A l’occasion des élections européennes, HOP publie son Livre Blanc et propose 50 mesures pour une consommation et production durables. Il s’agit d’un guide des politiques publiques pour une société sans obsolescence accélérée. Parmi les recommandations phares : l’instauration d’un indice de durabilité, des cours pour apprendre à réparer dès le collège, un accès plus facile aux pièces détachées ou encore la création d’un fonds pour rendre la réparation moins chère. Pour Inscrire la durabilité au centre des prochains rendez-vous électoraux.
Le réchauffement climatique impose la transition écologique. Or celle-ci ne peut se faire sans repenser nos modes de production et de consommation. L’équation pour réduire notre empreinte écologique tout en satisfaisant les citoyens consiste à réduire la quantité de ressources vierges utilisées tout en allongeant la durée de vie des produits. En effet, si on utilisait les produits électriques, électroménagers, d’ameublement et textiles 50% plus longtemps, on pourrait économiser 77 millions de tonnes de CO2 par an (1), soit deux fois la quantité d’émissions du secteur aérien.
L’obsolescence accélérée des produits prospère à contre-sens de l’Histoire. S’appuyant sur des leviers techniques, logiciels, psychologiques (marketing, publicité), elle pose la question de la désirabilité d’un modèle de société consumériste et productiviste développé depuis les années 1960. La question de l’obsolescence « programmée » est profondément sociale. Cette course effrénée au renouvellement, plus ou moins contraint des produits dépossède les individus de leurs droits à un usage durable des biens et limite leur pouvoir d’achat. Nous constatons qu’elle suscite également un sentiment de frustration et de défiance chez les consommateurs (2).
Naturellement, un tel système de production et de consommation de biens prêts-à-jeter, fragiles et non réparables, est insoutenable. En amont comme en aval, de la fabrication à la gestion des déchets, il s’appuie sur une extraction exponentielle de matières premières et de terres rares, une surexploitation de ressources, l’émission de gaz polluants et à effets de serre mettant en danger la santé et la biodiversité, sans compter les externalités négatives en termes budgétaires pour la collectivité qui en supporte les coûts. Prenons l’exemple des smartphones : sachant que 80 % de l’empreinte carbone de l’appareil est générée à sa construction (3), qu’il faut extraire 70 kilos de ressources pour produire un seul téléphone et que seuls 15 % des téléphones en fin de vie sont collectés pour être recyclés (4) il est nécessaire de repenser les modèles de production et de vente pour allonger la durée d’usage de l’équipement et éviter le renouvellement à neuf. L’obsolescence accélérée des produits concerne tous les biens de consommation « durables » : petit et gros électroménager, textile, high-tech, automobile, etc. La fabrication, le transport et la distribution des biens d’équipement représentent jusqu’à 25 % des émissions de CO2 des ménages français, soit l’équivalent de 6 allers-retours Paris-New York en avion (5). La généralisation des objets connectés et numériques renforce aussi la difficulté de l’obsolescence logicielle (sans parler de l’impact écologique de la digitalisation d’objets traditionnellement low-tech). Les conséquences de ce modèle menacent aujourd’hui l’écosystème d’effondrement.
Si l’obsolescence programmée, qui regroupe l’ensemble des techniques visant à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement, est définie et punie par la loi en France depuis 2015, force est de constater que la culture du jetable des produits dits durables reste malheureusement la norme. La loi Consommation de 2014 a apporté de timides améliorations relatives à l’affichage de la disponibilité des pièces détachées et des garanties légales de conformité. Cette reconnaissance légale assortie de sanctions ainsi que ces mesures sont essentielles mais insuffisantes pour opérer la transition vers une consommation et une production véritablement durables.
En France, deux plaintes ont été déposées et sont en cours d’investigation concernant l’obsolescence des smartphones (Apple) et des imprimantes (Epson), passible de 300 000 euros d’amende et 2 ans d’emprisonnement (et jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires d’une personne morale). L’Italie a d’ores et déjà condamné Apple et Samsung à des sanctions pour les mêmes pratiques commerciales trompeuses, assimilables à de l’obsolescence programmée. La médiatisation de ces affaires, accompagnée d’un fort plaidoyer citoyen, a créé un sursaut inégalé en Europe et dans le monde pour la durabilité des produits. Avec la Feuille de route pour l’économie circulaire (FREC), le gouvernement a commencé à s’emparer de la question en promouvant l’affichage obligatoire de la réparabilité d’ici le 1er janvier 2020. Cette dynamique doit continuer et s’élargir. Les engagements du Président de la République Emmanuel Macron (6) doivent aboutir à des changements concrets et se réaliser, notamment, par l’outil législatif et réglementaire, telle que la Loi économie circulaire, outil puissant pour inciter ou contraindre au changement. À l’échelle locale, les élus peuvent aussi contribuer à l’allongement de la durée de vie des produits, en lien direct avec les usages des citoyens. L’échelon européen est aussi particulièrement pertinent pour ces sujets, puisque l’Union dispose de compétences importantes dans le champ de la politique des produits sur le Marché unique.
Les problématiques d’obsolescence touchant pour une bonne part les firmes internationales, les solutions doivent s’envisager sur le continent, à défaut de l’échelle mondiale, bien que cela ne nous empêche pas d’agir sur le territoire national. L’ONU s’est également emparée du sujet et mesure l’importance de prolonger la durée de vie des produits (7). L’Europe a l’opportunité de se distinguer sur la scène économique mondiale par la compétitivité des produits de qualité et durables. Le Parlement a déjà voté à la quasi-unanimité un rapport d’initiative sur l’allongement de la durée de vie des produits en 2016 (8), dans la lignée d’un rapport voté en 2013 par le Comité économique et social européen (CESE) (9).
