 millions de vélos, 172 millions de voitures non-électriques, 530 000 bus non électriques, et presque plus de deux roues à motorisation classique en dehors des campagnes, en raison des restrictions.
Ces e-bikes présentent, par rapport aux autres modes de transport considérés comme alternatifs, de multiples avantages. Permettant de se déplacer sur une plus grande distance que les vélos traditionnels, ils améliorent, dans le cas des vélos, la santé des utilisateurs en stimulant l’activité physique tout en restant peu coûteux et accessibles à une classe socio-économique plus modeste.
Ils sont d’autre part beaucoup plus écologiques que les voitures et bus électriques, leur masse réduite nécessitant des batteries moins riches en métaux rares et moins énergivores – quand bien même elles nécessitent une recharge quotidienne.
La critique traditionnelle à l’encontre des voitures électriques, qui ne feraient que déplacer les émissions de polluants atmosphériques à l’endroit des centrales à charbon qui produisaient en 2012 plus des trois quarts de l’électricité chinoise, ne s’applique donc que marginalement dans le cas des e-bikes.
Plein soleil
Au cours de l’année 2015, la Chine a ajouté plus de 15 GW de capacité à son parc solaire, atteignant un total de 43,6 GW, soit 19 % de la capacité mondiale. Elle a ainsi surpassé l’ancien leader, l’Allemagne, et ses 39,7 GW. La Chine a multiplié sa capacité de production d’électricité solaire par 13 entre 2011 et 2015.
Aux origines de cette promotion de l’énergie solaire, il y a tout d’abord une volonté politique, celle de mettre fin au règne du charbon et la pollution dantesque de l’air associée qui empoisonne littéralement les grandes villes chinoises.
Il faut aussi souligner que les prix du charbon ont considérablement fluctué à la hausse durant la dernière décennie, avant une stabilisation fragilisée par des signaux internationaux contradictoires en matière de taxe carbone.
La Chine fait appel à sa propre industrie pour fabriquer les panneaux solaires qu’elle installe. Elle jouit d’une fantastique chute des prix du photovoltaïque pour laquelle son industrie, qui produit 71 % du total mondial, est en grande partie responsable. Ce mouvement, parti pour durer à moyen terme, s’explique aussi par la sécurité d’approvisionnement chinoise en matériaux précieux.
À la différence de ses adversaires européens et américains, la Chine a en effet maintenu et amélioré sa stratégie minière de sorte à concentrer la quasi-totalité de la production et de la transformation de certains métaux, comme les terres rares, sur son territoire. Cette domination minière est appelée à fléchir dans les dix prochaines années, au fur et à mesure que ses concurrents ouvrent de nouvelles mines (Australie, Groenland, Afrique du Sud), mais sa stratégie industrielle aura été décisive pour consacrer en quelques années ses entreprises phares dans les principales énergies renouvelables.
Centrales gigantesques et politique d’incitation
Là où le marché européen du solaire se caractérise par une grande diversité dans la taille des installations, l’excellente irradiation du territoire chinois – notamment dans les immenses déserts de l’Ouest et du Nord – permet à Pékin de privilégier de gigantesques centrales. Le projet Gao Taidans le désert de Gobi atteindra ainsi une superficie de 319km², soit trois fois la superficie de Paris.
Le gouvernement achète actuellement le kWh solaire à trois fois le prix du marché, une politique initialement prévue pour durer jusqu’à 20 ans. Malgré les 27 millions d’euros engloutis dans le projet, le propriétaire de la centrale de Gobi espère donc un retour sur investissement dans 7 à 8 ans. Le précédent européen de chute anticipée des subventions d’État au secteur, et l’annonce-choc de cet été par le gouvernement chinois sur une réduction sévère des aides vient toutefois questionner le caractère durable de ce système.
De réels problèmes persistent cependant. Ils sont aussi bien d’ordre technologique – comment empêcher que la poussière du désert ne réduise la productivité des panneaux ? Comment recycler les panneaux de manière à réutiliser les matériaux stratégiques ? – qu’infrastructuraux – comment contrebalancer l’intermittence de production de si grandes capacités ? Comment adapter le réseau pour amener l’électricité dans les grands bassins de population de l’Est et utiliser efficacement la production ?
