Plus de 500 scientifiques et économistes ont imploré les dirigeants du monde entier de cesser de considérer comme non polluant la combustion du bois des forêts pour produire de l’énergie et du chauffage, et de couper les subventions qui génèrent actuellement une demande exponentielle en granulés de bois. Ces deux actions, écrivent-ils, provoquent une déforestation croissante dans de nombreuses régions du monde.
« Nous vous demandons instamment de ne pas compromettre à la fois les objectifs climatiques et la biodiversité de la planète en passant de la combustion d’énergies fossiles à la combustion d’arbres pour produire de l’énergie. » Ainsi commence la lettre envoyée par plus de 500 scientifiques et économistes au président américain Joseph Biden, à la présidente de l’Union européenne Ursula Von der Leyen, ainsi qu’à Charles Michel, président du Conseil européen, au Premier ministre japonais Yoshihide Suga et au président sud-coréen Moon Jae-in
Rien que dans l’Union européenne, près de 60 % de l’énergie renouvelable provient déjà de la biomasse forestière, ce qui représente des millions de tonnes de granulés de bois brûlés chaque année. Le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Danemark sont parmi les principaux consommateurs de biomasse pour l’énergie et le chauffage, tandis que le Japon et la Corée du Sud convertissent actuellement des centrales électriques au charbon pour brûler des granulés de bois. En Europe, le think tank Ember, spécialisé dans la transition énergétique, identifiait 67 projets de conversion de centrales à charbon en centrales à biomasse en 2019, notamment en Finlande, en Allemagne, en Irlande, en Espagne et aux Pays-Bas. Il calculait que ces installations nécessiteraient de détruire quelque 2 700 km2 de forêt par an pour fonctionner – l’équivalent de la moitié de la Forêt-Noire, en Allemagne. En France, la filière souligne dans le Monde, que les prélèvements de bois, tous usages confondus, sont inférieurs à l’accroissement naturel de la forêt.
La biomasse forestière n’est pas comptabilisée
Conformément à la deuxième directive de l’UE sur les énergies renouvelables (RED II) – tolérée par les Nations unies dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat – les émissions provenant de la combustion de la biomasse forestière ne sont pas comptabilisées. Cette importante faille dans la comptabilisation du carbone entraîne une sous-déclaration des données relatives aux émissions, à un moment où les températures mondiales augmentent rapidement, provoquant une accélération des sécheresses, des tempêtes dévastatrices, des incendies de forêt destructeurs et une élévation du niveau de la mer presque partout sur la planète.
Selon les scientifiques, au lieu d’être une solution climatique neutre en carbone, la coupe des forêts et la combustion de granulés de bois sont plus polluantes que le charbon et « émettent plus de carbone dans les cheminées que l’utilisation de combustibles fossiles », tout en sacrifiant la capacité de séquestration du carbone des arbres, qui sont perdus pour produire des granulés de bois.
« Dans l’ensemble, pour chaque kilowattheure de chaleur ou d’électricité produit, la combustion initiale du bois est susceptible d’ajouter deux à trois fois plus de carbone dans l’air que l’utilisation de combustibles fossiles », indique la lettre, réfutant les affirmations des politiques et de l’industrie selon lesquelles la biomasse ne produit aucune émission.
Pour sa part, l’industrie de la biomasse affirme qu’elle se base sur une politique de gestion forestière qui vise à exploiter sélectivement les arbres des forêts et des plantations d’arbres, évitant ainsi les coupes à blanc et préservant les réserves de carbone. Elle affirme également que les arbres replantés réabsorbent rapidement le carbone libéré par les granulés de bois brûlés. Ces deux affirmations sont remises en question par les coupes à blanc observées par les ONG et par l’accumulation de données scientifiques montrant que les forêts matures absorbent et retiennent beaucoup plus de carbone que les semis et les jeunes arbres.
Forte demande de bois
En 2017, la demande de granulés de bois industriels a dépassé 14 millions de tonnes. D’ici 2027, la demande devrait plus que doubler pour atteindre plus de 36 millions de tonnes. Les plus fortes augmentations de la combustion de biomasse d’ici 2027 sont attendues en Europe, au Japon et en Corée du Sud, avec des forêts sources nouvellement ciblées au Brésil, au Mozambique et en Australie.
