La question de la nature en ville a déjà fait un bon bout de chemin… Ecologues, urbanistes, architectes, acteurs publics, de nombreuses démarches avancent pour revoir nos modèles urbains. Une de ces démarches a le vent en poupe : l’écopâturage urbain. Après les écoquartiers, ce concept un peu fou est devenu un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur comme en témoigne le succès de plusieurs entreprises créées par des communautés de bergers locaux passionnés, partout en France.
Et si on remplaçait les tondeuses par des moutons pour entretenir les espaces verts de nos espaces de vie ? Silencieux, écologiques, attachants… Les moutons ont tout pour plaire ! Ils deviennent même un slogan de protestation, comme celui des étudiants d’AgroParisTech des Yvelines, « Moins de béton, plus de moutons » qui occupent leur école pour protester contre le projet de vente de leur domaine de Grignon à un promoteur immobilier.
Le futur de nos villes n’est peut-être pas celui que l’on croit. Car de multiples questionnements mettent en avant la qualité de vie pour « penser la ville dans sa durabilité environnementale et sociale » (1).
Et malgré une urbanisation intense, réduisant à peu de chagrin les espaces verts, la nature résiste. En effet, comme l’explique Yona Friedman en préface du livre de l’architecte Jana Revedin « La ville rebelle » (2), « Les physiciens ont toujours éprouvé la nécessité de formuler une loi unique de la nature, une sorte de théorie universelle. Ce principe est simple : l’univers dans son ensemble conserve continuellement un équilibre. Tout déséquilibre est automatiquement rééquilibré. […] Et ce principe de l’équilibre est particulièrement important pour les systèmes vivants. »
« Les habitants d’une ville sont toujours des rebelles : ils vivent. Tout simplement. Les habitants improvisent sans cesse et la ville dans son ensemble se rééquilibre sans cesse. »
C’est pourquoi de plus en plus d’organisations, par conviction et dans le cadre de leur politique RSE, sont à la recherche de solutions éthiques et éco-responsables pour diminuer leur impact environnemental. Le phénomène n’est pas nouveau mais il tend de plus en plus à se développer. Cette solution douce de gestion des espaces verts qu’est l’éco-pâturage permet de supprimer les machines, laissant la place à des animaux herbivores qui assurent la gestion d’un ou plusieurs espaces en exerçant une pression modérée sur le milieu et favorisant ainsi la préservation de la biodiversité. Les animaux reprennent leur place de précieux collaborateurs dans la gestion écologique de nos environnements.
Des moutons au sein des entreprises et collectivités
Les Moutons de l’Ouest, entreprise nantaise créée en 2016, emploie sept personnes, entretient 800 000 m² d’espaces avec 600 moutons et chèvres, et compte 80 clients issus de divers secteurs d’activité : ce sont des sièges sociaux d’entreprises, des écoles, des résidences seniors, des sites logistiques, des centrales solaires, des collectivités, des bailleurs sociaux, ou encore des hôpitaux.
« Nous étions au départ concentrés sur les Pays de la Loire avec une première antenne ouverte à Nantes. En 2018, nous avons commencé à être sollicités pour ouvrir des sites d’éco-pâturage en Bretagne. L’activité se développe quasi-uniquement grâce au bouche-à-oreille positif… » explique Quentin Noire, gérant des Moutons de l’Ouest.
En 2013, suite à des études d’Ingénieur à l’Icam, Quentin s’envole pendant un an au Mexique et en Afrique du Sud. Il rencontre une multitude d’entrepreneurs qui s’engagent dans des domaines variés : agriculture, alimentation, énergie, santé, éducation, etc.
Ce voyage est un vrai déclic : il réalise qu’il est possible aujourd’hui de créer son activité et de vivre de sa passion. De retour en France, Quentin travaille durant deux ans en tant que salarié au sein d’une entreprise nationale d’éco-pâturage. Il décide ensuite de se lancer à Nantes, avec dès le départ, la volonté de privilégier le bien-être animal et propose son activité aux entreprises de la région.
