Vivre sur un volcan en toute autonomie, c’est le pari réussi des 10 000 habitants d’El Hierro, située dans l’archipel des Canaries. Cette semaine est inaugurée sa centrale hydro-éolienne qui va fournir à l’île toute l’énergie et l’eau douce dont elle a besoin. Comme si les gens la-bas avaient appris à … penser comme une montagne.
L’expression nous vient d’Aldo Leopold qui au début du XXème siècle a proposé son éthique de la terre. Cela veut dire cesser de voir la nature du seul point de vue de l’homme, en ayant en tête uniquement l’usage que l’on peut en faire. On a compris ici que le vent et l’eau pouvaient être des alliés, et le pétrole… superflu.
80 millions ont été investis par la société d’économie mixte Gorona del Viento. L’Etat espagnol, le gouvernement régional, celui de l’ïle et la firme Endesa, (filiale d’ENEL Italie), sans oublier les fonds européens, ont abondé afin d’installer un parc conséquent mais bien regroupé : cinq éoliennes de 2,2 Mégawatts chacune (modèle Enercon E70) ; une usine de dessalement complétant les trois autres existantes ; et une centrale hydraulique de 11 Mégawatts avec ses deux réservoirs d’eau dont l’un en altitude (utilisant un ancien cratère avec toujours l’idée que la nature est le modèle) pour disposer d’un stockage d’énergie telle une batterie de secours. De ce fait, malgré de possibles manques de vent, le dispositif peut fonctionner 24h sur 24 avec 48h d’autonomie.
Les paladins de l’indépendance énergétique insulaire
Le projet ne date pas d’hier. Il a tout d’abord été porté dans les années 80, par Tomás Padrón, ingénieur travaillant chez Unelco, entreprise canarienne gérant la production électrique, à l’époque avec du fioul importé. L’homme est ambitieux, entre en politique et porte le projet avec son ami Ricardo Melchior, lui aussi ingénieur industriel et homme engagé politiquement, qui fut un promoteur des énergies renouvelables (fondateur du Conseil solaire européen -Club de Paris- et de l’Agence européenne pour l’énergie renouvelable).
Sans nul doute, leurs liens avec Isidoro Sanchez, député européen des Canaries, et surtout avec la femme politique espagnole Loyola de Palacio (1950-2006) qui fut Vice-présidente de la Commission européenne à Bruxelles, permit en haut lieu de défendre le chantier du 100% Energies renouvelables (ENR) à El Hierro.
Le classement préliminaire en 2000 par l’Unesco de l’ïle sous le label du programme « Man & Biosphere » a permis l’accès à de gros crédits. L’ancien chef de ce programme puis Vice-directeur de l’Unesco et organisateur du Sommet de Rio de 1992, Francesco de Castri, soutenait que « les solutions ne sont pas dans l’innovation pour elle-même mais dans son articulation avec les traditions ». Nous y sommes avec le dispositif sur mesure, qui a été élaboré pour El Hierro, en s’adaptant aux configurations locales.
Les quatre usines de dessalement d’El Hierro, fonctionnant selon la technologie de l’osmose inverse, tournent avec l’énergie éolienne et éventuellement grâce à l’hydraulique ; et ce couplage est rarissime dans le monde. Par exemple, dans la seule usine du Gangrego (Le crabe) sont traités 2 400 m3/jour d’eau de mer avec une consommation électrique de 4,5 KW/m3. En cas de panne de vent ou de tempête, l’énergie hydraulique stockée dans deux barrages connectés pourront jouer le rôle de batterie-tampon. La centrale au fioul sera conservée, prête à repartir, en cas de pointe de la demande.
Une petite île exemplaire pour… la planète
Au total en terme d’énergie, les promoteurs de Gorona del Viento affichent des économies substantielles : 6 000 t/an de fioul soit une facture insulaire allégée de plus de 2 millions d’euros/an. Pour les émissions à effet de serre, cela correspond à l’élimination de l’émission de 18 700 t/an de CO2; de 400 t/an de NOX ; de 100 t/an de SO2. La petite île d’El Hiero se fait donc vitrine pour… le monde comme l’exprimait un article récent du New York Times
D’après Alain Gioda, hydrologue de l’IRD, qui accompagne le projet depuis 1991, cette initiative place El Hierro parmi les plus beaux exemples mondiaux d’indépendance énergétique, d’autant qu’elle se double d’un programme de transports propres, et elle peut être rapprochée d’autres réalisations. Ainsi, sur l’ïle d’Okinawa au Japon, un prototype d’hydro-éolien a été développé il y a déjà plus de quinze ans, en associant pompage et turbinage. De nombreuses îles recourent aussi à la géothermie comme Hachijojima (63 km², 8 300 habitants) au Japon, une île située à 300 kilomètres de la capitale, qui a fait le pari de devenir autonome à 100 % ; et surtout l’Islande (320 000 habitants). Sur l’île des Canaries de Fuerteventura, une petite station de dessalement fonctionne aussi déjà à l’énergie éolienne On sait aussi que des pays, telle la Norvège, ont une très large autonomie énergétique grâce à leurs barrages hydroélectriques. Le site Objectif Terre recense les projets fondés sur l’hydro-éolien dans le monde.
Le lancement de cet ensemble hydro-éolien à El Hiero est couplé à deux jours de Forum (25 et 26 juin) organisés par l’Unesco dans le cadre du programme Renforus. Ce dernier soutient et favorise les échanges de savoir-faire entre sites qui développent les énergies renouvelables. Sont concernées par exemple les Iles Galapagos qui visent un cap de Zéro énergies fossiles, ou Fontainebleau et son modèle innovant de gouvernance pour des projets Biomasse (programme Equimeth).
Dorothée Browaeys, Rédactrice en chef adjointe