Les scientifiques ont proposé quatre plans d’action : mettre fin aux subventions et autres incitations qui favorisent l’utilisation de la biomasse pour l’énergie et le chauffage ; dans l’UE, cesser de considérer la biomasse comme neutre en carbone dans le cadre du programme RED II, qui surestime à tort les réductions d’émissions ; au Japon, cesser de subventionner les centrales électriques pour qu’elles brûlent du bois ; et aux États-Unis, cesser de considérer la biomasse comme neutre en carbone tandis que l’administration Biden établit de nouvelles règles et incitations en matière de climat pour freiner le réchauffement de la planète.
« Les subventions gouvernementales pour la combustion du bois créent un double problème climatique, car cette fausse solution remplace les vraies possibilités réductions de carbone », indique la lettre. « Les entreprises passent de l’utilisation de l’énergie fossile à celle du bois, qui augmente le réchauffement, au lieu de passer à l’énergie solaire et éolienne, qui diminuerait réellement le réchauffement. »
Brûler du bois accroît le réchauffement climatique
Cette initiative de scientifiques et d’économistes américains, européens et canadiens est la dernière en date pour mettre en avant des données scientifiques solides démontrant les impacts environnementaux négatifs de la biomasse utilisée pour produire de l’énergie. Elle interpelle les dirigeants mondiaux, dont les politiques nationales en matière de bioénergie ont contribué à créer une industrie de production de granulés de bois de plusieurs milliards de dollars. Selon un rapport du service scientifique de la Commission européenne publié en janvier, le recours à la biomasse forestière (notamment sous forme de bûches ou granulés) pour la production d’énergie a augmenté de 34 % entre 2005 et 2018. Au sein de l’Union européenne, la production de granulés a également été multipliée par 100 en près de vingt ans.
« Nous sentons qu’il y a une prise de conscience croissante en Europe du problème [des émissions de la biomasse], [même s’]il y a de plus en plus de preuves de grandes récoltes de bois supplémentaires depuis 2015 en raison de la bioénergie », affirme Tim Searchinger, chercheur à l’université de Princeton et expert en biomasse forestière, qui a participé à la rédaction de la lettre.
« La combustion du bois va accroître le réchauffement pendant des décennies, voire des siècles. Cela est vrai même lorsque le bois remplace le charbon, le pétrole ou le gaz naturel », ont noté deux des signataires de la lettre, Jean-Pascal van Ypersele, ancien président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies, et Peter Raven, lauréat de la médaille nationale des sciences des États-Unis.
L’UE va-t-elle réévaluer la neutralité carbone de la biomasse ?
Alors même que le consensus scientifique contre la biomasse forestière se durcit, l’opinion publique européenne commence à se retourner contre cette forme de bioénergie, plus de 40 000 Européens ayant signé une pétition contre la combustion des forêts pour produire de l’électricité. Fait important, Franz Timmermans, vice-président de la Commission européenne, a récemment déclaré à la presse néerlandaise que l’Union européenne réévaluerait ses politiques en matière de biomasse dans le cadre de la politique RED II dès le mois de juin.