Biodis, distributeur de produits biologiques depuis 40 ans, entretient son site logistique de Noyal-Chatillon-sur-Seiche avec des moutons Ouessant et Landes de Bretagne. L’arrivée des animaux a été un événement dans l’entreprise : « L’expérience est riche, tous les salariés sont conquis par le concept et cela correspond tout à fait à notre éthique : un entretien 100% naturel de nos espaces verts. A nos côtés, Les Moutons de l’Ouest nous font profiter de leur expérience, notamment Nicolas, notre berger référent qui ne manque jamais lors d’un passage de nous donner un petit conseil. Nous prenons à cœur le bien-être des animaux, c’est une vraie relation que nous avons créée avec eux. Tous les jours, c’est un réel plaisir de voir nos 12 moutons pâturer, il faut dire que la nature est bien faite ! »
L’Institut de l’élevage, qui fait partie d’un complexe agronomique groupé autour des laboratoires de recherche de l’INRA, a choisi ce type pour l’entretien de sa station expérimentale du Rheu. Tout comme l’école nationale supérieure des sciences agronomiques, agroalimentaires, horticoles et du paysage pour l’entretien d’une parcelle de 4000 m² sur son site de Rennes.
Autre exemple, celui de La Maison des Tamaris, un Ephad de 77 lits, basé à Lorient. L’arrivée des moutons dans le parc arboré a été très apprécié des résidents, dont certains sont d’anciens agriculteurs. Cette animation visible sur le site en permanence donne un objectif pour aller dehors et crée des échanges entre les résidents, le personnel et les visiteurs.
Marin Lourdel, Directrice de la Maison des Tamaris, constate que : « La présence des animaux va inciter les résidents à aller vers l’extérieur et à profiter plus régulièrement du parc. L’écopâturage s’inscrit dans une démarche écologique et remplit ainsi tous les volets de la dynamique de développement durable à laquelle l’Association Adef Résidences est attachée. »
Les acteurs publics ont, eux aussi, très bien compris les avantages à faire appel à l’écopâturage. Comme l’ONF (Office national des forêts) qui, pour entretenir notamment la Réserve naturelle régionale de la clairière forestière de Bresolettes dans le Perche, a fait appel aux Brouteurs du Perche, jeune entreprise d’éco-pâturage créée début 2019, pour un « pâturage-test » sur 3000m².
La région des Hauts-de-France, quant à elle, a lancé une expérimentation de développement de l’éco-pâturage pour la période 2021-2022, à travers un « appel à manifestations d’intérêt » ayant pour objectif d' »accompagner financièrement les propriétaires fonciers de parcelles qui souhaitent les remettre ou les maintenir en bon état écologique en réduisant les interventions mécaniques, et contribuer, autant que possible, à la conservation de la biodiversité domestique en s’inscrivant dans une démarche économique locale.» D’autres départements, comme l‘Oise ou la Seine-Maritime, et de nombreuses communes retrouvent le goût pour cette technique ancestrale au rôle social fort ; les animaux sont non seulement des acteurs de la sensibilisation à la préservation de la nature mais ils jouent aussi un rôle de médiateur dans les relations humaines.
L’écopâturage : une solution d’avenir pour entretenir tous les espaces verts
A l’heure de l’urgence climatique et de la quête de sens des collaborateurs, les moutons présentent de nombreux avantages avec, en premier lieu, l’amélioration du cadre de vie car la présence des animaux est fédératrice et apaisante. Des échanges spontanés se créent au sein des entreprises et des collectivités. Les nuisances sonores des engins mécaniques sont supprimées, tout comme les accidents de travail. L’écopâturage aide au développement de la biodiversité puisqu’il s’intègre dans une politique de suppression des produits phytosanitaires. Les animaux maintiennent la végétation en prairie tout au long de l’année et les insectes pollinisateurs peuvent s’y développer. Les déjections des moutons et des chèvres se désintègrent rapidement dans le sol et créent un engrais naturel bénéfique pour les micro-organismes.
Des moutons adaptés à chaque site
Les Moutons de l’Ouest choisissent les animaux adaptés à la typologie et aux contraintes propres à chaque zone d’éco-pâturage. L’entreprise s’implique pour la sauvegarde des races à petits effectifs comme le mouton Landes de Bretagne ou le mouton d’Ouessant. Celui-ci peuplait l’île d’Ouessant aux XVIIIe et XIXe siècles, et doit sa survie à Paul Abbé, éleveur passionné, qui a entrepris de sauver la race en 1976, ainsi qu’au Muséum d’histoire naturel de Paris. Aujourd’hui, les moutons noirs d’Ouessant ont repris du poil de la bête : on compte une centaine d’éleveurs en France et environ 2.000 bêtes mesurant 45cm au garrot en moyenne. Ils ne produisent ni lait, ni laine, ni viande, mais sont prisés par les collectivités ou les particuliers pour débroussailler. C’est une race rustique qui supporte bien les aléas climatiques, ils vivent quinze à vingt ans et supportent des températures jusqu’à -20°C.