La National Energy Administration (NEA), l’agence chinoise responsable notamment de la mise en place des politiques énergétiques du pays estime ainsi qu’un tiers de la capacité solaire dans la province du Gansu et plus d’un quart dans le Xinjiang n’ont pas été utilisés l’an dernier.
Il y a aussi la question de l’équilibre des marchés. Les trois plus grands producteurs – JA Solar, Jinko Solar, Trina Solar – continuent d’augmenter leur production d’équipements solaires alors que la demande globale ralentit. La politique du gouvernement de promotion de l’électricité solaire est donc parfois interprétée comme une façon d’absorber l’excès de ces producteurs. La récente réduction du soutien étatique évoquée plus haut pourrait ainsi réduire cette capacité d’absorption de la surproduction et fragiliser les entreprises du secteur.
Reboiser, une priorité
Une autre politique environnementale d’ampleur en Chine concerne son objectif de reforestation. À l’instar du Brésil ou de l’Inde, c’est même l’un des points clefs de sa contribution soumise à la COP21. Sa politique actuelle prend source dans un projet de 1978, surnommé la « Grande Muraille verte » et vise principalement à protéger l’Est du pays de l’avancée du désert de Gobi.
Sur le papier, la reforestation offre de multiples avantages : lutte contre les tempêtes de sable et de vent, contre l’érosion, maintien des biotopes locaux, lissage des écarts de température et stockage de carbone.
L’analyse du cas chinois montre toutefois que les résultats obtenus sont très mitigés. En effet, certaines espèces plantées, dont les conifères, ne satisfont pas à la lutte contre le réchauffement, et la gestion de certaines parcelles replantées présentent un bilan carbone négatif, une situation qui se retrouve en Europe. D’autre part, les espèces choisies ne sont pas d’origine locale. Inadaptées à l’aridité des sols et plantés en monoculture, elles puisent les ressources en eau, menacent la survie des arbustes locaux et meurent à la première sécheresse venue.
Mais la Chine trouve peu à peu des solutions. Dans certaines provinces et en collaborant avec des acteurs internationaux au niveau local, le gouvernement a par exemple proposé une alternative à la mise à mal des forêts en rémunérant les communautés qui en dépendent pour les protéger. Cette logique d’empowerment dépend de la continuité de l’afflux en subventions en provenance d’un État centralisé à l’extrême, mais elle semble pertinente au niveau local car elle présente un intérêt direct aux agents concernés.
Certains observateurs du reboisement envisagent aussi de laisser la possibilité aux forêts de se régénérer d’elles-mêmes en recourant un minimum à l’action humaine. Ils estiment également qu’il faudrait favoriser la polyculture à base d’essences locales, en impliquant les populations rurales qui trouveraient dans l’exploitation de zones de biodiversité une source de revenu plus durable. Cette seconde option offrirait aussi l’avantage de ne pas reporter l’intégralité de la demande en bois sur les forêts étrangères, et notamment la Sibérie voisine.
Rendez-vous à la COP22
Les nouvelles volontés chinoises en matière environnementale évoquées dans cet article font état de nombreux handicaps et semblent encore fragiles devant l’étendue des pollutions locales et de l’emballement des températures à l’échelle mondiale.
Toutefois, des avancées majeures ont été réalisées par le pays ces dernières années, et à un rythme inédit. Au regard de sa puissance économique et géopolitique de premier plan, la Chine a dorénavant la capacité et tout intérêt à porter son projet environnemental en tant que leader mondial. La COP22, fille de la COP21 et qui se tient au Maroc du 7 au 18 novembre 2016 dans le but de trouver des plans d’action et de financements internationaux concrets, sera pour elle l’occasion de tester son nouveau statut.
Arnaud Koehl, PhD student in Environmental Health, Imperial College London
Cet article a été écrit en collaboration avec Thomas Chaudron, acteur du développement du secteur solaire à Singapour et spécialiste de la Chine.
Image d’en-tête : Reuters
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.