Ces changements interviennent dans un contexte où les distinctions traditionnelles entre pays producteurs et pays consommateurs d’énergie s’estompent et où un nouveau groupe de grands pays émergents, l’Inde en tête, s’affirme sur le devant de la scène.
Selon les projections et les scénarios du World Energy Outlook (WEO) 2017, sans une contribution importante de l’amélioration de l’efficacité énergétique, les besoins énergétiques mondiaux augmenteront encore de 30% d’ici 2040 (dont les 2/3 en Asie), ce qui équivaut à ajouter une autre Chine et un autre Inde à la demande mondiale actuelle. La demande de pétrole fossile continuerait donc à augmenter, même si ce serait à un rythme régulièrement décroissant. L’utilisation du gaz naturel augmenterait de 45%, la demande industrielle devenant le secteur de plus grande croissance. Même dans le scénario de « développement durable » du WEO, la consommation de gaz naturel augmenterait de près de 20% jusqu’en 2030. Explications.
L’édition 2017 du rapport World Energy Outlook (Perspectives énergétiques mondiales) s’inscrit dans un contexte de mutation profonde du système énergétique mondial, marqué par quatre évolutions majeures :
– Le déploiement rapide et l’évolution à la baisse du coût des technologies propres : en 2016, la croissance du parc solaire photovoltaïque a été plus importante que toute autre filière de production d’électricité. Depuis 2010, le coût des nouvelles centrales solaires photovoltaïques a baissé de 70 %, celui de l’éolien de 25 % et le coût des batteries de 40 %.
– L’électrification croissante de l’énergie : en 2016 au niveau mondial, la facture d’électricité des consommateurs rivalise avec leurs dépenses pour des produits pétroliers.
– La transition vers une économie davantage axée sur les services et un mix énergétique plus propre en Chine, premier pays consommateur d’énergie au monde.
– La résilience des gaz et pétrole de schiste aux États-Unis, confortant le statut de premier exportateur mondial de pétrole et de gaz au pays, y compris à des niveaux de prix plus bas.
Dans un tel contexte, la résilience de l’exploitation du gaz de schiste, du pétrole, voire du charbon aux États-Unis, représenteront encore 80% de l’augmentation de l’offre mondiale d’énergie fossile jusqu’en 2025, Etats-Unis qui redeviendraient le premier pays extracteur et exportateur d’énergie fossiles dans les prochain décennies. Cette hausse importante de la production de ressources fossiles américaines et le passage plus rapide aux voitures électriques maintiendraient les prix du pétrole entre 50 et 70 USD/baril jusqu’en 2040, ce qui ne suffirait pas à déclencher un revirement majeur dans la consommation mondiale du pétrole.
Les différentes ressources d’énergies continuent à s’additionner strictement (source : Avenir Climatique)
Il est acquis par ailleurs que la part de l’exploitation des ressources énergétiques gazières augmentera dans les prochains décennies mais la lutte contre les émissions de méthane émises dans ce secteur sera essentielle pour soutenir cette évolution. Si celles-ci ne sont pas les seules émissions anthropiques de méthane, elles seront probablement les moins chères à maîtriser, 40-50% de ces émissions pouvant même être maîtrisées sans coût net du fait de la valorisation du méthane capturé. Dans le scénario des « nouvelles politiques » évoquée dans le rapport WEO 2017, la mise en œuvre de telles mesures aurait un impact sur la réduction de la hausse moyenne de la température de la surface mondiale en 2100 équivalent à celui de la fermeture de toutes les centrales électriques au charbon existant en Chine.
En conséquence de tout cela, même dans le scénario de ces « nouvelles politiques » et malgré leur récent « aplatissement », les émissions mondiales de carbone liées à l’énergie augmenteraient encore légèrement jusqu’en 2040, loin des objectifs de l’Accord de Paris ou d’autres rapports d’experts, ce qui n’est pas de nature à ralentir la survenue et maîtriser les impacts sévères associés aux changements, sinon aux bouleversements climatiques !
Depuis l’an 2000, la capacité de production d’électricité via le charbon a encore augmenté de près de 900 gigawatts (GW) et son développement net d’ici à 2040 sera encore de 400 GW, avec beaucoup de centrales déjà en construction. En l’absence de capture et de stockage du carbone à grande échelle, sa consommation mondiale au mieux stagnerait, même si dans certains pays comme l’Inde, sa part dans le mix énergétique chuterait, passant des trois quarts en 2016 à moins de la moitié en 2040.