Un porte-parole de la Commission européenne a donné des précisions à Mongabay, en évitant soigneusement d’aborder spécifiquement les changements de politique demandés dans la lettre : « Une bioénergie plus durable est nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques et énergétiques de 2030 et la neutralité climatique à long terme ». Il poursuit, dans une climato-rhétorique très tendance dans le milieu des décideurs politiques : « Il est toutefois important de s’assurer que l’offre et la demande ne seront pas plus importantes que nécessaire pour cet objectif et que la bioénergie est produite et utilisée de manière durable, tandis que les impacts négatifs sur l’environnement sont effectivement évités et réduits au minimum. De plus […] dans la stratégie 2030 sur la biodiversité de l’UE, l’utilisation d’arbres entiers et de cultures pour l’alimentation humaine et animale pour la production d’énergie – qu’ils soient produits dans l’UE ou importés – devrait être réduite au minimum. »
Phil Duffy, signataire de la lettre et président du Woodwell Climate Research Center, est très critique sur la position actuelle de l’UE : « Il n’y a absolument aucune raison pour que le bois, sous quelque forme que ce soit, doive être brûlé pour produire de l’électricité. Le vent, le soleil et le nucléaire sont des sources d’énergie à très faible émission de carbone et sont extrêmement abondants. Produire de l’énergie à partir de ces sources, tout en développant simultanément les forêts et d’autres réservoirs naturels pour éliminer le CO2 de l’atmosphère, n’est pas seulement neutre en carbone, mais négatif en carbone. C’est la seule approche qui a une chance infime d’éviter des résultats climatiques inacceptables. »
Bill Moomaw, professeur émérite à l’université Tufts et grand spécialiste de la biomasse, a participé à la rédaction de la lettre des scientifiques sur la biomasse. Il est lui aussi critique à l’égard de la réponse de l’UE, qu’il trouve pour le moment trop vague pour être encourageante. « Qu’entendent-ils par durable ? demande-t-il. Dans quelle mesure vont-ils minimiser la coupe d’arbres entiers ? Nous devons réduire toutes les émissions de gaz à effet de serre aussi rapidement que possible dans l’ensemble du secteur énergétique, y compris la bioénergie. Et nous devons augmenter l’absorption du dioxyde de carbone par nos forêts existantes. La seule façon d’y parvenir est de les laisser pousser. La plantation de nouveaux arbres ne contribuera que très peu à la séquestration du carbone dans le court laps de temps dont nous disposons pour ralentir le rythme du réchauffement planétaire ».
La forêt en danger d’extinction
Un appel en forme de cri d’alarme d’autant plus retentissant que la forêt est littéralement menacée d’extinction. Sécheresse aggravée par le réchauffement climatique, apparition de parasites fortifiés par la chaleur, conséquences d’une gestion productiviste insouciante du bois, plus de la moitié de nos forêts est en grand danger et risque de disparaître. Ce constat inattendu est dressé par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui a récemment inscrit nos grands arbres dans sa « liste rouge » des espèces gravement menacées.
En évaluant les 454 espèces d’arbres propres au continent européen, les analystes ont constaté que 42 % des espèces étaient menacées d’extinction à l’échelle régionale. Pour les arbres endémiques, qui n’existent qu’en Europe, plus de la moitié d’entre eux (58 %) étaient très menacés d’extinction, tandis que 15 % étaient considérés comme gravement menacés – un pas de plus vers l’extinction.
Même parmi les arbres qui allaient bien, une douzaine d’espèces étaient sur le point d’être elles-mêmes menacées, et les auteurs de l’étude admettent que 13 % n’avaient pas suffisamment de données pour leur attribuer un état de conservation.
« L’impact des activités menées par l’homme entraîne un déclin des populations et un risque accru d’extinction d’espèces importantes en Europe », déclare Luc Bas, directeur du Bureau européen de l’UICN. Ce rapport montre à quel point la situation est désastreuse pour de nombreuses espèces négligées et sous-estimées qui constituent l’épine dorsale des écosystèmes européens et contribuent à la santé de la planète.
Encore une opération d’écoblanchiment. Car, tout comme les « biocarburants » devraient en réalité être appelés « agrocarburants », la « biomasse » et toutes les « bioénergies » devraient se nommer « agromasse » et « agroénergies ». Quoique l’on se rendra vite compte que leurs dénominations les plus justes à terme, en raison de leurs impacts sur le réchauffement climatique et la survie de l’humanité donc, devraient toutes commencer par le préfixe « nécro ».
Je serais intéressé par toute étude qui détaille le calcul qui pousse les signataires à écrire que « la combustion initiale du bois est susceptible d’ajouter deux à trois fois plus de carbone dans l’air que l’utilisation de combustibles fossiles ».
Les arbres devraient être sacrés, ils fabriquent l’oxygène que nous respirons. Ils absorbent le CO2 quand ils sont vivants et non morts. A quand un statut juridique pour les arbres. Donc le maire de Bordeaux a raison d’arrêter les arbres de Noel on peut tout à fait décorer un arbre qui pousse sur les trottoirs, n’en déplaise à ceux qui n’ont pas changer de siècle. Et oui, on constate tous que les coupes rases sont légions. Dans certaines régions, il y a même des coupes rares illégales, on te vole même ta forêt dans laquelle tu ne passes une fois… Lire la suite »