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UE-Mercosur : un accord controversé à repenser

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Négocié dans l’ombre depuis un quart de siècle, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) pourrait être annoncé comme conclu d’ici la fin 2024. C’est en tout cas la volonté de la Commission européenne pour conclure cet accord, et des Etats européens les plus favorables. Derrière les déclarations floues et contradictoires d’Emmanuel Macron, se cache une vérité brutale : malgré les critiques croissantes, ce texte avance inexorablement sous l’impulsion de la Commission européenne. Il met en péril les agricultures locales, la santé publique et l’écologie planétaire. Pour y voir plus clair, Maxime Combes, économiste, nous propose un décryptage sur une liste des questions les plus fréquentes, à ce jour.

L’Union européenne et le Mercosur discutent depuis 1999 d’un traité de libre-échange qui pourrait être annoncé comme conclu d’ici à la fin de l’année 2024. C’est en tout cas la volonté de la Commission européenne, qui a mandat des 27 Etats-membres de l’UE, dont la France, pour conclure cet accord, et des Etats européens les plus favorables. En février 2024, Emmanuel Macron avait pourtant affirmé l’avoir « bloqué » et, lors de sa visite au Brésil en avril, il avait plaidé pour « bâtir un nouvel accord ». Rien de tout cela n’a été fait : aucun travail diplomatique sérieux n’a été mené – jusqu’à ces derniers jours – depuis 2019. Beaucoup de temps a été perdu.

Une hypocrisie française ?

Alors qu’Emmanuel Macron clamait en février dernier avoir « bloqué » l’accord lors de sa visite au Brésil en avril, la réalité est tout autre. Depuis 2019, aucune révision en profondeur n’a été entreprise, et les négociations ont discrètement repris. À ce jour, la France n’a jamais demandé le retrait du mandat de négociation octroyé à la Commission européenne. Pire, elle continue de cautionner implicitement ce processus, laissant la Commission libre de conclure l’accord.

L’accord UE-Mercosur, finalisé en 2019, prévoit un échange inégal entre les parties : d’un côté, l’UE ouvre largement ses marchés agricoles, exposant ses agriculteurs à une concurrence féroce. De l’autre, les multinationales européennes, notamment dans l’automobile et la chimie, gagnent un accès privilégié aux marchés du Mercosur.

L’impact agricole est dévastateur : l’ouverture des marchés à des produits agricoles compétitifs mais souvent peu respectueux des normes environnementales et sanitaires (viande bovine, volaille, sucre), le risque accru de déforestation, notamment au Brésil, où 75 % de la déforestation est liée à l’élevage, sans oublier une politique européenne schizophrène car, alors que l’UE se targue de promouvoir des valeurs écologiques et sociales, cet accord renforce des modèles destructeurs. Avec l’émergence d’une alliance Trump-Milei, hostile aux accords climatiques, l’UE semble prête à trahir ses principes pour quelques gains économiques.

La bataille n’est pourtant pas terminée car :
1) il n’y a plus de majorité sociale, ni politique, en France pour ce genre d’accords ;
2) l’accord n’est pas conclu et tous les obstacles n’ont pas été levés ;
3) la France n’est pas isolée car plus d’Etats européens qu’on ne le dit sont réservés, critiques ou opposés à cet accord, ou sans avis ;
4) conclure contre l’avis de la France est politiquement très hasardeux et lourd de conséquences, tant en Europe qu’en France ;
5) des mobilisations agricoles peuvent changer la donne dans plusieurs pays européens ainsi qu’à l’échelon européen lui-même ;
6) conclure un accord alors qu’une alliance Trump-Milei se constitue, notamment contre les COP-climat, est éloigné des valeurs que l’UE dit promouvoir.

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Peut-on encore stopper l’accord ?

Oui, mais le temps presse. La France doit construire une coalition de blocage, ralliant des pays critiques comme l’Autriche, les Pays-Bas ou la Pologne. Un veto peut être envisagé au moment de la ratification, mais cela nécessite une volonté politique ferme, aujourd’hui absente.
Enfin, les mobilisations agricoles et citoyennes peuvent encore renverser la donne, comme l’ont montré les oppositions en Pologne ou en Wallonie.

Ce n’est pas qu’une bataille commerciale : c’est une lutte pour la justice sociale, écologique et économique. La France, si elle est cohérente avec ses engagements environnementaux, doit cesser de tergiverser et agir fermement. Dire non à l’accord UE-Mercosur, c’est protéger nos agricultures, nos écosystèmes et nos valeurs démocratiques face à une mondialisation débridée et destructrice.

Deux phases à venir, bien distinctes :
– la conclusion des négociations par la Commission européenne : la France ne peut intervenir que par un rapport de force politique interne à l’UE : aucun vote à venir ; la signature de la France n’est pas requise pour conclure les négociations ;
– en cas de conclusion, la ratification de l’accord à l’échelon UE, à l’unanimité ou majorité qualifiée au sein du Conseil, puis, a minima, vote au Parlement UE.