En particulier, la flotte mondiale de voitures doublera pour atteindre 2 milliards d’ici 2040, les émissions de carbone provenant de l’utilisation du pétrole dans les seuls transports rattrapant presque celles des centrales électriques au charbon (qui seraient stables) avec une augmentation concomitante de 20% des émissions de l’industrie. Certes, si la production, mais aussi le stockage et la distribution d’énergie électrique sont en mesure de suivre, la flotte mondiale de voitures électriques approcherait 900 millions de voitures mais déjà les politiques d’efficacité énergétique actuelles ne couvrent aujourd’hui que 80% des ventes mondiales de voitures avec seulement 50% des camions qui sont concernés.
Associé à l’impulsion des autres secteurs, dont la production de produits pétrochimiques suivie de près par la consommation des camions, de l’aviation et des transports maritimes, cela maintiendrait la demande de pétrole à 105 millions de baril/j d’ici 2040.
Le WEO 2017 relève néanmoins quelques signes « positifs » : les émissions de carbone projetées en 2040 dans le scénario de « nouvelles politiques » seraient quand même inférieures mais d’environ 2% seulement : 35,7 gigatonnes [Gt] contre 36,3 Gt en 2016.
Par rapport aux vingt-cinq dernières années, la façon dont le monde tente de répondre à ses besoins énergétiques croissants influence radicalement les scénarios des « nouvelles politiques », du fait de la croissance de la part du le gaz naturel, de la hausse rapide des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Deux grands changements concerneraient plus particulièrement :
1° d’une part, le passage de la Chine à une économie plus orientée vers les services et un mix énergétique nettement plus propre. Du fait du développement et de la mise en œuvre d’’un volontarisme politique certain en la matière, les émissions de carbone devraient y plafonner à 9,2 Gt (légèrement au-dessus des niveaux actuels) d’ici 2030 avant de commencer à reculer. Cette politique volontariste d’augmentation de l’efficacité énergétique expliquerait une grande partie de la baisse marquée de la croissance observée en Chine, de 8% en moyenne par an entre 2000 à 2012 à moins de 2% par an depuis 2012 mais, sans nouvelles mesures d’efficacité, la consommation finale de la Chin en 2040 serait de 40% plus élevée et elle dépasserait vers 2030 les États-Unis en tant que plus grand consommateur de pétrole, ses importations nettes atteignant 13 millions de barils par jour en 2040. On sera loin de l’objectif de « zéro émission » …
2° D’autre part, le déploiement rapide et la baisse des coûts des technologies d’énergie propre liés à l’électrification croissante de l’énergie qui représenterait 40% des utilisations finales de l’énergie dans le monde d’ici 2040.
Le rapport WEO 2017 souligne aussi que si les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique – notamment dans le secteur résidentiel – mais aussi l’intégration de leurs interactions sont les moyens-clés pour faire avancer la transition vers une économie sobre en carbone et réduire les émissions de polluants, aligner réellement les politiques et les conditions de marché est essentiel pour garantir des résultats tangibles et rentables à la hauteur des enjeux.
Associée à des énergies renouvelables décentralisées, la fourniture d’équipements à haute efficacité énergétique jouerait un rôle majeur, notamment dans la nécessaire extension de l’accès à l’électricité, en particulier dans les communautés rurales et les zones isolées. Le déploiement rapide du solaire photovoltaïque mené par la Chine et l’Inde, permettrait à l’énergie solaire de devenir la plus grande source d’énergie à faible teneur en carbone d’ici 2040, atteignant 40% de toutes les énergies renouvelables.
L’ampleur de ces besoins futurs en électricité et le défi de la décarbonisation de l’électricité expliquent, selon le WEO 2017, pourquoi la sécurité électrique est en plein essor au plan politique, et aussi pourquoi, pour la première fois en 2016, l’investissement mondial dans l’électricité a dépassé celui dans le pétrole et du gaz.
Tout ceci démontre que, quelles qu’en soient les causes et les contraintes, la réalité de l’addiction aux énergies fossiles restera prépondérante dans les 20 prochaines années. Tout (dé)montre que les ambitions politiques et les moyens mis en œuvre adoptés aujourd’hui, notamment dans le cadre de l’Accord de Paris, ne permettront pas de commencer à réduire d’ici à 2040 les émissions globales de carbone.
Un minimum de lucidité impose dès lors d’envisager d’urgence un changement de paradigme. Mais la résistance mentale au changement n’est-elle pas finalement le « lobby » le plus important ? 500 ans après Copernic ne persistons-nous pas à voir le soleil ‘se lever’ le matin alors que c’est le mouvement de l’horizon qui nous le révèle ?
Jacques de Gerlache, (Eco)toxicologue, Directeur de www.greenfacts.org
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