Un débat politique et environnemental majeur se profile à l’approche de la COP26 qui aura lieu en Écosse en novembre prochain. L’UE et l’industrie forestière encouragent la biomasse ligneuse (transformation des arbres en pellets de bois et combustion de ces derniers pour produire de l’électricité), en affirmant que les recherches démontrent que la biomasse est durable et ne produit aucune émission. Or des défenseurs de la forêt et de nombreux scientifiques se positionnent dans le camp adverse en apportant la preuve que la combustion de biomasse est néfaste pour les forêts et la biodiversité, plus polluante que le charbon, et qu’elle contribue à la perturbation du climat.
UP’ Magazine propose ici, avec la plateforme Mongabay, une analyse des données scientifiques des deux camps prenant part au débat sur la biomasse, en résumant les études et rapports clés et en indiquant des liens vers des sources principales pour mieux comprendre ces questions complexes.
La Commission européenne a reçu de nombreux éloges en juillet, lorsqu’elle a communiqué les détails de son plan d’atténuation du changement climatique dans le cadre du pacte vert pour l’Europe. Cette annonce a mis en évidence les moyens avec lesquels les 27 pays membres prévoient de réduire leurs émissions de carbone de 55 % d’ici à 2030 par rapport à 1990 pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, faisant de l’Europe le premier continent à y parvenir.
En prenant cette initiative, l’UE se positionne comme un leader mondial à l’approche du sommet des Nations unies pour le climat COP26 prévu en novembre en Écosse, où des engagements nationaux plus agressifs pour réduire les émissions seront enfin mis en œuvre.
En juillet, l’UE a présenté ce qu’elle considère comme une action agressive pour le climat : une feuille de route incluant l’abandon des énergies fossiles pour la production d’énergie en neuf ans, une interdiction de la production de véhicules à essence et au diesel d’ici à 2035, une taxe sur les produits importés à forte densité carbone, l’obligation de produire 38,5 % de l’énergie à partir de sources renouvelables d’ici à 2030 (le taux actuel est de 38 %). Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a déclaré que le pacte vert était comparable au premier homme ayant marché sur la Lune pour l’Europe.
Toutefois, les critiques craignent que les objectifs de l’UE en matière de réduction des émissions ne soient pas atteints en raison d’un aspect négligé du pacte vert dont les médias ont peu parlé : la directive sur les énergies renouvelables RED II de l’UE, telle que proposée en juillet, continuera à reconnaître la combustion de pellets de bois pour produire de l’énergie comme une source d’énergie renouvelable ne produisant pas d’émissions et comme une alternative au charbon respectueuse du climat. RED II poursuivra la pratique très controversée de ne pas comptabiliser les émissions carbone libérées dans l’atmosphère alors que l’Europe brûle plus de 30 millions de tonnes de pellets par an.
Il est à noter que l’UE brûle beaucoup moins de combustibles fossiles pour produire de l’énergie que par le passé. Cependant, selon les personnes ayant étudié l’utilisation de pellets de bois de l’UE et l’ayant trouvée troublante, dans un contexte de crise climatique de plus en plus dangereuse, seule une réelle réduction des émissions pourrait ralentir le réchauffement climatique.
Si l’UE est vue par les autres nations comme un précurseur de la COP26, sa classification de la biomasse ligneuse comme étant une manière de produire de l’énergie neutre en carbone pourrait influencer les politiques des autres pays, parmi lesquels le Japon, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Corée du Sud, les incitant à suivre son exemple avec des conséquences potentiellement catastrophiques pour les forêts et le climat global dans les années à venir.
Bon ou mauvais pour les forêts ?
Cet article met l’accent sur les faits scientifiques relatifs à la biomasse ligneuse examinés par des pairs et a pour objectif de déterminer en partie si l’objectif de réduction des émissions de 55 % de l’UE est atteignable ou illusoire. La controverse sur la biomasse peut certainement être mieux définie par les positions intransigeantes des deux camps en matière de biomasse.
