La hausse rapide de la température des océans au cours des derniers mois fait planer le spectre d’un changement de modèle climatique qui pourrait accélérer le réchauffement de la planète et renforcer les tendances qui alimentent déjà les tempêtes extrêmes, les vagues de chaleur meurtrières et les crises écologiques sur terre et sur mer.
Après un nouveau record annuel de chaleur en 2022 – le dernier en date d’une série d’années record – les températures moyennes à la surface des océans ont grimpé en flèche depuis le début du mois de mars. Si l’on exclut les régions polaires, elles sont supérieures d’environ deux dixièmes de degré Celsius à ce que les scientifiques n’aient jamais observé à cette période de l’année grâce aux données satellitaires. Un chiffre de hausse des températures apparemment infime, mais qui, rapporté à la moyenne de l’ensemble de la planète, représente une anomalie très importante, entraînant des effets potentiellement désastreux. Un grand nombre de vagues de chaleur océanique apparaissent ainsi en ce moment même dans le monde entier, exerçant une pression incommensurable non seulement sur la faune et la flore mais aussi sur les grands mécanismes climatiques du globe. Ces événements sont alarmants, mais malheureusement pas inattendus pour ceux qui travaillent dans le domaine des sciences du climat.
El Niño se réveille
Pourquoi une telle hausse ? Selon les scientifiques, une transition vers le modèle climatique connu sous le nom d’El Niño est probablement à l’origine de la tendance l’accélération de ce réchauffement inédit. Ils n’en seront certains qu’avec le temps, lorsque le phénomène aura pris forme. Ce qui est déjà incontestable : les émissions de gaz à effet de serre entraînant une hausse constante des températures mondiales, la planète continuera à créer de nouveaux précédents climatiques et météorologiques, et les océans deviendront de plus en plus chauds. Les records de températures ne sont donc pas près de se tarir.
Le phénomène aggravant, pour les scientifiques, est le retour d’El Niño. Historiquement, El Niño est connu pour accélérer le réchauffement climatique, avec des effets dévastateurs. Ce phénomène se caractérise par des eaux de surface plus chaudes que la moyenne dans l’océan Pacifique, ce qui a des effets domino sur les conditions météorologiques dans le monde entier. Le dernier grand El Niño a conduit la planète à une chaleur record en 2016. L’héritage d’El Niño ne passe jamais inaperçu et laisse toujours sur son passage des séries de catastrophes : grave sécheresse dans des régions telles que l’Indonésie et l’Afrique du Sud, augmentation des précipitations dans certaines régions du globe, sans compter les désastres écologiques et phénomènes météorologiques extrêmes mortels : sécheresse et incendies de forêt qui entraînent la disparition de la forêt tropicale, réchauffement des océans qui tue la vie aquatique et fait blanchir les coraux, perte rapide de la glace polaire et accélération de la transmission de maladies du fait de la fonte du permafrost.
Aujourd’hui, les scientifiques voient les signes qu’un nouvel El Niño se prépare, car les eaux du Pacifique au large de l’Équateur et du Pérou se réchauffent rapidement. C’est là qu’El Niño a trouvé son nom, car le réchauffement est connu pour perturber l’industrie de la pêche dans la région au moment de Noël – El Niño signifie « l’enfant Jésus » en espagnol. Les climatologues estiment qu’il y a 62 % de chances qu’El Niño se développe entre mai et juillet, et 90 % de chances qu’il arrive avant la fin de l’année.
Il s’agirait d’un changement radical après trois années dominées par La Niña, le pendant d’El Niño, une période exceptionnellement longue qui, selon les scientifiques, s’est achevée en février. Contrairement à El Niño, La Niña est associée à des eaux de surface plus froides que la normale dans le Pacifique tropical. Cela signifie qu’une grande partie de la chaleur des océans est « enfouie » dans les eaux plus profondes pendant La Niña. À mesure qu’El Niño se développe, il est possible qu’il ramène cette chaleur à la surface.
The oceans have clearly been absorbing a lot of excess energy and hiding it from us for a few years now. This looks like payback time.
A massive redistribution of that energy and I don't think we can really forecast what it will mean. We are in uncharted territory. pic.twitter.com/AHPbv8Mv2o— Dr Thomas Smith 🔥🌏 (@DrTELS) April 25, 2023
De nouveaux sommets, dans une longue continuité
Les scientifiques assurent que ce phénomène conduira probablement à de nouveaux sommets pour les températures moyennes à la surface du globe en 2024. Selon l’océanographe Moninya Roughan, qui s’est exprimée dans The Conversation, la chaleur supplémentaire générée par un épisode El Niño permettrait à certaines régions de notre planète de dépasser pour la première fois les 1,5 °C de réchauffement.
