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centrale nucléaire

Ça surchauffe dans les centrales nucléaires

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Il y a trois semaines, on décelait une contamination radioactive de la Loire. « Légère » ont dit les responsables de centrales. Aujourd’hui, on s’inquiète du niveau et de la température de la Loire, on s’interroge sur la résistance à la chaleur des groupes électrogènes, on se demande si les réacteurs vont résister à la surchauffe de nouvelles canicules.  Les pouvoirs publics distribuent des capsules d’iode aux riverains de toutes les centrales ; « au cas où ». Le nucléaire est certes le système de production d’énergie le plus propre sur le plan des émissions des gaz à effet de serre. Il n’en demeure pas moins qu’en situations climatiques extrêmes, il semble dangereusement atteindre ses limites.
 
Tous ceux qui ont l’occasion de se promener en ce moment au bord de la Loire le constatent aisément : le niveau du fleuve a considérablement baissé, laissant affleurer bancs de sable et forêts de roseaux. La sécheresse commence à marquer les paysages en France, après une saison pluvieuse parcimonieuse et un début d’été caniculaire. 39 départements français sont d’ailleurs placés depuis le début de la semaine en « alerte sécheresse ». Or le long de la Loire il y n’y a pas que des jolis châteaux ; il y a aussi des centrales nucléaires et toutes utilisent le fleuve pour refroidir leurs installations.
 

De l’eau, beaucoup d’eau

Les prélèvements des centrales sont considérables car ils représentent plus de la moitié du volume d’eau prélevé en France. En fonctionnement normal, les installations rejettent ainsi dans les fleuves et rivières de l’eau plus chaude et des résidus de substances chimiques. Lorsque la température extérieure augmente comme c’est le cas lors des épisodes de chaleur ou de canicule, et que le débit du cours d’eau diminue du fait de la sécheresse, on imagine aisément que l’impact de ces rejets crée des nuisances. Les milieux aquatiques, déjà fragilisés, sont mis à rude épreuve par la moindre dilution des polluants et par les rejets d’eau chaude. Ceux-ci agissent comme une barrière qui réduit considérablement les chances de survie des poissons grands migrateurs, comme les saumons ou les truites des mers.
 
Certes, passé un certain seuil, des mesures sont mises en œuvre par EDF. Mais celles-ci connaissent aussi leurs limites. Ainsi, pour chaque site, la réglementation fixe une température maximale à ne pas dépasser en aval (26°C pour Bugey, 28°C pour Fessenheim…), faute de quoi la centrale est censée s’arrêter. Toutefois, EDF obtient bien souvent des dérogations. À la suite de la canicule de 2003, la réglementation site par site a été assouplie. Et si, en cas de « canicule extrême et nécessité publique », les limitations habituelles ne peuvent être respectées, un décret de 2007 autorise à modifier encore les conditions de rejets thermiques ! Les poissons apprécieront…
 
Un débit d’eau suffisant est donc indispensable pour refroidir les réacteurs, faute de quoi ceux-ci doivent subir une baisse de puissance, voire s’arrêter. En outre, la température de l’eau ne doit pas dépasser un certain seuil, sans quoi le refroidissement n’est plus efficace. Or avec le réchauffement climatique, le débit moyen des cours d’eau devrait diminuer, de 10 à 40% à horizon 2050-2070 comparé à aujourd’hui, selon une étude commandée par le ministère de la Transition énergétique. Ce qui promet une multiplication des conflits d’usage : agricole, domestique, industriel, énergétique etc.
 
Pour soutenir le débit des cours d’eau, EDF joue sur les barrages et retenues en amont… quitte à ce que le refroidissement des centrales passe avant d’autres usages. La question peut même prendre des proportions internationales : en avril 2015, François Hollande avait négocié avec la Suisse pour qu’en cas de sécheresse, le débit du Rhône à la sortie du Lac Léman reste suffisant pour refroidir les 14 réacteurs français situés au bord du fleuve.
 
Dès l’origine, des doutes ont été exprimés quant à la capacité de certains cours d’eau à assurer un refroidissement correct. Les commissaires-enquêteurs avaient ainsi émis un avis défavorable à la construction de la centrale nucléaire de Civaux, sur la Vienne. Cette problématique est devenue plus lourde ces dernières années. En 2003, un quart du parc a dû être arrêté. En 2018, une demi-douzaine de réacteurs ont dû voir leur puissance réduite et quatre autres ont été purement et simplement arrêtés. Une tendance qui devrait s’accentuer.
 
 
L’été 2019 devrait voir se reproduire de nouveaux arrêts ; En effet, fin juin déjà, la situation de nombreux cours d’eau était très inquiétante : la Garonne connaît un étiage critique, le débit de la Loire est significativement inférieur à la moyenne, celui de la Vienne est très bas… Quant à la retenue de Pierre-Percée, dont dépendent la Meuse et la Moselle (et donc les centrales de Chooz et Cattenom), elle n’est remplie qu’aux deux tiers.
 