Pour chouchouter les animaux et offrir un service irréprochable en mode « zéro prise de tête », l’entreprise a fait le choix de recruter des bergers qualifiés. Ils évoluent dans l’entreprise et suivent des formations pour accompagner au mieux chaque client. C’est notamment le cas de Nicolas et Thibault qui sont assistés de leurs chiens de troupeau Houat et O’Neil. « Il s’agit clairement d’un métier passion, pouvoir faire ce que je faisais en loisir mais en tant que professionnel, explique Nicolas Lefébure. C’est un métier où il faut aimer le contact humain, car on rencontre beaucoup de monde. J’en profite pour partager ma passion du mouton et aussi pour sensibiliser les gens sur la préservation des races locales comme le mouton Landes de Bretagne et Ouessant. »
Autre acteur breton, dans le Morbihan, Eco-Pâture Breizh prend en charge l’entretien des espaces verts collectifs ou privatifs avec ses moutons Landes de Bretagne et/ou chèvres des Fossés.
Préserver des races patrimoniales
L’éco-pâturage peut aussi avoir un rôle de conservation des races patrimoniales françaises. En privilégiant les espèces rustiques et à faible effectif. L’association Ökotop participe ainsi à la sauvegarde des races menacées d’animaux domestiques du grand nord-ouest de la France. Leur objectif est de faire évoluer les mentalités et proposer des solutions alternatives aux pratiques standardisées d’aménagement et d’entretien des espaces verts, qui exercent sur la biodiversité une pression dévastatrice. Certains animaux méconnus reprennent ainsi du service.
L’oie normande : Cette petite oie qui a la particularité d’avoir les yeux bleus avait presque disparue au siècle dernier, détrônée sur la table des foyers par ses cousines Toulousaines ou Alsaciennes. Elle connait aujourd’hui un regain d’intérêt en particulier dans sa région d’origine. Elle affectionne les grands herbages et les vergers.
L’âne du Cotentin : Selon la légende, l’âne du Cotentin aurait hérité de la célèbre Croix de Saint-André noire qu’il porte à l’encolure pour avoir transporté le Messie sur son dos. Cet âne de taille moyenne est comme son cousin, l’âne normand, un animal de bât qui, jusqu’à l’avènement de l’automobile, assistait les hommes dans les petits travaux de la ferme, notamment le transport des bidons de lait. Cette race très ancienne, mais officiellement reconnue qu’en 1997 par les Haras nationaux, fait aujourd’hui l’objet d’un suivi attentif en raison de la baisse de ses effectifs.
La chèvre des Fossés : Celle que l’on appelait la « vache du pauvre » au début du siècle dernier est aujourd’hui officiellement reconnue par le Ministère de l’agriculture comme la chèvre commune du grand nord-ouest. L’Association de promotion et de sauvegarde (ASP) de la Chèvre des fossés, composée de passionnés fait un travail formidable pour faire valoir les qualités laitières de cette chèvre et ses capacités à valoriser les ligneux et à débroussailler.
Le mouton Solognot : Cette race très ancienne est adaptée aux sols pauvres et humides que l’on trouve dans sa région d’origine. En faible effectif, les brebis solognotes sont heureusement de plus en plus utilisées dans la gestion écologique des réserves naturelles, des marais et des prairies calcicoles.
« Si des décennies durant la préservation de la biodiversité n’a été l’apanage que de quelques scientifiques déconsidérés, de jardiniers naturalistes isolés et d’associations militantes incomprises, aujourd’hui elle est bien au cœur des préoccupations des citoyens et des gouvernants. Dans ce contexte de prise de conscience collective et de mutation lente des pratiques, les animaux « collaborateurs » ont une noble mission : être les ambassadeurs d’un message de respect et de protection du vivant. »
(1) Ouvrage collectif « Petit atlas d’une ville-nature – Jardins urbains et cultures buissonnières à Marseille » – Editions Wildproject, 2017
(2) Livre « La ville rebelle » sous la direction de Jana Revedin – Editions Alternatives, 2015