Youyou Tu devient la première femme chinois distinguée par le prix Nobel de médecine pour ses recherches sur le paludisme. Elle partage son prix avec William C. Campbell et Satoshi Ōmura qui ont travaillé sur le développement de l’ivermectin, un traitement contre les maladies parasitaires. Youyou Tu est, elle, à la source d’un traitement efficace contre le paludisme, maladie qui touche 200 millions de personnes par an. Un traitement mis au point à partir d’une plante de la famille des absinthes, l’Artemisia annua, connue pour ses vertus depuis des millénaires par la médecine traditionnelle chinoise. Le Nobel se garde prudemment de récompenser la pharmacopée traditionnelle mais souligne que Youyou Tu a su intelligemment s’en inspirer.
Il ne fait pas de doute que Youyou Tu a fait sienne la fameuse formule de Sénèque, E veteris nova, du vieux nait le nouveau. Récompensée par le Nobel de médecine pour ces recherches sur le paludisme, malaria en anglais, la chercheuse chinoise octogénaire a mené sa vie durant son travail en regardant vers le passé pour y découvrir certaines des clés sur lequel le monde bute. Une vie de recherche qui n’est pas sans rappeler celle des plus rocambolesques romans d’aventure.
Tout commence en 1955. Fraîchement diplômée en pharmacie de l’Université de médecine de Pékin, elle s’intéresse ardemment à la médecine traditionnelle. Elle sera d’ailleurs pendant quasiment toute sa carrière Professeur à l’Académie chinoise de médecine traditionnelle de Pékin.
Quand la médecine rencontre la grande histoire
Son œuvre de médecin a très vite convergé avec la grande histoire. En effet, dès les années 1950, l’OMS (Organisation mondiale de la santé) lance un ambitieux programme pour éradiquer le paludisme qui fait des ravages dans de nombreuses régions du monde. La mal enfle dans les années 1970 avec la guerre au Viêt-Nam. En effet, en combattant leurs voisins du sud, les vietnamiens ont construit des kilomètres de tunnels qui inévitablement retiennent les eaux de pluies nombreuses et violentes dans ces régions tropicales. Un milieu des plus favorables pour le développement des moustiques anophèles, redoutables vecteurs du paludisme. La maladie ressemble au début à une vulgaire grippe mais très vite les parasites migrent vers le foie, s’y multiplient et infectent les globules rouges conduisant rapidement à une défaillance des organes, au coma et à la mort. Une seule piqure d’un moustique infecté est capable de tuer en une journée un jeune enfant dont l’organisme n’est pas en mesure de le défendre efficacement.
La Chine voisine est particulièrement touchée, poussant le président Mao Zedong à monter un projet militaire ultrasecret. Nom de code « 523 », correspondant à sa date de lancement, soit le 23 mai 1967. Objectif clairement affiché : trouver un remède dans la médecine traditionnelle chinoise pour combattre ce fléau et, au passage, devancer les labos américains ultra-modernes.
L’exil dans les grimoires
Mao repère Youyou Tu et lui confie la direction des recherches. Comme les chinois de cette époque, en pleine Révolution culturelle, ne s’encombraient pas de soucis liés à la vie personnelle, Youyou est envoyée (exilée ?) dans la province reculée de Hainan pour observer les effets de la maladie. Elle est séparée de sa fille de quatre ans et son mari est expédié dans un camp de travail. Elle pourrait ainsi se consacrer pleinement à ses recherches. Dans une interview au New Scientist elle avoue : « Le travail était ma priorité, j’étais prête à sacrifier ma vie personnelle ».
Au fin fond de sa province d’exil, accompagnée de trois assistants, elle se plonge dans de vieux grimoires et dans les recettes traditionnelles chinoises. Elle en identifie plus de deux mille et repère plusieurs centaines d’extraits de plante qu’elle s’emploie à tester systématiquement sur des souris. Parmi ces extraits, elle observe qu’une plante, l’absinthe Artemisia annua fait non seulement baisser la fièvre, mais réduit singulièrement le nombre de parasites dans le sang. L’espoir de trouver LE remède commence à germer mais il sera vite déçu : les effets de la plante diminuent très rapidement avec le temps.
Mais la certitude qu’elle est sur la bonne piste ne quitte pas Youyou. Elle continue, étudie avec passion des documents anciens et notamment une recette vieille de 1600 ans. C’est celle-ci qui lui donnera la clé. Youyou Tu modifie par tâtonnements successifs le processus d’extraction jusqu’à parvenir à isoler le principe actif, l’artémisinine. Pas de temps à perdre ! Elle teste la substance sur elle-même avant de procéder à des essais sur des patients humains. Et ça marche ! En une trentaine d’heures, elle observe que le traitement fait baisser la fièvre et réduit considérablement le nombre de parasites dans le sang. Eureka !
Pas cher et efficace
Aujourd’hui, l’artémisinine est considéré comme le traitement le plus efficace contre le paludisme. Quelques doutes sont émis par l’OMS sur la capacité d’adaptation du parasite à ce traitement qui en réduirait les effets. Doutes vite balayés par l’observation d’études sur le terrain notamment en Afrique qui démontrent que l’artémisinine réduit la mortalité de cas de paludisme sévère de 39 % chez les adultes et de 24 % chez les enfants.
Aujourd’hui, ce traitement est le plus répandu, le plus sûr, mais aussi le moins cher pour lutter contre le paludisme. La maladie est en forte régression même si 200 millions de personnes sont touchées par an et que 500 000 en meurent, essentiellement des enfants africains.
Photo © Simon Griffiths
S’abonner
Connexion
0 Commentaires
Les plus anciens
Les plus récents
Le plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments