La grande purge des sites web fédéraux américains : une bataille pour la mémoire numérique - UP' Magazine

Regardez le monde
avec les yeux ouverts

Inscrit ou abonné ?
CONNEXION

UP', média libre
grâce à ses lecteurs
Je rejoins

rejoignez gratuitement le cercle des lecteurs de UP’

La grande purge des sites web fédéraux américains : une bataille pour la mémoire numérique

La grande purge des sites web fédéraux américains : une bataille pour la mémoire numérique

Commencez

Depuis l’investiture de Donald Trump, une vaste suppression de contenus a frappé les sites gouvernementaux américains. Des milliers de pages, contenant des informations essentielles sur la santé publique, le climat, l’environnement et la diversité, ont été effacées en quelques jours. Face à cette censure numérique, archivistes, chercheurs et journalistes s’organisent pour préserver ces données vitales. Entre enjeux politiques, bataille pour la transparence et résistance numérique, retour sur une purge sans précédent.

Une disparition massive et brutale des contenus officiels

Dès les premiers jours de son retour au pouvoir, Donald Trump a ordonné une purge massive des sites web gouvernementaux, ciblant les données et études qui ne cadrent pas avec son idéologie. L’administration a notamment exigé la suppression des contenus liés à la diversité, à la santé publique et aux recherches sur le changement climatique.

Le New York Times a estimé que plus de 8 000 pages ont été effacées de divers sites fédéraux depuis le 2 février 2025​. Parmi les institutions les plus touchées :

  • Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) : plus de 3 000 pages supprimées, incluant des articles sur la prévention des maladies chroniques, des protocoles de soins contre les MST, et des recherches sur la vaccination.
  • Le Bureau du Recensement : 3 000 pages disparues, affectant des données démographiques et socio-économiques utilisées par les chercheurs et les journalistes.
  • Le ministère de la Justice : suppression de statistiques sur les crimes haineux, notamment ceux touchant les populations LGBTQ+.
  • La Food and Drug Administration (FDA) : élimination de 100 pages sur la réglementation des essais cliniques et l’évaluation des risques de dépendance aux médicaments.

Les suppressions sont parfois subtiles : certains contenus ont été partiellement réécrits, tandis que d’autres ont simplement été redirigés vers des pages génériques ou des erreurs 404, compliquant leur identification et leur archivage​.

Une volonté politique derrière la censure

Cette vague de suppressions n’est pas un simple ajustement technique des sites fédéraux lors d’un changement d’administration, mais bien une stratégie délibérée visant à orienter l’information accessible au public.

D’après une enquête du Monde, cette purge s’inscrit dans une politique plus large visant à restreindre l’accès aux données publiques pour mieux contrôler le discours sur certaines thématiques sensibles​. L’administration Trump a notamment exigé :

Pourquoi ne pas profiter d’une lecture illimitée de UP’ ? Abonnez-vous à partir de 1.90 € par semaine.

  • La suppression de toute mention du changement climatique des sites de l’Agence de protection de l’environnement (EPA).
  • L’effacement des études sur les inégalités raciales et de genre des bases de données gouvernementales.
  • La censure des recherches sur la santé mentale des minorités et les impacts des politiques environnementales sur les populations vulnérables.

Pour certains observateurs, ces suppressions sont également motivées par des intérêts économiques. The Lever rapporte que des groupes de lobbyistes de l’industrie chimique ont demandé au gouvernement de réduire la surveillance environnementale et d’effacer des bases de données sensibles sur la pollution et les risques industriels​.

L’effacement des données climatiques : un recul inquiétant pour la science et la politique environnementale

Parmi les éléments les plus frappants de la purge des sites fédéraux opérée par l’administration Trump figure la suppression massive des références au changement climatique sur les plateformes gouvernementales. Cette initiative s’inscrit dans une volonté plus large de démanteler les politiques environnementales mises en place sous les administrations précédentes et de favoriser les intérêts des industries polluantes.

