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Ça grouille : les symbiotes du sol, clés d’une agriculture intelligente

Ça grouille : les symbiotes du sol, clés d’une agriculture intelligente

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La nature offre une solution qui intéresse de plus en plus les scientifiques. Cette solution — les microbes qui fertilisent les cultures — pourrait contribuer à rompre le cycle de l’utilisation des engrais synthétiques et de leurs effets sur l’environnement, et à mettre en place des systèmes de production alimentaire plus durables. En retraçant l’histoire de l’évolution des microbes bénéfiques du sol, les scientifiques espèrent découvrir une solution durable pour produire des aliments destinés à une population mondiale croissante, en réduisant au maximum les produits chimiques.

La hausse des températures et les phénomènes météorologiques extrêmes exacerbent les inégalités dans les systèmes alimentaires mondiaux. La production alimentaire est déjà plus que suffisante pour nourrir la population mondiale, mais environ 783 millions de personnes dans le monde souffrent actuellement de la faim en raison d’inégalités systémiques liées au sexe, à la géographie, aux conflits et aux ressources. On estime qu’un réchauffement de 2°C entraînera 189 millions de personnes supplémentaires dans la famine.

Pourtant, les systèmes de production alimentaire mondiaux sont pris dans un cercle vicieux qui menace à la fois la sécurité alimentaire et la santé environnementale.

La chaîne d’approvisionnement en engrais synthétiques contribue aux changements climatiques qui nuisent gravement à la production alimentaire dans le monde entier. Les agriculteurs des pays à revenu élevé (et d’ailleurs, lorsque c’est possible) appliquent de grandes quantités d’engrais inorganiques dans leurs champs afin de garantir des rendements élevés. Paradoxalement, la chaîne d’approvisionnement en engrais synthétiques contribue aux changements climatiques qui nuisent gravement à la production alimentaire dans le monde entier. Par exemple, l’épandage d’engrais synthétiques et l’élevage sont responsables de 70 % des émissions d’oxyde nitreux, un gaz à effet de serre presque 300 fois plus puissant que le dioxyde de carbone.

Heureusement, la nature offre une solution qui intéresse de plus en plus les scientifiques. Cette solution – les microbes qui fertilisent les cultures – pourrait contribuer à rompre le cycle de l’utilisation des engrais synthétiques et de leurs effets sur l’environnement, et à mettre en place des systèmes de production alimentaire plus durables.

Retracer l’évolution des microbes bénéfiques

Lorsque les plantes sont apparues sur terre il y a environ 460 millions d’années, ces intrépides explorateurs ont développé de nouvelles stratégies pour puiser dans l’environnement terrestre les nutriments essentiels à la vie. L’une des solutions développées par ces plantes consistait à établir des relations bénéfiques avec des champignons mycorhiziens à arbuscules présents dans le sol. Les plantes anciennes étaient dépourvues de racines, mais le lien établi avec ces champignons filamenteux leur permettait d’accéder à l’eau et aux nutriments vitaux tels que les nitrates, les phosphates et les micronutriments présents dans le sol. En retour, les plantes ont fourni aux champignons l’énergie récoltée par la photosynthèse, qui n’était pas disponible pour ces microbes. Ces champignons ont continué à fournir les mêmes avantages aux plantes à racines une fois qu’elles ont évolué.

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Plus tard, il y a environ 100 millions d’années, certaines plantes, dont les haricots, les pois et les lentilles – ce que nous appelons la famille des légumineuses – ont utilisé le même schéma et ont développé une relation symbiotique similaire avec certains types de bactéries du sol. Ces bactéries, appelées rhizobia, infectent les racines des légumineuses et utilisent ensuite une enzyme pour décomposer et fixer l’azote atmosphérique abondant en nutriments accessibles à la plante, favorisant ainsi sa croissance continue.