« Alors que l’UE prétend réduire l’utilisation et les émissions de combustibles fossiles, mais brûle davantage de bois de forêt, les émissions et la dégradation des forêts augmentent », a déclaré Mary Booth, une écologiste forestière étasunienne, spécialiste de l’utilisation et de la politique de la biomasse. « Il est tragique que la Commission européenne n’ait pas saisi l’opportunité d’une réforme significative de ses politiques en matière de biomasse. […] Le refus de reconnaître les données scientifiques sur la biomasse est pratiquement indissociable du déni du changement climatique. »
Will Gardiner, PDG de la société britannique Drax, principale consommatrice mondiale de pellets de bois pour la production d’énergie, ne partage pas cet avis. Sa société a brûlé 7,3 millions de tonnes de pellets de bois en 2020, et il affirme que la science de la biomasse est de son côté. M. Gardiner soutient que l’abattage d’arbres pour la production de pellets est bon pour les forêts. « J’ai une vision très, très claire de cela », a-t-il déclaré lors de la conférence sur les changements climatiques des Nations unies COP25 en 2019. « Il est vraiment préférable d’utiliser la biomasse plutôt que le charbon. Les pellets de bois que nous utilisons proviennent d’écosystèmes forestiers qui se régénèrent. En fait, nous faisons partie d’un système qui aide les forêts à croître et à prospérer. Une forêt mature ne capte pas plus de carbone. Une forêt gérée qui continue de croître permet de capter davantage de carbone ».
Le point de vue de M. Gardiner est primordial pour l’industrie florissante de la biomasse forestière, qui se positionne comme un élément essentiel de la solution à la crise climatique. Ses déclarations ont également pour but de contrer les défenseurs de la forêt tels que Mme Booth, des scientifiques qui dénoncent les impacts négatifs énormes qu’auraient, selon eux, la production et la combustion de pellets de bois sur les forêts, la biodiversité, le climat et les efforts visant à réduire les émissions de carbone à l’échelle mondiale.
Les défenseurs de la forêt affirment que couper des arbres et les brûler afin de produire de l’énergie n’est pas une bonne politique et ne devrait pas être soutenue par les gouvernements ni aidée par des réglementations favorables à l’industrie forestière. En outre, ils expliquent que la combustion de pellets de bois est plus polluante par unité d’électricité produite que la combustion de charbon, et qu’il est préférable de ne pas toucher aux forêts naturelles afin qu’elles captent le carbone et abritent la faune nécessaire au maintien des écosystèmes.
Les membres de l’industrie soutiennent le contraire, affirmant que la combustion de bois pour l’énergie et le chauffage est meilleure pour l’environnement que la combustion de charbon, et que l’exploitation de forêts naturelles est bonne pour le climat, les jeunes arbres captant davantage de carbone que les arbres matures. Ils disent également que la biomasse forestière est durable et neutre en carbone.
Les deux points de vue sont soutenus par des dizaines d’articles et d’études scientifiques évalués par des pairs, dont les résultats sont analysés dans cet article. Des liens vers ces documents peuvent aider les lecteurs de UP’ Magazine à effectuer des comparaisons plus approfondies.
La biomasse forestière : une industrie en plein essor
Il est important de garder à l’esprit que les arguments de M. Gardiner pour le compte de l’industrie de la biomasse sont convaincants pour les responsables politiques en Europe, au Royaume-Uni, aux États-Unis et à travers le monde. Les raisons sont aussi bien économiques qu’environnementales ou politiques.
Le secteur des pellets de bois à l’échelle industrielle, pratiquement inexistant il y a 15 ans, génère désormais des dizaines de milliards de dollars par an pour plusieurs grandes entreprises. Ces dernières sont des contribuables importants dans les communautés rurales pauvres où leurs usines de pellets à 100 millions de dollars sont généralement implantées, créant un petit nombre d’emplois.
L’une des raisons de cette croissance fulgurante ? Les politiques des Nations unies et de l’UE classant la biomasse ligneuse comme étant une source d’énergie renouvelable « neutre en carbone » ont encouragé les pays à transformer les centrales électriques à charbon afin d’y brûler de la biomasse, leur permettant ainsi de dépenser moins dans de nouvelles installations éoliennes et solaires afin de respecter leur mission de réduction des émissions.