Une censure environnementale délibérée

Dès son retour au pouvoir, Donald Trump a réitéré sa position de sceptique du climat en affirmant que la lutte contre le changement climatique ne constituait plus une priorité pour l’administration fédérale. Son gouvernement a immédiatement ordonné aux agences comme l’Agence de protection de l’environnement (EPA) de supprimer des contenus liés à la crise climatique.

Selon une enquête du New York Times, plusieurs ressources essentielles ont été retirées des plateformes officielles, notamment :

  • L’outil de cartographie de la justice environnementale du Conseil sur la qualité de l’environnement : ce site permettait d’identifier les populations les plus exposées à la pollution et aux catastrophes climatiques.
  • Des rapports scientifiques sur le réchauffement climatique produits par la NASA et la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration).
  • Les pages éducatives de l’EPA sur les effets du réchauffement global et les politiques d’atténuation.

L’administration a également supprimé des bases de données sur les émissions de gaz à effet de serre et les modèles climatiques utilisés par les chercheurs et les urbanistes pour anticiper les risques climatiques. Désormais, de nombreux liens redirigent vers des erreurs 404 ou des pages génériques sans contenu scientifique.

Un coup dur pour la recherche et la prévention

Ces suppressions ont des conséquences directes sur la science du climat, qui repose sur l’accessibilité des données historiques et en temps réel. Les chercheurs ont besoin de ces informations pour suivre l’évolution des températures, modéliser les impacts du réchauffement et proposer des solutions d’adaptation. « La suppression de ces données ne fait pas disparaître le changement climatique, mais elle rend plus difficile la réponse à ses effets », déplore James R. Jacobs, bibliothécaire spécialisé en information gouvernementale à l’Université de Stanford.

Les impacts concrets sont multiples :

  • Urbanisme et infrastructures : les municipalités s’appuient sur les bases de données climatiques pour concevoir des infrastructures résistantes aux événements extrêmes (inondations, vagues de chaleur, tempêtes).
  • Santé publique : les chercheurs étudient le lien entre pollution et maladies respiratoires grâce aux relevés environnementaux, qui deviennent désormais plus difficiles d’accès.
  • Politiques énergétiques : l’effacement des études sur la transition énergétique et les impacts des énergies fossiles entrave le développement des politiques publiques en faveur des énergies renouvelables.

« Cette suppression de données crée un angle mort dans la politique environnementale des États-Unis. Sans chiffres, sans projections fiables, il devient plus facile pour l’administration d’ignorer la crise climatique », ajoute Lynda Kellam, du Data Rescue Project.

Une aubaine pour les industries polluantes

L’effacement des références au changement climatique ne concerne pas uniquement une bataille idéologique : il bénéficie directement aux industries polluantes, qui ont désormais moins de régulations à respecter et moins de surveillance publique.

Selon The Lever, des lobbyistes de l’industrie pétrolière et chimique ont fait pression pour la suppression de plusieurs bases de données environnementales sensibles. Parmi leurs demandes figurait la fermeture du site de l’Agence de protection de l’environnement répertoriant les installations industrielles les plus polluantes et présentant des risques chimiques élevés.

Pour lutter contre la désinformation et privilégier les analyses qui décryptent l’actualité, rejoignez le cercle des lecteurs abonnés de UP’

Lee Zeldin, choisi par Trump pour diriger l’EPA, est lui-même un ancien avocat lié aux industries fossiles. Des sources internes rapportent qu’il aurait facilité le transfert de plusieurs régulateurs expérimentés vers des postes sans influence, remplaçant ces experts par des proches du secteur privé.

« Il est évident que cette politique vise à réduire la pression sur les grandes entreprises polluantes », explique Amanda Watson, bibliothécaire à la Harvard Law School. « Moins de transparence signifie moins de contrôles et plus de risques pour l’environnement et la santé publique. »

Une riposte limitée mais active

Face à cette situation, plusieurs initiatives ont vu le jour pour tenter de sauvegarder ces données avant qu’elles ne disparaissent complètement.