Vue rapprochée d’une racine de plante sur laquelle poussent plusieurs nodules en forme de doigts. Les nodules formés par les rhizobia sont visibles ici sur la racine d’une jeune plante de trèfle des prés (Medicago truncatula). Crédit : Ninjatacoshell/Wikimedia Commons

Aujourd’hui, les scientifiques qui s’attaquent aux défis qui menacent les systèmes alimentaires mondiaux espèrent qu’en retraçant les étapes de l’évolution des plantes du passé, ils pourront tirer parti de ces processus naturels pour réduire la dépendance excessive et coûteuse à l’égard des engrais inorganiques et favoriser une production plus durable des cultures de base dans le monde. Pour ce faire, les scientifiques peuvent réactiver ou augmenter la capacité biologique des plantes à s’approvisionner naturellement en nutriments dans leur environnement, ce qui pourrait réduire la dépendance actuelle à l’égard des engrais appliqués.

La recherche sur les mécanismes de perception des champignons mycorhiziens et des rhizobia par les plantes constitue un domaine d’avancement majeur, qui a permis aux scientifiques de progresser dans la compréhension de la manière dont les légumineuses « décident » d’entrer en contact avec ces bactéries bénéfiques. Par exemple, nous connaissons maintenant les mécanismes moléculaires – impliquant divers signaux, gènes et protéines – qui intègrent l’état des nutriments de la plante et la « volonté » symbiotique. En règle générale, les légumineuses et d’autres plantes « désactivent » leur capacité à établir des liens symbiotiques avec des microbes bénéfiques une fois que le sol contient suffisamment de nutriments, généralement fournis par des engrais.

Grâce aux connaissances issues de ces recherches et aux technologies d’édition de gènes, les scientifiques peuvent désormais contrôler et activer les signaux positifs et négatifs des plantes (légumineuses, riz, orge, etc.) qui déterminent l’interaction avec les microbes bénéfiques. Cela signifie que les scientifiques peuvent réactiver ou augmenter la capacité biologique des plantes à s’approvisionner naturellement en nutriments dans leur environnement, ce qui pourrait réduire la dépendance actuelle à l’égard des engrais appliqués.

Le potentiel de la symbiose plantes-microbes

Bien que ces nouvelles connaissances soient prometteuses, la recherche n’en est qu’à ses débuts et il reste encore beaucoup à faire avant que les associations bénéfiques des plantes avec les microbes puissent être pleinement utilisées sur le terrain. Par exemple, les scientifiques testent sur le terrain des lignées de cultures où les plantes sont en contact permanent avec des champignons mycorhiziens symbiotiques afin d’étudier l’impact de cette connexion symbiotique sur l’absorption des nutriments et le rendement en milieu agricole.

On pense traditionnellement que des décennies de sélection végétale ont rendu les cultures de base modernes, telles que le maïs, le blé et d’autres, plus dépendantes des engrais, diminuant ainsi le rôle des anciennes symbioses fongiques. Toutefois, des recherches récentes ont montré que les variétés modernes restent sensibles aux symbioses fongiques et continuent à en bénéficier.

Alors que les scientifiques poursuivent leurs recherches et cherchent à rétablir les liens symbiotiques dans les espèces cultivées, ils doivent identifier les variétés ayant la plus grande capacité à s’associer avec les champignons et les bactéries bénéfiques du sol. Parallèlement, des travaux supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre comment optimiser les processus de signalisation que les plantes utilisent lorsqu’elles décident de s’engager avec des microbes, afin de s’assurer qu’elles tirent pleinement parti du potentiel de ces interactions.

En fin de compte, si ces deux pistes de recherche donnent des résultats prometteurs, les scientifiques pourraient être en mesure de produire de nouvelles variétés de cultures qui améliorent considérablement les capacités des variétés actuelles à tirer profit des interactions avec les champignons symbiotiques. Ces variétés améliorées, à leur tour, favoriseraient la durabilité grâce à des rendements plus élevés et à une utilisation réduite d’engrais.