Outre l’économie et la politique, les avantages de la combustion de pellets de bois au lieu du charbon pour le climat sont remis en question depuis 2009, lorsque la revue scientifique Science a publié une étude intitulée « Fixing a critical climate accounting error » (Réparer une erreur critique de comptabilité climatique).
Les chercheurs avaient conclu que « les calculs utilisés à ce jour pour évaluer le respect des limitations concernant le carbone dans le Protocole de Kyoto [1997] et la législation sur le climat [mise en place depuis lors] présentent un défaut considérable, mais réparable, qui nuirait gravement aux objectifs de réduction de gaz à effet de serre [si cette erreur n’est pas corrigée]. Ils ne tiennent pas compte des émissions de CO2 à l’échappement lorsque de la bioénergie est utilisée. »
L’étude, plutôt que de mener à une modification des politiques en matière de biomasse forestière, a déclenché un débat mondial.
Un débat vital pour l’avenir de l’UE et de la Terre
Quelle que soit la position des uns et des autres, l’impulsion de l’industrie de la biomasse pour fournir cette « énergie propre » prend de l’ampleur à l’échelle mondiale alors qu’elle reçoit des subventions gouvernementales de plusieurs millions de dollars et est soutenue par des réglementations. Cette trajectoire ascendante n’est pas près de changer.
Les pressions incessantes des défenseurs des forêts dans le monde pour obtenir au minimum l’arrêt de la pelletisation d’arbres entiers dans le sud-est des États-Unis, l’ouest du Canada et l’Europe de l’Est — qui représentent aujourd’hui la moitié des millions de tonnes de pellets produits annuellement et brûlés en Europe — n’ont donné lieu qu’à des modifications mineures de la RED II, dont aucune n’entraînera une diminution des émissions provenant de la biomasse.
Actuellement, 60 % de l’énergie renouvelable de l’UE provient de la combustion de pellets de bois, contre 40 % en 2014. L’UE représente le plus grand marché de pellets de bois au monde, brûlant près de 31 millions de tonnes en 2020, soit une hausse de 7 % par rapport aux 29 millions de tonnes utilisées en 2018.
L’augmentation de l’utilisation est également attendue ailleurs, notamment car le Japon et la Corée du Sud prévoient de passer de la combustion du charbon à la biomasse ligneuse.
« L’UE prend une décision politique en matière de biomasse [ligneuse] », a déclaré Mme Booth, qui fait pression sur les dirigeants européens depuis des années pour qu’ils modifient leurs politiques. « Ils ne prêtent pas attention aux données scientifiques. » En février 2021, plus de 500 scientifiques et économistes ont soutenu ce point de vue opposé à la combustion de biomasse dans une interpellation scientifique aux dirigeants de l’UE.
Point de vue probiomasse : l’exploitation forestière est bénéfique pour les forêts et le climat
Les partisans de la biomasse ont mis en avant leurs propres recherches. Ils ont également écrit aux dirigeants européens en février, les appelant à élaborer des politiques en matière de bioénergie « basées sur des données scientifiques fiables et pertinentes ». Pour soutenir leur point de vue, ils ont transmis une étude, publiée en 2014 dans le Journal of Forestry, qui passe en revue plus de 135 articles scientifiques évalués par des pairs étudiant « la bioénergie forestière et les dettes carbone » et favorisant l’utilisation croissante de biomasse.
La conclusion principale de cette étude est que « tant que les terres restent en forêt, les avantages à long terme en matière d’atténuation du carbone proviennent des forêts gérées durablement qui fournissent une production continue de bois et d’autres biomasses pour fabriquer des produits à longue durée de vie [comme le bois] et de la bioénergie, remplaçant les alternatives [comme le charbon] à forte intensité de GES [gaz à effet de serre]. »
Pour les défenseurs de la biomasse, le mot « durable » revêt une grande importance. Il renvoie une image positive de bûcherons entrant prudemment dans les forêts et abattant uniquement des arbres précis, en laissant la majeure partie de la canopée forestière intacte, ou prélevant uniquement les déchets de bois afin de les transformer en pellets.