Rejets radioactifs

Concernant les rejets de substances chimiques et radioactives, la réglementation impose, lorsque le niveau des cours d’eau devient trop bas, de les stocker dans des réservoirs, les « bâches ». Mais les capacités de stockage sont limitées, et ce alors même que la consommation de produits chimiques est plus importante en été pour éviter la prolifération des amibes. En outre, à la fin de la saison, ces polluants sont finalement rejetés et il n’est pas garanti que les différents sites nucléaires situés au bord du même fleuve (Loire ou Rhône) se concertent pour éviter d’effectuer ces rejets massifs en même temps. Or un grand nombre de communes prélèvent leur eau potable dans ces cours d’eau…
 
Il y a trois semaines, l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (Acro) révélait avoir mesuré « une contamination radioactive anormalement élevée » dans les eaux de la Loire. Les relevés avaient mis en évidence une concentration de tritium dans l’eau du fleuve équivalente à 310 becquerels par litre (Bq/L). L’Union européenne fixe une référence de qualité à 100 Bq/l, seuil inoffensif pour la santé humaine mais à partir duquel on peut commencer à se poser des questions. En effet, le tritium n’est pas en soi dangereux à faible dose, mais c’est un bon indicateur des rejets d’une centrale nucléaire. Après cette révélation de l’ACRO, l’Autorité de sûreté nucléaire a mené le 21 juin une « inspection inopinée » de la centrale de Chinon. Verdict : rien à signaler. Si ce n’est Chinon, c’est donc son frère – la centrale voisine de Civaux sur la Vienne — avance le directeur de Chinon. Opacité et grande camaraderie semble être de mise dans ce genre d’affaires.
En attendant, les pouvoirs publics prennent des précautions et fournissent à tous les riverains dans un rayon de 20 kilomètres des centrales françaises des comprimés d’iode pour intervenir immédiatement en cas de contamination radioactive. Tout cela est bien rassurant…
 

Des installations en surchauffe

Les fortes chaleurs ne font pas bon ménage avec la plupart des équipements technologiques. En période de canicule, nos ordinateurs surchauffent et tout le monde peut constater aisément une baisse de leurs performances. Quand ils ne tombent pas en panne. Cette fragilité à la chaleur toucherait aussi les équipements des centrales nucléaires, compromettant la sûreté des installations.
Lors de la conception des réacteurs, des températures maximales avaient été prises en compte pour dimensionner les systèmes d’aération en fonction. En 2003 et 2006, ces températures ont été dépassées. Il a même fallu arroser l’enceinte de confinement de la centrale de Fessenheim pour refroidir le bâtiment comme le montre ce reportage tourné à l’époque.
 
 
Depuis, EDF a mis en place des matériels résistant mieux à la chaleur et rajouté de nouveaux dispositifs de refroidissement. Mais, comme l’explique l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), certains équipements restent vulnérables aux fortes chaleurs. C’est le cas notamment des diesels de secours, censés prendre le relais si l’alimentation électrique fait défaut – et qui, par ailleurs, sont dans un très mauvais état sur l’ensemble du parc… Ces diesels ont besoin d’être refroidis par l’air extérieur. Si la température devient trop élevée, ils ne peuvent plus fonctionner correctement et les réacteurs se retrouvent donc sans filet de sécurité.
 
Alors que les vagues de chaleur sont censées devenir plus fortes et plus fréquentes du fait du changement climatique, la poursuite du fonctionnement de centrales vieillissantes a de quoi inquiéter. EDF, qui souhaite prolonger le fonctionnement de quasiment tous ses réacteurs jusqu’à 50 ans au moins, a réalisé des études destinées à démontrer qu’ils pourraient résister à des phénomènes climatiques extrêmes, même à cet âge canonique. Mais l’IRSN estime que « la démonstration de la capacité des installations à faire face aux situations de « grands chauds » n’est pas pleinement apportée à ce stade et doit être complétée par EDF ». Dans une note publiée en février 2019, il souligne qu’EDF doit revoir sa méthodologie pour déterminer les températures exceptionnelles auxquelles sont censé résister les réacteurs, de sorte que les calculs doivent être refaits. Alors que des températures record ont été enregistrées fin juin, l’optimisme d’EDF pourrait s’avérer bien téméraire.
 
