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La finalité de l’aide humanitaire, un sujet tabou ?

Tribune libre

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Toutes les actions humanitaires ont globalement les mêmes buts et la même philosophie, mais certaines perdent de vue ce qui devraient être l’objectif numéro un de toutes opérations humanitaires : finir la mission et partir une fois la mission accomplie et la population locale autonome. Les actions les plus courtes sont les meilleures.

Depuis 2011, le nombre de personnes nécessitant une aide humanitaire a augmenté de plus de 130 millions, dont 74 millions depuis seulement deux ans. Cet adjectif « humanitaire », qualifie, selon le dictionnaire Larousse, « ce qui s’intéresse au bien de l’humanité, qui cherche à améliorer la condition de l’Homme. » Les OI comme les ONG, organismes et associations qui œuvrent pour cela interviennent sur le terrain pour répondre à des besoins immédiats que l’Etat concerné ne peut pas prendre en charge assez rapidement et efficacement.

Ce qui fait la nature première de ces organisations est leur action dans les situations d’urgence. Elles sont là pour aider à répondre à une crise ponctuelle : catastrophe naturelle, guerre, exode, etc. Dans ce contexte, l’idée d’autonomie à long terme n’a pas toujours été au centre des préoccupations car elle était hors du sujet, sachant que l’action des ONG et des OI devait être menée à court-terme. Une fois que l’organisation a accompli sa mission, il convient pourtant qu’elle se retire des lieux afin de se diriger vers de nouvelles perspectives pour prodiguer assistance à d’autres populations en difficultés.

On pourrait même penser qu’une organisation humanitaire de qualité se trouve destinée à s’éteindre, car le succès de son projet induit inévitablement sa cessation d’activité, en suivant la logique intrinsèque des choses. « L’autonomie des individus et des communautés concernées demeure la finalité et le fil conducteur de l’ensemble de nos projets. La distribution d’aide alimentaire, bien qu’indispensable ponctuellement, se révèle manifestement insuffisante pour conférer une autonomie aux individus. Notre objectif ultime réside dans le retrait des pays où nous intervenons, laissant derrière nous des populations n’ayant plus besoin de notre assistance. » Voilà ce qu’explique la directrice exécutive de l’ONG LIFE, Fanny Fernandes.

Si le sujet est facile à appréhender dans des contextes de crise (tremblements de terre, inondations…), où la fin de la crise va généralement de pair avec la fin de l’action humanitaire, lorsque l’Etat peut remplir à nouveau son rôle, il existe nombre de cas de crises sans fin apparente. Les ONG et les OI agissent donc désormais dans l’urgence « élargie » : elles s’emploient à atténuer les conséquences laissées par une catastrophe ou une crise, puis, le cas échéant, à apporter un soutien supplémentaire pour stimuler le retour au développement. C’est souvent dans le second cas que les difficultés surviennent : comment décréter la « fin de mission » ?

L’actuelle polémique en cours à propos de l’UNRWA (United Nations Relief and Work Agency for Palestine Refugees/Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), témoigne de certains problèmes liés à la mission et l’action de certaines organisations de ce type. L’UNRWA a été créé en 1949 pour fournir une assistance humanitaire aux réfugiés de Palestine suite à la guerre de 1948. Cela fait maintenant deux semaines que des agents de l’UNRWA sont accusés d’avoir participé aux massacres du 7 octobre en Israël. Il est étonnant qu’une telle chose puisse arriver sachant que l’organisation prône activement sa neutralité. Ce type d’incident est lié à des problèmes sous-jacents tel que le fait que la durée de la mission humanitaire n’ait pas de fin prévisible, bien que, dans le cas de l’UNRWA, l’ONG bénéficie d’un mandat de trois ans renouvelable qui vient encore d’être renouvelé jusqu’en 2026. En restant sur le terrain indéfiniment, les réseaux locaux ont pu pénétrer l’organisation et ainsi porter préjudice à l’impartialité et l’efficacité de l’organisation, d’où l’importance d’arriver avec un objectif concret et écrit dans le temps, ce qui fait la nature même d’une ONG.