Cependant, des enquêtes menées par des ONG environnementales, notamment Dogwood Alliance, Biofuelwatch et Fern, dépeignent une tout autre image, décrivant de vastes coupes à blanc de forêts naturelles et anciennes et des milliers d’arbres entiers (également appelé « bois rond ») entassés dans des usines de pelletisation.
Une question demeure : une forêt gérée durablement, vraisemblablement replantée lorsque les arbres sont coupés, peut-elle fournir des pellets de bois pour la bioénergie sans réduire, voire en augmentant, la capacité de la forêt à capter le carbone ?
Une étude de 2018 faite par IEA Bioenergy, un organisme de conseil en politique énergétique auprès de l’UE, répond par l’affirmative : « Les pertes en carbone [par l’exploitation] dans certains peuplements sont équilibrées par les gains en carbone [avec la croissance] d’autres peuplements, de sorte que les fluctuations du stock de carbone s’équilibrent à travers tout le paysage forestier. » L’étude souligne également que « les forêts non exploitées absorbent moins de carbone au fil du temps car le rythme de croissance diminue à mesure que la forêt vieillit et approche la maturité, ou car la densité d’arbres entrave la croissance. »
Point de vue antibiomasse : brûler des arbres est un désastre climatique
Une étude de 2014 publiée dans la revue scientifique Nature intitulée « Rate of tree carbon accumulation increases continuously with tree size » (Le taux d’accumulation de carbone augmente au fil de la croissance des arbres) est l’une des nombreuses études qui visent le raisonnement de l’industrie forestière concernant le captage du carbone par les vieux et les jeunes arbres, et nie sa véracité. L’étude a analysé 403 espèces d’arbres des zones tropicales et tempérées, et les auteurs en ont conclu que : « Les grands et vieux arbres n’agissent pas seulement comme des réservoirs de carbone sénescents [qui vieillissent], mais fixent activement de grandes quantités de carbone par rapport à des arbres plus petits ; un seul grand arbre peut accumuler la même quantité de carbone en un an que celle contenue dans un arbre entier de taille moyenne […] Nos résultats clarifient les hypothèses contradictoires concernant la croissance des arbres, orientent les efforts visant à comprendre et à modéliser la dynamique du carbone forestier, et ont des incidences supplémentaires pour les théories de l’allocation des ressources et de la sénescence des espèces végétales. »
La position adoptée par l’industrie de la biomasse selon laquelle l’exploitation forestière « durable » ne nuit pas à la capacité de captage de carbone d’une forêt — et l’améliore même — soutient l’aspect le plus controversé des politiques de l’ONU et de l’UE concernant la biomasse : la biomasse forestière serait une ressource d’énergie renouvelable à zéro émission au même titre que l’énergie éolienne et solaire.
Leur raisonnement ? Les arbres nouvellement plantés et la croissance de la forêt annulent immédiatement les émissions de carbone produites par la combustion de tonnes de pellets de bois chaque année. Ainsi, les pays qui brûlent des pellets de bois — faits à partir d’arbres entiers, de déchets de bois et de résidus forestiers — n’ont pas besoin de déclarer les émissions à l’échappement comme lorsqu’ils brûlent du charbon. Toutefois, ces émissions se retrouvent malgré tout dans l’atmosphère.
Un haut représentant de l’UE est récemment allé jusqu’à déclarer que cette faille dans la comptabilisation du carbone est essentielle pour que les pays de l’UE respectent leurs engagements en matière de réduction des émissions dans le cadre de l’accord de Paris, du moins sur le papier. Cependant, la science démontre que ce qui se produit dans l’atmosphère est très différent.
