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Menlo Park, Californie. Centre de calcul ultrasecret de Facebook, là où sont entreposés ses ordinateurs et algorithmes. Seul bruit : le bourdonnement de machines qui tournent depuis quelques jours à plein régime pour ingurgiter dans leurs neurones artificiels des milliards de milliards de données. Objectif ? Réaliser ce que jamais l’humanité n’avait osé ou pensé faire : cartographier toute la population de la planète avec une précision de cinq mètres. Une mission titanesque menée à train d’enfer. En quinze jours, la machine Facebook est parvenue à cartographier 14 % de la surface émergée de la planète et à y positionner plus de 2 milliards d’humains avec une précision diabolique.
C’est dans un article publié le 22 février sur le blog du Connectivity Lab de Facebook que l’on en apprend un peu plus sur la méthode employée pour réaliser cette tâche. Les ingénieurs ont appliqué des techniques de reconnaissance visuelle avancée sur des images satellitaires en haute résolution fournies par DigitalGlobe. Les yeux électroniques ont alors été entrainés à repérer sur la moindre parcelle d’image les traces d’une présence humaine. Dans certaines régions désertiques, repérer une modeste cabane s’est avéré rechercher une aiguille dans une botte de foin. Les moteurs de reconnaissance visuelle, pilotés par des algorithme d’apprentissage par réseau neuronal profond (deep convolutional neural network) ont alors été mis en action pour distinguer un élément de végétation ou un rocher d’une trace d’habitation ou d’une structure artificielle. Une traque réalisée sur des surfaces d’une résolution de cinq mètres.
À l’échelle du globe on imagine aisément le caractère herculéen de la tâche. Les données repérées dans la fouille de ces images ont ensuite été croisées avec des informations démographiques, économiques ou infrastructurelles pour affiner les résultats de la recherche. Des cartes inédites de la population humaine pouvaient alors être générées.
Cartographier, c’est disposer du pouvoir. Pour le philosophe Michel Foucault, la cartographie est une forme de savoir certes, mais aussi une forme de pouvoir. Les cartes, dit-il, sont des « actes de surveillance » pour la guerre, l’ordre public, la propagande ou la conquête. Ce n’est pas pour rien que la cartographie est considérée comme « la science des Princes ».
Les cartes sont de véritables armes. Dans le cours de l’histoire, elles ont été celles des impérialismes, de la formation des empires et des États-nations. Formes tracées sur le papier, les cartes favorisent l’idée d’un espace socialement vide. Les cadastres pérennisent un ordre social et les omissions ou silence d’une carte sont aussi éloquents que les informations données car ils véhiculent des stéréotypes culturels et des volontés politiques. Terra incognita à conquérir… Portulans de nouveaux espaces à coloniser…
Alors pourquoi Facebook entreprend-t-il cette immense cartographie de la population humaine ? L’objectif avoué est de mieux connecter le monde. Et pour mieux le connecter, il faut savoir où il vit, où il habite, le plus précisément possible. C’est ce que fait Facebook. Certes, la plupart de nos contrées occidentales sont scrutées par des myriades de satellites. Elles ne recèlent plus le moindre mystère. En revanche, il y a encore des pans entiers de notre monde qui demeurent dans l’obscurité, qui échappent aux réseaux de connexion.
Ce n’est donc pas par hasard si l’entreprise de Facebook s’attache en priorité à braquer ses cerveaux électroniques sur des zones comme le Nigeria, l’Ouganda, le Kenya ou l’Ouzbékistan. En effet, cela fait des mois que la firme de Mark Zuckerberg s’efforce de convaincre des pays « émergents » de rejoindre son programme « Free Basics ». L’idée est d’offrir à ces populations un accès gratuit à l’internet mobile et du coup, à s’assurer la connectivité de quatre milliards d’êtres humains restés encore loin du monde des réseaux et des écrans.
Or pour brancher tout ce monde éparpillé sur des zones gigantesques de la planète, pour bâtir des réseaux de télécommunication innovants, il est crucial de savoir avec une grande précision où se trouvent les futurs-nouveaux internautes-clients.
C’est pourquoi Facebook s’est attelé à cette tâche immense : cartographier la position de chaque humain sur cette planète. Ce faisant, le géant de Mountain View ouvre un champ immense de possibilités. Ces cartographies seront un trésor pour ceux qui bâtissent des infrastructures énergétiques, qui traquent les ressources agricoles et alimentaires, qui veulent planifier des secours humanitaires… ou des guerres.
Croisées et enrichies avec les immenses possibilités du big data, ces cartographies constituent des bases d’informations colossales pour les puissances économiques et technologiques qui les détiendront. En se les octroyant, elles concentreront un pouvoir et des capacités supérieurs à tout ce que les États n’auraient jamais osé rêver.
Il y a pourtant un autre hic qui chagrine dans cette entreprise facebookienne. En voulant cartographier et positionner chaque être humain, est-on sûr que certains d’entre eux ne seront pas rejetés, censurés des cartes ? C’est l’aventure pourtant qui est arrivée aux indiens d’Amazonie du superbe film L’Étreinte du serpent.
Les photos du film ainsi que le trailer ont été censurés sur le réseau social pour atteinte à la morale. Pudibonderie désormais habituelle de Facebook devant des corps dénudés ou non conformes au dress-code de la Valley : jeans, teeshirt et baskets. En pointant ses objectifs hyperpuissants sur chaque parcelle des territoires de l’humanité, le pudibond Facebook risque sans nul doute l’apoplexie. Cachez ce sein que je ne saurais voir !
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