En outre, l’IRSN considère que, dans les calculs d’EDF, l’écart entre la température atteinte dans les locaux et la température maximale admissible pour certains équipements importants pour la sûreté est beaucoup trop faible. L’IRSN relève également qu’EDF n’a pas fourni d’information permettant d’évaluer la tenue à la température de certains équipements dont l’utilisation est requise pour gérer des situations qui n’avaient pas été étudiées lors de la conception des centrales. On ne sait donc pas, à l’heure actuelle, si les centrales pourraient faire face à ces situations dans des conditions de forte chaleur. Des études doivent être réalisées par EDF, mais elles ne seront pas achevées avant 2021.
 

Le nucléaire, c’est bon pour le climat ?

Ces inquiétudes se développent dans un contexte qui est celui du dérèglement climatique et de l’urgence absolue de réduire les émissions de gaz à effet de serre.  Sur ce plan, le nucléaire serait le moyen le plus compétitif pour fournir de l’énergie en dégageant le moins de CO2 possible dans l’atmosphère. Selon des chiffres du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)  cités par la Société française d’énergie nucléaire qui regroupe les professionnels du secteur, les centrales à charbon émettent 820 g de CO2 par kw/h, celles à gaz 490, le photovoltaïque 41, l’hydraulique 24, le nucléaire 12 et l’éolien 11. Ces chiffres placent EDF dans une position très confortable au regard de son bilan carbone : la compagnie fournit son électricité à 87 % nucléaire et hydraulique, ce qui lui permet d’émettre six fois moins de gaz à effet de serre par habitant que la moyenne des pays européens.

LIRE DANS UP’ : Climat : Et si l’énergie nucléaire était la seule à nous sauver de la catastrophe annoncée ?

Les partisans de l’énergie nucléaire mettent souvent en avant un autre argument de poids : par rapport aux énergies renouvelables, le nucléaire produit de l’énergie « à la demande ». Les énergies renouvelables du type éolien et photovoltaïque dépendent du vent et du soleil. « L’éolien terrestre ne fonctionne que 25% du temps alors que le nucléaire, lui, a un taux de charge de 75%, et même de 80% pour l’EPR, le réacteur de troisième génération », reconnaît à Franceinfo  Yves Marignac, porte-parole de l’association négaWatt, qui ne peut être suspecté d’être un défenseur acharné de l’atome.
Le Giec lui-même admet que le chemin vers le zéro carbone pour limiter le réchauffement climatique passe par le nucléaire. Dans son dernier rapport de 2018, le groupe d’experts notait que « l’énergie nucléaire augmente sa part dans la plupart des trajectoires correspondant à une stabilisation du réchauffement à 1,5 °C »
 
Ces arguments plaident sans contestation possible apparente pour le nucléaire. En revanche, d’autres arguments de poids font pencher le débat dans l’autre sens. L’argument économique n’est pas le moindre : en effet, 80 % de l’énergie nucléaire produite en Europe provient de centrales qui ont plus de trente ans. En France, d’ici 2028, 34 des 54 réacteurs vont fêter leur quarantième anniversaire. Un âge avancé qui impliquera la mise à la retraite voire au rencart. Mais le démantèlement d’une centrale s’avère être d’un prix exorbitant et la construction de nouvelles centrales comme l’EPR, une aventure industrielle et financière.
 
L’argument sécurité est celui qui a toujours été opposé depuis que l’industrie nucléaire existe. L’atome fait peur et depuis Tchernobyl et Fukushima, le seul mot « centrale nucléaire » fait frémir. C’est la raison pour laquelle des pays comme l’Allemagne ont décidé de sortir du nucléaire dans des délais très courts. Le débat n’épargne pas la France et les organisations écologistes comme Sortir du nucléaire ne désarment pas en multipliant les pièces de leurs dossiers instruits contre le nucléaire, ses dangers et ses déchets.
 
Un débat en forme de dilemme qui se fait de plus en plus vif. En France, les députés ont voté, fin juin, le report de dix ans de l’engagement de diminution de la part du nucléaire français. En bref : on verra plus tard. En attendant, l’Autorité de sûreté nucléaire est de plus en plus tatillonne sur les questions de sécurité, on le voit avec les retards accumulés dans la construction de l’EPR.
 
Des débats qui ne concernent pas du tout d’autres pays dans le monde. Ils ont déjà tranché pour le nucléaire. Les Russes l’embarquent même sur des barges flottantes pour alimenter en électricité leurs nouveaux territoires déglacés du Nord.  Les Coréens exportent leurs centrales aux Émirats arabes unis qui préparent l’après pétrole, les Chinois et les Américains font la course pour commercialiser leurs nouveaux petits réacteurs moins complexes et plus économiques qui devraient essaimer d’ici quelques années. Le nucléaire semble avoir encore de beaux jours devant lui, et ce, quelles que soient les conditions climatiques et les risques qui en découleront.
 
 
Sources : AFP, Sortir du nucléaire, France Info
Image d’en-tête : photo François Mori
 

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