L’avenir de l’agriculture durable

Les transitions durables dans les systèmes alimentaires mondiaux qui aident les agriculteurs à se préparer et à s’adapter aux impacts du changement climatique sont absolument nécessaires.

Des transitions durables dans les systèmes alimentaires mondiaux qui aident les agriculteurs, en particulier ceux qui n’ont pas accès aux dernières technologies agricoles, à se préparer et à s’adapter aux effets du changement climatique sont absolument nécessaires. Le monde ne peut plus attendre ces innovations.

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Le budget mondial des émissions de carbone (la quantité maximale d’émissions qui peut être produite avant que les températures moyennes mondiales n’augmentent au-delà de l’objectif fixé par l’accord de Paris de 2015) est de plus en plus limité, tandis que la probabilité de maintenir le réchauffement mondial en dessous de 1,5 °C est de plus en plus faible.

La recherche sur l’optimisation de l’engagement des plantes avec les champignons bénéfiques émerge donc à un moment opportun. Par rapport aux techniques traditionnelles de sélection végétale, les approches d’édition génétique telles que celles utilisées dans cette recherche sont nettement plus rapides et devraient permettre de réduire le temps nécessaire pour fournir de nouvelles variétés de cultures qui répondent aux défis climatiques imminents.

L’amélioration des relations symbiotiques avec les champignons mycorhiziens à arbuscules et les rhizobia permettra non seulement aux cultures de fournir des rendements élevés avec moins d’engrais, mais offrira également d’autres avantages importants en termes de durabilité pour la production agricole. Par exemple, les champignons bénéfiques peuvent favoriser le piégeage d’une plus grande quantité de carbone atmosphérique dans le sous-sol tout en augmentant considérablement la fertilité du sol.

L’application des connaissances acquises grâce à la recherche sur les rôles des champignons et des bactéries bénéfiques sera probablement fondamentale pour atteindre l’objectif de la déclaration des Émirats arabes unis sur l’agriculture durable, les systèmes alimentaires résilients et l’action climatique, signée en décembre lors des négociations sur le climat de la COP28 qui se sont déroulées à Dubaï. Cette déclaration a vu plus de 150 pays s’engager, pour la première fois, à passer à des systèmes alimentaires durables et résilients en tant que pilier essentiel de l’action climatique.

La possibilité d’optimiser la biologie des cultures pour une meilleure absorption des nutriments est une solution prometteuse, mais sous-estimée, pour promouvoir une production alimentaire durable et améliorer la sécurité alimentaire des communautés du monde entier.

Des progrès importants ont déjà été accomplis vers des pratiques agricoles plus durables pour les principales cultures de base dans le monde. Par exemple, la riziculture (qui, à l’heure actuelle, est responsable d’environ 10 % des émissions mondiales de méthane) et la culture du maïs et des légumineuses adoptent de plus en plus des pratiques intelligentes sur le plan climatique. Ces pratiques comprennent, entre autres, l’adoption de meilleures méthodes de travail du sol et de lutte contre les parasites, ainsi que des techniques de culture qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre, la consommation d’eau et le temps nécessaire pour cultiver la plante. Des recherches récentes suggèrent que la production de riz, comme celle de nombreuses autres cultures céréalières de base, pourrait également bénéficier d’une symbiose mycorhizienne à arbuscules améliorée.

Les scientifiques continuent à se faire une idée plus précise des processus qui dictent l’engagement avec les microbes bénéfiques et de la manière dont nous pouvons influencer ces processus pour le bien. Bien que cette recherche n’en soit qu’à ses débuts, le potentiel d’optimisation de la biologie des cultures pour une meilleure absorption des nutriments est une solution prometteuse, mais sous-estimée, pour réduire la dépendance aux engrais, promouvoir une production alimentaire durable et améliorer la sécurité alimentaire des communautés du monde entier.

Uta Paszkowski, Crop Science Centre, Department of Plant Sciences, Université de Cambridge, Royaume-Uni – Source EOS

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