Débat sur le bilan carbone
Une étude de 2020 intitulée « Paper Tiger: Why the EU’s RED II biomass sustainability criteria fail forests and the climate » (Paper Tiger : Pourquoi les critères de durabilité de la biomasse de la RED II de l’UE ne sont pas favorables aux forêts et au climat), aborde les allégations d’exploitation forestière durable avec l’exemple suivant : une forêt naturelle de 100 000 hectares peut capter 400 000 tonnes de CO2 atmosphérique par an grâce à sa nouvelle repousse. L’industrie affirme donc qu’elle peut abattre 400 000 tonnes d’arbres dans une partie de la forêt de manière « durable », tant que d’autres parties de la forêt continuent de croître et de capter du carbone pour maintenir le bilan carbone.
Mais cela ne serait qu’une illusion. La repousse annuelle de la forêt peut absorber une petite partie du carbone stocké perdu en raison de la combustion de 400 000 tonnes de biomasse, mais cette forêt de 100 000 hectares, aussi bien gérée soit-elle, est incapable d’absorber rapidement toutes ces émissions. Il lui faudrait en réalité plusieurs décennies pour y parvenir, un temps dont le monde ne dispose pas pour réduire les émissions de carbone.
« Paper Tiger » explique que les arbres coupés, transformés en pellets et brûlés, font immédiatement augmenter les concentrations de CO2 dans l’atmosphère et contribuent à la perturbation du climat. L’étude précise que « même si l’exploitation était “durable”, la biomasse n’est pas à “émission nulle” ou “neutre en carbone ”. Un symptôme de cette erreur est que les estimations relatives au bilan carbone des terres sont très sensibles à la taille de la zone évaluée. Les producteurs de biomasse [pour obtenir les résultats de recherche souhaités] doivent définir de grandes zones d’approvisionnement, même s’ils n’en exploitent effectivement qu’une petite partie, car cela leur permet de revendiquer le captage du carbone sur l’ensemble de la zone comme compensant la perte de carbone dans la zone exploitée. »
Pourtant, l’industrie de la biomasse avance un autre argument pour présenter son produit comme une solution climatique vitale. Une étude de 2021, publiée dans GCB-Bioenergy, a conclu que même si la biomasse forestière « ne doit pas être considérée comme neutre en carbone par défaut », la valeur de la biomasse en tant que combustible de transition pour nous mener en toute sécurité vers un monde post-carbone est intéressante pour les décennies à venir : « L’électricité issue de la biomasse peut fournir l’énergie d’équilibrage nécessaire pour maintenir la stabilité et la qualité de l’électricité à mesure que la contribution de l’énergie solaire et éolienne augmente, en complément d’autres options d’équilibrage telles que le stockage par batterie, l’hydroélectricité, l’extension des réseaux et la gestion de la demande. »
Le casse-tête charbon vs pellets de bois
Il y a un domaine dans lequel ces deux camps sont d’accord : les partisans de la biomasse et les défenseurs des forêts s’accordent à dire que la combustion de pellets de bois a entraîné une baisse spectaculaire de l’utilisation du charbon dans l’UE et au Royaume-Uni. De fait, 19 des 27 pays de l’UE et le Royaume-Uni sont en bonne voie pour éliminer progressivement le charbon d’ici 2030.
Cependant, alors que l’industrie de la biomasse déclare que ce déclin des combustibles fossiles est une victoire incontestable pour le climat, de nombreuses études concluent le contraire. Les pellets de bois étant moins riches en énergie que le charbon, ils entraînent en réalité davantage de pollution carbone par unité brûlée que le charbon pour produire la même quantité d’électricité.