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Au fil du temps, il est devenu de plus en plus évident que le simple apport d’une aide d’urgence ne résout pas les problèmes sous-jacents, surtout lorsque l’action humanitaire confond la fin et les moyens pour y parvenir comme souligné par Alain Boinet, le fondateur de Solidarités International : « Souvent, quand on demande à un humanitaire quelle est la situation dans telle ou telle crise, il répond logistique, financement, ressources humaines, difficultés. C’est ce qu’il connait le mieux et ce qu’il doit maîtriser pour agir. Mais la confusion commence là. La situation, c’est d’abord celle vécue par la population. C’est l’urgence de leurs besoins vitaux pour vivre : boire, manger, être à l’abri, être soigné. La finalité, c’est bien les personnes, les populations en péril dans une guerre ou une catastrophe. Et les organisations ne sont-elles pas le moyen de répondre aux besoins vitaux de ces personnes pour sauver des vies puis pour les accompagner ? »
Les crises et cataclysmes rencontrés sont souvent liés à des éléments profonds, à des problèmes structurels et durables. Résoudre la crise d’urgence va, certes, amoindrir les conséquences humaines sur le moment, mais quelques années plus tard la même chose pourrait recommencer. L’enjeu est d’accompagner les populations vers un redressement de la situation globale et vers l’autonomie. C’est à partir de là que les ONG et associations ont légèrement modifié leurs plans d’action générale. Il y a toujours cette gestion essentielle de l’urgence, qui est leur mission première, mais celle-ci s’accompagne maintenant souvent d’une aide au développement pour viser l’autonomie des populations et le développement de ces dernières.

Les ONG font ainsi nouvellement face à ce défi de la « transition ». Les organismes arrivent sur le terrain pour faire face à une situation d’urgence et doivent mettre en œuvre par la suite des programmes de développement à long-terme. Le défi est de taille car il faut veiller à ne pas créer une dépendance des populations vis-à-vis des ONG. De nombreuses organisations reconnaissent l’importance de travailler en lien avec les populations bénéficiaires. Cela fait partie du plan d’action. « L’aide humanitaire pouvant avoir comme effet de renforcer ou d’affaiblir l’autonomie des populations assistées à travers la création de nouvelles dépendances, le fait d’impliquer activement les récipiendaires relève d’une exigence éthique. Les acteurs humanitaires internationaux ont conscience de cette question, comme en témoigne la place croissante qu’elle occupe dans leurs discussions où la participation des populations locales est régulièrement évoquée, que ce soit dans un souci d’efficacité et de qualité, dans l’intention de renforcer l’autonomie de la société, ou bien de respecter la dignité de la population », explique Sofía Durán Cárdenas, doctorante contractuelle à l’Institut de Philosophie de Grenoble.

C’est aussi la perception de l’ONG LIFE qui accompagne depuis 2009 les populations en détresse vers un développement autonome et durable, et ce, en collaboration étroite avec les locaux. LIFE appelle cela une démarche de « co-création » et l’ONG s’appuie essentiellement sur ses partenaires locaux pour agir de façon adaptée. Fanny Fernandes explique ce mode de fonctionnement dans une interview : « Grâce à notre réseau de contacts dans de très nombreux pays, nos déploiements sur le terrain commencent généralement par une mission dite exploratoire, qui va nous permettre de rencontrer des acteurs locaux et de définir précisément les besoins, pour décider ensuite de la pertinence ou non d’un déploiement. […] Ces acteurs et collectifs locaux connaissent les situations et les besoins, et sont à même de faire le lien sur le long terme si nécessaire. Nous n’arrivons pas auprès des populations avec des solutions toutes faites et des moyens humains et matériels standardisés : nous dimensionnons les projets en fonction des besoins réels et concrets, besoins que nous connaissons grâce à nos partenaires locaux. » De même, l’association Care a à cœur cette transmission et ce travail avec la population, ils témoignent sur leur site : « Nous les formons à poursuivre et développer nos projets après notre départ : nous leur apprenons à construire des puits, former d’autres villageois à l’agroécologie… »

Ce travail avec les populations locales est indispensable. S’il faut accompagner ces populations quand elles en ont le plus besoin, il faut aussi leur donner toutes les clés pour qu’elles puissent petit à petit devenir complètement autonomes. Les ONG et autre organismes d’aides humanitaires n’ont pas vocation à rester sur place pendant des décennies, cela serait contre-productif et les populations pourraient ressentir une forme d’emprise, face aux échecs des OI et des ONG à leur donner l’autonomie qu’elles réclament et dont elles ont légitimement besoin.

Alice Moreau, chroniqueuse invitée

Photo d’en-tête : © Oxfam

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