  • Le Climate Change Transparency Project a lancé un programme de récupération des rapports scientifiques supprimés, en collaboration avec des bibliothèques universitaires.
  • L’Environmental Data and Governance Initiative (EDGI) travaille à recréer une base de données alternative basée sur des sources non gouvernementales.
  • Wayback Machine d’Internet Archive permet de retrouver certaines versions anciennes des pages supprimées.

Toutefois, ces efforts ne suffisent pas à compenser l’absence de mise à jour officielle des données. Comme le souligne Christina Gosnell, cofondatrice de Catalyst Cooperative :
« L’archivage est un palliatif, mais il ne remplace pas une politique fédérale transparente et fondée sur la science. »

Vers un retour à la normalité ou un effacement durable ?

La grande question est de savoir si ces suppressions sont réversibles. Certains observateurs espèrent que les tribunaux pourront contraindre l’administration à restaurer une partie des données effacées.

Récemment, un juge fédéral a ordonné aux CDC et à la FDA de remettre en ligne plusieurs bases de données supprimées sur la santé publique, après une plainte déposée par des associations médicales​. Cette décision pourrait servir de précédent pour d’autres recours.

Mais, à plus long terme, la suppression des bases de données environnementales pourrait avoir des effets durables :

  • Un retard dans la lutte contre le changement climatique : moins de données signifie moins de moyens d’action pour les États et les municipalités.
  • Une perte de leadership scientifique des États-Unis : en limitant l’accès aux études officielles, le pays pourrait voir sa recherche environnementale reculer par rapport à l’Europe et la Chine.
  • Une désinformation accrue : l’absence de sources gouvernementales fiables risque d’amplifier les théories climatosceptiques et les campagnes de désinformation.

« Si nous laissons cette purge se poursuivre, nous nous réveillerons dans quelques années avec une administration incapable de répondre aux crises climatiques, faute de données exploitables », avertit Lynda Kellam.

Une bataille cruciale pour l’avenir

L’effacement des références au changement climatique sur les sites gouvernementaux américains n’est pas qu’une affaire administrative : c’est une bataille pour la vérité scientifique, la transparence démocratique et la protection de l’environnement.

La résistance s’organise, mais le combat est loin d’être gagné. Si aucune action n’est prise pour restaurer ces données et garantir leur mise à jour continue, les effets de cette censure numérique pourraient se faire sentir pendant des décennies.

La question reste ouverte : les citoyens, chercheurs et politiques parviendront-ils à stopper cette réécriture numérique de la réalité climatique ? Ou assisterons-nous à un effacement progressif des preuves scientifiques, ouvrant la porte à des décennies d’inaction et de désinformation ?

La riposte numérique s’organise

Face à cette attaque contre la transparence, chercheurs, archivistes et journalistes ont lancé une véritable contre-offensive pour sauvegarder les données menacées.

L’université de Harvard, par l’intermédiaire de son Library Innovation Lab, a annoncé avoir archivé plus de 311 000 ensembles de données issues du site data.gov, afin de garantir leur accessibilité au public​.

Des organisations spécialisées dans la préservation numérique ont également intensifié leurs efforts :

  • The End of Term Archive, un projet qui capture les contenus des sites gouvernementaux lors des transitions présidentielles, a accéléré son travail de sauvegarde.
  • L’Environmental Data and Governance Initiative (EDGI), qui avait déjà documenté la suppression de pages liées au Clean Power Plan sous la présidence Trump en 2017, a relancé sa mission de veille.
  • La Wayback Machine d’Internet Archive, qui permet de consulter d’anciennes versions de sites web, est devenue un outil essentiel pour les chercheurs et journalistes en quête de documents disparus.