L’Union européenne a commencé à agir dans le cadre de l’agenda 2014-2020 fixé par la Commission européenne avec un ensemble de mesures (54) visant à créer un véritable cadre pour le développement de l’économie circulaire. L’Union a notamment acté, en matière de prévention des déchets, que les États membres prennent des mesures pour éviter la production de déchets et en particulier « la conception, la fabrication et l’utilisation de produits qui représentent une utilisation efficace des ressources, sont durables (notamment en termes de durée de vie et d’absence d’obsolescence programmée), réparables, réutilisables et de conception évolutive » (10). Toutefois, les résultats ne sont pas encore au rendez-vous.
Le travail amorcé doit se poursuivre, avec une différence : une ambition à la hauteur des enjeux. C’est la priorité des citoyens. En effet, les consultations citoyennes sur l’Europe, lancées par le Président de la République en avril 2018 auxquelles 70 000 personnes ont participé, ont révélé l’intérêt des citoyens pour l’obsolescence programmée, qui fait partie, avec les plastiques et les produits toxiques, des trois sujets faisant l’objet du plus grand nombre de propositions liées à l’environnement. Rappelons que 92 % des Européens souhaitent l’affichage de la durée de vie des produits (11), et que lorsque les consommateurs sont informés de la durée de vie plus élevée d’un produit, ses ventes augmentent de 56 % en moyenne (12). Une coalition d’acteurs européens toujours plus nombreux et hétéroclites (associations de consommateurs, environnementales, distributeurs, fabricants, réparateurs, chercheurs, designers, personnalités politiques de tous bords…) plaide aujourd’hui pour l’allongement de la durée de vie des produits. Le sujet fédère tant les consommateurs que les entreprises, comme en témoigne le succès du Club de la durabilité lancé en 2017, dont l’objectif est de créer un réseau d’acteurs économiques volontaires pour généraliser la durabilité et la réparabilité des biens.
Conscients des enjeux au niveau climatique, environnemental, géopolitique, social et sanitaire, l’association HOP (Halte à l’obsolescence programmée) souhaite agir pour concevoir le monde dans lequel nous voulons vivre. Avec elle, tous ceux qui veulent mettre fin à l’obsolescence accélérée s’unissent pour promouvoir une consommation responsable et un modèle économique global soutenable, reposant en particulier sur l’éco-conception durable, la réparation, le réemploi, le reconditionnement, la location, le prêt, le don, l’innovation « low-tech » ou encore la sobriété.
Ce livre blanc vise à proposer des mesures aux décideurs publics pour permettre l’allongement de la durée de vie des produits et ainsi développer des externalités environnementales, sociales et économiques positives. Si elles s’inscrivent plutôt dans une logique de commerce envers les consommateurs (B2C), elles doivent pouvoir s’appliquer ou inspirer des améliorations entre professionnels (B2B) et dans le domaine public, tous concernés par la durée de vie des équipements.
Cet ouvrage formul 50 propositions regroupées en six axes : améliorer la conception de produits durables (chap.1), permettre la réparation (chap.2), développer le marché de l’occasion (chp.3), consommer durable (chap.4), renforcer les garanties (chap.5), éviter l’obsolescence logicielle (chap.6).
Nous y retrouvons par exemple des idées fortes comme celle d’afficher la durabilité sur les produits pour mieux consommer, imposer un compteur d’usage visible sur certains produits à l’instar du compteur kilométrique (comme les lave-linge, TV, ordinateurs…), responsabiliser des producteurs vis-à-vis de la réparation et les faire contribuer à un fonds dédié, encadrer la publicité, rendre les pièces détachées disponibles ou encore soutenir l’investissement vers l’innovation durable.
Ce document ne prétend pas à l’exhaustivité, d’autres mesures pertinentes pourraient y avoir leur place, mais il tente toutefois d’apporter un maximum de propositions concrètes, ambitieuses et réalistes.
Ce livre blanc s’adresse aux élus locaux, nationaux, européens. Il a pour ambition d’aider à la prise de décision et contient une « boîte à outils » pour faciliter la mise en œuvre de ces recommandations.
Source : Introduction de la présentation du Livre blanc HOP
(1) Atelier « Obsolescence programmée : le grand gouffre énergétique » organisé aux assises européennes de l’énergie (2019), par HOP /Auxilia
(2) Dans un sondage réalisé par le magazine 60 millions de consommateurs en mai 2014, 92% des personnes interrogées se disent « convaincues que les produits électroménagers ou high-tech sont volontairement conçus pour ne pas durer »
(3) ADEME et FNE (2017). Les impacts du smartphone. Un téléphone pas si “smart” pour l’environnement.
(4) Sénat (2016). Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur l’inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles. p.15.
(5) ADEME (2018). Modélisation et évaluation des impacts environnementaux de produits de consommation et biens d’équipement
(6) En Marche (2017). Réponse au questionnaire de HOP.
(7) UN Environment (2017). The Long View. Exploring Product Lifetime Extensio.
(8) Parlement européen (2017), Rapport d’initiative du Parlement européen sur une durée de vie plus longue des produits : avantages pour les consommateurs et les entreprises.
(9) Avis d’initiative, Pour une consommation plus durable : la durée de vie des produits de l’industrie et l’information du consommateur au service d’une confiance retrouvée, 17/10/2013 ref : CCMI/112-EESC-2013-1904
(10) Directive 2018/851/CE (modifiant la directive 2008/98) article 9 paragraphe 1- b)
(11) Eurobaromètre (2013). “Attitudes of europeans towards building the single market for green products”. Commission européenne
(12) CESE (2016), Les effets de l’affichage de la durée d’utilisation des produits.
Photo d’entête : Reuters / Albert GEA
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