Le développement des énergies renouvelables (hydraulique, solaire, éolien, biomasse) est une gageure dans un pays tout entier voué au nucléaire. Et pourtant, la France se classe aujourd’hui dans les dix premiers pays du monde pour son innovation. Une incroyable course d’obstacles pour parvenir à cette performance. Mais la bataille est loin d’être terminée.
Le Green Innovation Index de Next 10 a publié des indicateurs selon le PIB des pays, les émissions, la productivité énergétique, la production d’énergie renouvelable, les investissements en technologie propre et autres paramètres clés.
L’Union européenne collectivement et ses pays individuels occupent le premier rang dans le monde sur plusieurs indicateurs clés :
• Nº1 comme producteur d’énergie renouvelable.
• Nº2 en ventes mondiales de véhicules électriques (2014) ; représentant 30 % des ventes dans le monde entier.
• Nº1 en IPO de technologie propre (2014).
• Nº2 en capital de risque de technologie propre, attirant un peu plus d’un milliard de dollars en 2014.
• Nº1 en brevets d’énergie éolienne.
• Nº2 en brevets de technologie propre, dont 11 000 enregistrés en 2014.
En 2015, la France dispose de 10.000 mégawatts (MW) d’éolien (46 en 2000) et de plus de 5.500 MW de solaire photovoltaïque. Elle se classe ainsi parmi les dix premiers pays du monde en matière d’énergies renouvelables (hydraulique, solaire, éolien, biomasse), derrière une demi-douzaine de champions (Chine, Etats-Unis, Allemagne, Espagne, Inde et Grande-Bretagne) et au même niveau que l’Italie et le Canada.
Qu’est-ce qui a changé ?
© TEMISTOCLE LUCARELLI – Fotolia
Le paysage énergétique s’est considérablement modifié au cours de ces dix dernières années et le mouvement prend de l’ampleur. En 2014 on dénombrait plus de 7,7 millions de personnes dans le monde qui travaillaient dans les énergies renouvelables et près de 250 milliards d’euros y ont été investis, dont plus de la moitié dans le solaire. Facteur économique aussi, le prix des panneaux photovoltaïques a baissé de 75 % depuis 2009. Selon une étude du Fraunhofer Institute, d’ici une petite dizaine d’années, l’électricité produite par les centrales solaires photovoltaïques coûtera moins cher que celle produite avec le nucléaire, le charbon ou le gaz .selon une étude du Fraunhofer Institute. Une autre étude commandée par la Commission européenne juge possible que le réseau électrique européen absorbe 60 % de renouvelables en 2030.
Une course d’obstacles
Comment la France est-elle parvenue à se hisser dans le peloton de tête des pays vertueux ? L’histoire ne s’est pas faite toute seule et c’est un véritable parcours d’obstacles que raconte Louis Germain dans le toujours excellent Journal de l’énergie. Une histoire qui commence en 1992 avec la naissance de L’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Une bataille s’est d’emblée engagée entre l’Agence tout juste née et le mastodonte EDF. Le patron du fournisseur français d’électricité, Gilles Ménage, rejetant dédaigneusement ces énergies alternatives comme l’éolien affirmant que tout cela s’arrêterait vite « car ça fait du bruit ». Aujourd’hui EDF-Energies nouvelles (EDF-EN), filiale à 100 % d’EDF, est un des leaders internationaux des renouvelables électriques avec un chiffre d’affaires supérieur au milliard d’euros.
Exemple de cette suspicion originelle, celui de Photowatt, un pionnier qui est toujours le seul fabricant français intégré de l’industrie solaire. Louis Germain nous explique le fiasco : « Créé en 1979, Photowatt a longtemps été le n°3 mondial du photovoltaïque. Rachetée en 1997 par le groupe canadien ATS, la société dépose le bilan en 2011 et doit à la campagne pour la présidentielle de 2012 d’être « sauvée » de justesse, grâce un rachat par EDF-EN sur l’insistance de Nicolas Sarkozy auprès de son ami Henri Proglio, alors à la tête d’EDF. Photowatt aurait pu être un des grands du solaire mondial sans la myopie des dirigeants français. Aujourd’hui, il lui faudrait multiplier sa capacité de production par dix et un apport de plusieurs centaines de millions d’euros pour espérer faire le poids face à la concurrence chinoise ».
Compétitivité et crédibilité
Jean-Bernard Lévy, Pésident d’EDF © Charles Platiau / Reuters
Le rapport de l’Ademe, « Vers un mix électrique 100 % renouvelable en 2050 » (1) rédigé dans la perspective de la COP 21 qui doit se tenir à Paris en décembre fut d’abord, enterré, puis déterré suite à des fuites. Rapport trop dangereux puisqu’il démontre que la France a la capacité de produire en 2050 trois fois plus d’électricité qu’elle n’en consomme aujourd’hui à l’aide des seules énergies renouvelables. Les tentatives de déni des grands fournisseurs d’énergie fossile ressemblent de plus en plus à des combats d’arrière-garde. Le 18 février dernier, le nouveau patron d’EDF, Jean-Bernard Lévy, affirmait devant une commission de l’Assemblée nationale que le photovoltaïque restait « loin de la compétitivité », le 11 avril, il jugeait le solaire « moyennement compétitif ». Devenues chaque jour plus crédibles et incontournables, les énergies renouvelables sont désormais considérées comme gênantes voire dérangeantes par leurs détracteurs alors même que le nucléaire devient, lui, de moins en moins crédible.
Une dynamique irrésistible ?
Le mouvement de l’éolien et du photovoltaïque semble irrésistiblement lancé, malgré les blocages réglementaires et les limitations budgétaires. En 2014, la progression du photovoltaïque a été de 27 % par rapport à 2013. Les coûts de production ont été divisés par 25 ; les technologies progressent vers toujours plus de rendement. La puissance des éoliennes n’a cessé d’augmenter : d’une puissance de 150 kilowatts en 1985, elles atteignent 8 MW et bientôt 10 pour les grandes machines offshore. Le kWh éolien terrestre est déjà compétitif en Europe par rapport au KWh produit avec le nucléaire ou le gaz.
Mais ces batailles ont laissé des traces. Le retard accumulé et les tergiversations réglementaires font que, malgré une forte dynamique, la France n’atteindra pas les objectifs de 2020 sur lesquels elle s’est engagée auprès de Bruxelles.
De plus, le gouvernement se trouve face à un dilemme qui doit être tranché avant 2020 : faut-il prolonger le parc nucléaire ou miser à fond sur les énergies renouvelables ? Le nucléaire coûte-t-il vraiment moins cher à produire que les énergies renouvelables ? Affrontement de chiffres entre EDF et son président Jean-Bernard Lévy qui affirme que le coût du photovoltaïque est « très loin de celui du nucléaire » et ses adversaires qui lancent un prix du renouvelable 20 à 30 % inférieur. La bataille entre les deux camps est loin d’être éteinte ; elle ne fait même que commencer.
(1) Rapport au sujet duquel UP’ avait consacré un article
Sources : le Journal de l’Energie
Crédit photo principale © Jose Ignacio Soto