Rarement le soulagement après la défaite électorale de l’extrême droite n’aura été de si courte durée. Les vraies difficultés sont devant nous. Et pour cause : élu par moins de 39 % du corps électoral et grâce à ce qui reste de réflexe de défense de la République, il ne reste à Emmanuel Macron que deux solutions : l’immobilisme pour maintenir des équilibres précaires face à la marée montante des extrêmes et des protestations ; une vision radicalement nouvelle pour sauver la démocratie et le climat, proposer à la société française des perspectives partagées. Seule la seconde a un avenir.
Avec la profondeur des fractures de la société, il n’émergera pas de parti unique majoritaire. Des coalitions vont devoir se former (1). L’urgence est aujourd’hui d’en dégager des grandes lignes. Ce ne sera pas par panachage des programmes avancés par les uns et les autres, aucun n’est à la hauteur des défis qui nous attendent, mais en adoptant une boussole commune qui puisse guider les transformations à venir.
Démocratie et climat en danger
La démocratie est en danger, interpellée sur sa capacité à définir et mettre en œuvre des perspectives à long terme dans un monde en plein bouleversement.
Le climat est en danger. Diviser par cinq notre empreinte écologique ne passera pas, comme chacun l’a compris, par la taxation de l’énergie fossile mais aucune stratégie alternative globale n’est proposée. La priorité accordée au pouvoir d’achat, sans découplage de celui-ci avec la consommation d’énergie fossile, révèle des contradictions radicales.
Le mode d’action de l’État est obsolète. C’est dans les périphéries rurales et outre-mer, territoires qui bénéficient le plus massivement des transferts, que le vote en faveur du RN a été le plus massif. Ce n’est pas en mettant mieux l’État à l’écoute du local que l’on y remédiera.
Pour que le quinquennat qui s’ouvre soit, selon le vœu du Président, radicalement différent de celui qui précède, il faut changer de logiciel intellectuel et institutionnel.
L’unanimité sur l’ampleur de la crise masque les désaccords sur ses causes et a fortiori sur ses remèdes. Certains croient que l’on peut remonter le cours de l’histoire, s’accrocher aux modes de pensée et aux systèmes d’acteurs hérités des siècles précédents. D’autres sont convaincus, comme nous, que la France doit participer à l’invention du monde de demain, innover hardiment pour répondre aux nouveaux défis : c’est eux qui doivent s’unir autour d’une boussole commune.
Notre crise est celle de la modernité, inventée il y a plusieurs siècles. Sa réussite a structuré notre monde. C’est aujourd’hui tout le système de pensée et tout le système institutionnel que nous avons hérité d’elle, sur l’économie, l’État, le droit, les relations entre les sociétés, qu’il faut revisiter.
Cette « première modernité » a cherché l’efficacité opérationnelle dans la séparation. Dès lors, rien d’étonnant à ce que les crises actuelles aient en commun d’être des crises de relations : entre humanité et biosphère avec la nature réduite à une ressource à exploiter ; au sein de la société avec la perte d’une cohésion sociale que les politiques redistributives ne parviennent pas à rétablir ; dans l’éducation, la science et la gouvernance où la spécialisation des disciplines et des politiques fait perdre de vue le caractère systémique des problèmes ; dans les relations entre sociétés, dominées par des rapports de force entre Etats incapables de faire naître une communauté européenne et mondiale de destin ; dans l’économie et la finance avec la disparition de l’équilibre entre droits et responsabilités des acteurs.
La boussole en découle, recréer ou réparer les relations : en soutenant les acteurs les mieux capables d’organiser les relations en leur sein, territoires et filières ; en assumant nos responsabilités vis à vis du climat et de toutes les atteintes à l’intégrité de la biosphère ; en développant la coopération et la cohérence entre niveaux de gouvernance ; en renouvelant en profondeur notre système éducatif et de formation ; en redéfinissant le contrat social ; en mettant la coopération au cœur de la vie économique et des politiques publiques.
Osons les territoires !
Cette boussole se traduit en propositions concrètes. Propositions radicales au sens où elles touchent à la racine des problèmes mais propositions parfaitement réalisables comme l’a montré le collectif « Osons les territoires ! » avec son cahier de propositions.
Oui, osons les territoires ! Car c’est à l’échelle des bassins de vie que l’on peut construire et mener des stratégies de transition systémique avec l’ensemble des acteurs. Les territoires fourmillent aujourd’hui d’idées et d’initiatives qui se heurtent au plafond de verre des politiques nationales et européennes.
Faisons sauter ce plafond de verre. Par exemple : en proposant pour l’Union européenne, une « Fédération 2.0 » fondée sur les principes de la gouvernance à multi-niveaux en faisant des territoires l’acteur central de la transition; en dotant les territoires des capacités humaines et financières nécessaires pour la conduire ; en nous imposant pour sauver le climat une obligation de résultat, la réduction annuelle de 6 % de notre empreinte écologique conforme à nos engagements internationaux ; en enracinant dans les territoires une éducation à la complexité, à l’initiative et à la responsabilité et en y développant les compétences collectives nécessaires à la transformation de notre société.
Pierre Calame, pour le Collectif « Osons les territoires ! »
(1) Voir la création à ce jour de la « Nouvelle union populaire écologique et sociale »