« Comme les rendements de combustion et de traitement du bois sont inférieurs à ceux du charbon, la conséquence immédiate de la substitution du bois au charbon est une augmentation du CO2 atmosphérique par rapport au charbon », indique une étude de 2018 présentée dans Environmental Research Letters. « Le temps de retour sur investissement de cette dette carbone varie de 44 à 104 ans après la coupe à blanc selon le type de forêt, en supposant que le terrain reste une forêt. Étonnamment, le fait de remplacer des forêts de feuillus par des plantations de pins à croissance rapide [une pratique courante dans le sud-est des États-Unis] augmente l’impact du bois en termes de CO2, car l’équilibre de la densité de carbone des plantations est inférieur à celui des forêts naturelles. »
Cette étude comporte un autre élément sur lequel les deux camps sont d’accord. En supposant que les forêts rasées pour la production de pellets soient replantées avec des essences similaires, la combustion de ces pellets est neutre en carbone. Mais l’industrie de la biomasse a tendance à passer sous silence les 44 à 104 ans nécessaires pour atteindre la neutralité carbone.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU a clairement indiqué en 2018 que la planète a peu de temps pour réduire drastiquement toutes les émissions afin d’éviter des impacts climatiques encore plus catastrophiques que ceux que nous observons déjà cette année. Les auteurs du rapport du GIEC ont déclaré : « Le rapport constate que la limitation du réchauffement planétaire à 1,5°C (par rapport au niveau de référence de 1900) nécessiterait des transitions “rapides et profondes” dans les domaines des terres, de l’énergie, de l’industrie, des bâtiments, des transports et des villes. Les émissions mondiales nettes de dioxyde de carbone dues à l’activité humaine devraient diminuer d’environ 45 % par rapport aux niveaux de 2010 d’ici à 2030 pour atteindre un niveau “net zéro” vers 2050. »
Le pacte vert pour l’UE ainsi que la directive RED II ne devraient pas avoir force de loi avant une année de négociations entre les pays membres. Les défenseurs des forêts affirment qu’ils continueront à faire pression pour obtenir des modifications visant à réduire la dépendance de l’Union européenne vis-à-vis de la biomasse et à renforcer la protection des forêts. Pendant ce temps, l’industrie de la biomasse et les pays producteurs de bois comme la Finlande, la Suède et l’Estonie, font déjà pression pour préserver le statu quo.
Bien que l’UE ne produise que 8 % des émissions mondiales (en troisième position derrière la Chine et les États-Unis), elle exerce une grande influence sur la scène internationale. La mise en œuvre finale de son pacte vert pour l’Europe déterminera l’efficacité des futurs engagements de l’UE en matière de réduction des émissions ainsi que ses succès ou ses lacunes en matière d’atténuation dans le monde réel. Le résultat — ainsi que le nombre de pays qui suivront l’exemple de l’UE — dépendra en partie de la science que la majorité des décideurs mondiaux retiendront lors des négociations de la COP26 en Écosse en novembre prochain.
Justin Catanoso, Mongabay
Références :
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- Miner, R. A., Abt, R. C., Bowyer, J. L., Buford, M. A., Malmsheimer, R. W., O’Laughlin, J., … Skog, K. E. (2014). Forest carbon accounting considerations in US bioenergy policy. Journal of Forestry, 112(6), 591–606. doi:5849/jof.14-009
- Stephenson, N. L., Das, A. J., Condit, R., Russo, S. E., Baker, P. J., Beckman, N. G., … Zavala, M. A. (2014). Rate of tree carbon accumulation increases continuously with tree size. Nature, 507(7490), 90-93. doi:1038/nature12914
- Cowie, A. L., Berndes, G., Bentsen, N. S., Brandão, M., Cherubini, F., Egnell, G., … Ximenes, F. A. (2021). Applying a science‐based systems perspective to dispel misconceptions about climate effects of forest bioenergy. GCB Bioenergy, 13(8), 1210-1231. doi:1111/gcbb.12844
- Sterman, J. D., Siegel, L., & Rooney-Varga, J. N. (2018). Does replacing coal with wood lower CO2 emissions? Dynamic lifecycle analysis of wood bioenergy. Environmental Research Letters, 13(1), 015007. doi:1088/1748-9326/aaa512
Image d’en-tête : Lorsque les pellets de bois brûlent, ils libèrent du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, qui contribue immédiatement au réchauffement climatique. Cependant, lorsque ce CO2 est rejeté par les cheminées de l’UE, il est actuellement considéré comme ne produisant aucune émission de carbone. Image par Michael Frierson.
Cet article est publié ici dans le cadre de Covering Climate Now, une collaboration journalistique mondiale visant à renforcer la couverture de la crise climatique, dont UP’ Magazine est membre.