Réponses rapides aux questions les plus fréquentes 

1. Pourquoi l’accord n’est-il pas « bloqué » comme annoncé par E. Macron en février dernier ? Parce qu’il ne l’a jamais été et que les négociations se sont poursuivies, même si elles ont été ralenties par les mobilisations agricoles et les élections européennes.
2. Pourquoi la Commission peut-elle continuer à négocier malgré les critiques de la France ? Parce qu’elle dispose toujours d’un mandat de négociations au nom des Etats membres, y compris de la France, qui n’a jamais exigé ni son abandon ni son réexamen.
3. Le chapitre agriculture (quotas, droits de douane, normes sanitaires etc.) est-il en cours de négociation ? NON. Il fait partie de l’accord conclu en 2019, avec le soutien de la France, et la Commission a plusieurs fois exclu qu’il soit rouvert sur le fond.
4. Les négociations en cours portent-elles sur d’autres secteurs ? NON plus. Le contenu de l’accord a été annoncé comme finalisé et « accordé en principe » en juin 2019, et la Commission a plusieurs fois exclu de rouvrir les négociations sur le fond.
5. Quel est l’objet des négociations en cours ? Elles portent sur un « instrument joint » proposé par la Commission pour répondre aux critiques (climat, déforestation, droits etc), qui devrait seulement être annexé à l’accord sans en modifier l’économie générale.
6. Cette annexe a-t-elle été acceptée par les pays du Mercosur ? Ils ont vivement critiqué la première version et exigé d’autres garanties. La version actuelle n’est pas publique : personne ne sait ce qui a été ajouté ou concédé depuis début 2023.
7. A qui profite l’accord UE-Mercosur ? Pris globalement, il va bénéficier aux entreprises multinationales de l’UE (automobile, pharmaceutique, chimie, services etc), y compris françaises, au détriment des entreprises / emplois industriels dans les pays du Mercosur.
8. Pourquoi alors une telle focalisation sur les enjeux agricoles ? Parce que l’ouverture des marchés agricoles européens a servi de monnaie d’échange et que les productions européennes (viande de bœuf et de volaille, sucre …) vont en payer la lourde note.
9. Un accord de libre-échange UE-Mercosur pourrait-il épargner le monde agricole ? NON. Il est impossible d’obtenir l’ouverture de marchés de pays tiers sans que l’UE ne propose d’ouvrir en retour ceux qui concernent leurs secteurs les plus compétitifs.
10. Pourquoi un tel accord est si nocif ? Parce que le libre-échange dérégule le commerce international en mettant en concurrence des secteurs aux compétitivités fort inégales : les moins compétitifs des deux côtés de l’Atlantique vont disparaître.
11. Que répond la Commission aux impacts agricoles ? Elle répond qu’elle le sait et prévoit un fond de compensation, puisque le bénéfice global attendu le justifie. Sans dire aux agriculteurs qu’ils doivent se reconvertir en exportateurs de voitures thermiques.
12. Médias, parlementaires, ONG ont-ils accès aux documents de négociation, notamment à cette annexe ? Non, ces négociations, comme les autres, se déroulent en toute opacité. Ni l’UE ni la France n’ont publié la version actuelle de ce document.
13. Beaucoup de commentateurs disent la France isolée en Europe. Est-ce le cas ? Non. L’Autriche et les Pays-Bas s’y opposent depuis longtemps, ainsi que la Wallonie. L’Irlande, la Pologne et la Roumanie ont plus récemment pris position contre l’accord.
14. D’autres Etats pourraient-ils s’exprimer contre l’accord ? Oui, plusieurs pays sont indécis à convaincre. D’autres s’expriment contre l’accord suite à des mobilisations agricoles, comme en Pologne. Un effort diplomatique peut aussi y contribuer.
15. La France peut-elle, seule, bloquer l’Accord UE-Mercosur ? En théorie, oui car l’adoption de cet accord d’association qui mêle des enjeux communautaires (commerce) et d’autres mixtes (coopération) devrait impliquer l’unanimité des Etats-membres de l’UE.
16. La France peut-elle le bloquer en pratique ? C’est bien plus compliqué puisque la Commission dispose d’options légales, comme le « splitting » (division en deux) qu’elle envisagerait sérieusement d’utiliser pour contourner notamment le veto français.
17. La Commission européenne peut-elle conclure l’accord contre l’avis de la France ? Oui puisqu’elle en a le mandat et que la France ne demande pas son réexamen. C’est par contre politiquement hasardeux et lourd de conséquences, tant au sein de l’UE (divisions, etc) qu’en France (montée d’un scepticisme anti-européen etc).
18. La Commission est-elle prête à conclure l’accord avec Milei, qui préside l’Argentine, alors que cela avait été suspendu avec Bolsonaro ? Visiblement oui. Et ce, alors que l’alliance Trump-Milei qui se constitue, notamment contre les COP-climat, est éloignée des valeurs que l’UE dit promouvoir.
19. Que veut dire E. Macron quand il dit que « la France ne signera pas » ? Rien de tangible sur le processus légal de finalisation. La Commission négocie sa conclusion, au nom de la France. Ensuite viendra la ratification au Conseil et au Parlement européen.
20. Emmanuel Macron s’est-il toujours opposé au contenu de l’accord « en l’état » ? NON. Le 29 juin 2019, en marge du G20, il a salué un « bon accord », affirmant qu’il respectait « nos normes environnementales & sanitaires », l’accord de Paris et « nos filières sensibles ». Sans l’appui de la France en 2019, l’accord n’aurait pas été conclu.
21. L’exécutif doit-il se limiter à dire « Non à l’accord UE-Mercosur en l’état » ? Non. S’il est convaincu que cet accord n’est pas acceptable, Paris doit construire une alliance pour retirer le mandat de négociation dont la Commission dispose et/ou bloquer l’accord une fois finalisé par une minorité de blocage.
22. La France souhaite-t-elle l’abandon de l’accord UE-Mercosur ? S’oppose-t-elle aux autres accords du même type ? Non, elle s’oppose uniquement à l’accord UE Mercosur « en l’état », laissant ouverte la possibilité de soutenir une nouvelle version, et elle a soutenu, ratifié et mis en oeuvre tous les autres accords de libéralisation du commerce.

Maxime Combes, économiste en charge des politiques de commerce et de relocalisation à l’Aitec, et spécialiste du commerce international et des accords de libre-échange

Photo d’en-tête : Ferme d’élevage brésilienne ©AFP

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