« Ce qui est préoccupant, c’est que si ce phénomène se poursuit, il sera bien en avance sur la courbe climatique [prévue] pour l’océan », a déclaré au Guardian l’océanographe Mike Meredith, du British Antarctic Survey. « Mais nous ne savons pas encore si cela va se produire. Nous n’en sommes donc pas encore là, mais cette tendance fait suite aux prévisions de la semaine dernière, selon lesquelles nous sommes actuellement en bonne voie pour atteindre un réchauffement de 3 °C d’ici à 2100.
La récente hausse des températures océaniques, bien que surprenante, s’inscrit dans une tendance de plusieurs décennies à l’augmentation de la chaleur des océans du monde entier, qui, selon les scientifiques, ont absorbé 90 % de l’excès de chaleur dans le système terrestre au cours des dernières décennies en raison de l’augmentation des gaz à effet de serre. Les répercussions d’un réchauffement supplémentaire des océans peuvent être considérables et spectaculaires. En atteignant leur limite de stockage de la chaleur, les eaux plus chaudes des océans augmentent les risques de vagues de chaleur dans certaines régions du globe, ce qui peut entraîner des conséquences catastrophiques pour le vivant aussi bien sur terre que dans les mers.
Un océan plus chaud signifie également un océan en expansion, ce qui fait monter le niveau de la mer, affecte les côtes et aggrave les inondations. L’eau plus chaude dans les couches supérieures de l’océan peut également contribuer à alimenter des tempêtes plus intenses et les pluies torrentielles qui les accompagnent. Cela s’explique en partie par le fait que plus de chaleur équivaut à plus d’humidité dans l’air, ce qui renforce la puissance des tempêtes. Il faut garder en mémoire que pour chaque degré Celsius d’augmentation de la température de l’air, l’atmosphère peut contenir environ 7 % d’eau en plus.
Les scientifiques ont constaté que le réchauffement des océans, bien que fort et régulier dans l’ensemble, varie d’un endroit à l’autre de la planète, avec des augmentations de chaleur particulièrement rapides dans certaines régions du monde. Sur la carte ci-dessous on observe de fortes hausses de températures des eaux profondes sur la côte Pacifique de l’Amérique du Sud, là où se forme El Nino, mais aussi sur l’Atlantique Nord Est, au large de l’Afrique occidentale et de la péninsule ibérique, ainsi qu’en Méditerranée.
Les scientifiques observent que le réchauffement continu des océans date de plusieurs décennies. Une étude publiée en octobre dans la revue Nature Reviews a révélé que la partie supérieure des océans se réchauffe partout dans le monde depuis au moins les années 1950, les changements les plus marqués étant observés dans les océans Atlantique et Austral.
Les auteurs précisent que les données montrent que le réchauffement s’est accéléré au fil du temps et qu’il a atteint des profondeurs de plus en plus importantes. Selon les scientifiques, ce réchauffement est probablement irréversible au cours de ce siècle et continuera très certainement à s’aggraver si l’homme ne réduit pas rapidement et de manière significative ses émissions de gaz à effet de serre.
Dans sa dernière évaluation, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies écrit qu’il est « pratiquement certain » que les couches supérieures des océans se sont réchauffées au cours des cinquante dernières années et « qu’il est extrêmement probable que l’influence humaine en soit le principal moteur ». Les émissions d’origine humaine « sont le principal facteur de l’acidification globale actuelle de la surface des océans ouverts », a écrit le groupe d’experts.
Les émissions de gaz à effet de serre produites par l’homme depuis 1750 « ont engagé l’océan mondial dans un réchauffement futur », ont constaté les auteurs du GIEC. D’ici la fin du XXIe siècle, le réchauffement des océans sera probablement plusieurs fois supérieur à ce qu’il a été au cours des cinq dernières décennies.
Toutes ces tendances rendent encore plus alarmante la perspective d’un nouveau phénomène El Niño et de son influence sur le réchauffement global. Les scientifiques craignent que le changement climatique rende El Niño plus extrême, moins prévisible et potentiellement plus lourd de conséquences pour la planète.
Avec Nature, ScienceAlert, Washington Post
« Les climatologues estiment qu’il y a 62 % de chances qu’El Niño se développe entre mai et juillet, et 90 % de chances qu’il arrive avant la fin de l’année. »
Je ne voudrais pas passer pour un emmerdeur, mais l’utilisation du terme « risques » me parait peut-être plus approprié que celui de « chances ». Pour le reste, l’article est intéressant. Merci.
JJLH