Un combat pour la mémoire et la démocratie

La suppression massive de ces contenus pose des questions fondamentales sur le rôle de l’information dans une démocratie. L’accès aux données officielles est un pilier de la transparence gouvernementale et un outil essentiel pour la recherche et le journalisme.

Les conséquences de cette purge sont multiples :

  • Un danger pour la santé publique : en effaçant des directives médicales et des études sur les risques environnementaux, le gouvernement entrave l’action des professionnels de santé et des chercheurs.
  • Un frein à la recherche scientifique : la disparition de données démographiques et environnementales rend plus difficile l’élaboration de politiques publiques éclairées.
  • Un risque accru de désinformation : sans accès à des sources officielles, les citoyens se tournent vers des contenus moins fiables, alimentant la diffusion de fausses informations.

Pour Lynda Kellam, membre du Data Rescue Project, ce phénomène marque un tournant inquiétant :
« Cette idée selon laquelle on peut simplement effacer des données si elles ne correspondent pas à une idéologie politique est profondément préoccupante. C’est un véritable recul pour la science et la société. »

Vers un retour en arrière ou une prise de conscience ?

Malgré les efforts des archivistes et des journalistes, le risque est grand que ces suppressions créent un vide d’information durable. Comme le souligne Christina Gosnell, cofondatrice de Catalyst Cooperative, les archives ne suffisent pas si les bases de données officielles ne sont pas continuellement mises à jour​, « Ce travail d’archivage est crucial, mais c’est une solution temporaire. Si les ensembles de données sont supprimés et ne sont plus renouvelés, ils deviennent rapidement obsolètes et inutilisables. »

La bataille pour la transparence numérique ne fait que commencer. Si la communauté scientifique et les médias ne réagissent pas, cette purge pourrait ouvrir la voie à de nouvelles formes de censure numérique et d’effacement historique.

Le débat sur la gouvernance des données publiques aux États-Unis prend désormais une dimension politique et éthique cruciale. La question reste de savoir si cette tendance sera inversée ou si, au contraire, elle s’ancrera comme une nouvelle norme sous l’ère Trump.

Alexandre Aget, Journaliste UP’

Sources :

  1. New York Times (02/02/2025) – « Des milliers de pages web du gouvernement américain ont été supprimées depuis vendredi ». Cette enquête du New York Times analyse l’ampleur de la purge et les types de données supprimées sur les sites fédéraux​.
  2. Le Monde (16/02/2025) – « Contre la purge sans précédent des sites gouvernementaux ordonnée par Trump, les archivistes du numérique à l’offensive ». Cet article met en lumière la mobilisation des archivistes et des institutions académiques pour préserver les données effacées​.
  3. The Lever« Les lobbies industriels à l’œuvre dans la suppression des données environnementales ». Ce média a révélé comment des groupes de pression ont influencé les suppressions de bases de données environnementales et sanitaires​.
  4. Forbes (09/02/2025) – « Harvard et d’autres institutions sauvegardent leurs données alors que l’équipe de Trump supprime les pages Web fédérales ». Forbes revient sur les initiatives universitaires et numériques visant à sauvegarder les données menacées​.
  5. Environmental Data and Governance Initiative (EDGI)« Archives et suppression de données : Suivi des modifications gouvernementales sous Trump ». L’EDGI suit les suppressions et modifications de pages officielles sur les thématiques environnementales depuis 2017​.
  6. Wayback Machine (Internet Archive)« Récupération de pages supprimées des sites fédéraux américains ». Cet outil a permis de vérifier quelles pages ont été retirées et dans quels domaines​.

S’abonner
Notifier de


0 Commentaires
Les plus anciens
Les plus récents Le plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments
Article précédent

Quand l’IA veut réinventer le journalisme et les médias

Le Washington Post muselé par Jeff Bezos : la presse américaine aux ordres de Trump et de ses oligarques
Prochain article

Le Washington Post muselé par Jeff Bezos : la presse américaine aux ordres de Trump et de ses oligarques

Derniers articles de Société de l'information