À l’heure de la crise agricole, l’association Santé Environnement France (ASEF) sonne de nouveau l’alerte sur les risques liés au cadmium, ce métal toxique que nous retrouvons dans l’alimentation. Le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire a d’ailleurs lancé une consultation publique sur le sujet mais les recommandations semblent bien en deçà de l’acceptable. En cause, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), les épandages d’engrais minéraux phosphatés par les agriculteurs. Parmi les personnes les plus exposées, les enfants, notamment à cause des céréales du petit déjeuner. Explications.
Le cadmium, métal lourd toxique et cancérigène, est omniprésent dans notre environnement et peut entraîner des risques pour la santé de l’Homme, exposé principalement via l’alimentation. On le retrouve naturellement dans les différents compartiments de l’environnement (sols, eaux, air) du fait de sa présence à l’état naturel dans la croûte terrestre et des apports anthropiques liés aux activités industrielles (métallurgies) et aux pratiques agricoles (engrais). Le cadmium a longtemps été utilisé dans la composition de nombreux alliages avec d’autres métaux, pour la fabrication d’écrans de télévision ou encore celle de piles. Si son utilisation, notamment dans les engrais, est aujourd’hui encadrée et limitée dans l’Union européenne, le cadmium reste un composant que l’on retrouve régulièrement dans les sols et les eaux pollués, et peut contaminer certains aliments, comme les fruits de mer, le poisson ou les végétaux.
Du coup, la principale source d’exposition au cadmium est l’alimentation. En effet, dans le sol il pénètre facilement dans les végétaux par leurs racines et entre ainsi dans la chaîne alimentaire. Les fumeurs sont également exposés au cadmium par l’inhalation de la fumée du tabac. D’autre part, en milieu industriel, les professionnels sont exposés via l’air ambiant.
Le cadmium a été classé « cancérogène pour l’Homme » (groupe 1) par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) en 2012, et mis dans la catégorie 21 par l’Union Européenne en 2004.
Une toxicité identifiée depuis longtemps
Les effets d’une intoxication à long terme de la population générale par le cadmium d’origine alimentaire ont été décrits pour la première fois au Japon, dans la Préfecture de Toyama, dans les années 1950. La maladie très douloureuse, dénommée maladie Itaï-Itaï, se traduisait par des fractures osseuses dans la population adulte (au-delà de 40 ans) touchant en particulier les femmes multipares à l’équilibre phosphocalcique fragilisé par les grossesses. L’origine en était la consommation de riz contaminé par l’eau des rizières polluées par les rejets d’un site d’extraction minière en fonctionnement depuis la fin du XIXème siècle. L’ostéomalacie et l’ostéoporose étaient associées à une protéinurie et une glycosurie, signes d’une néphropathie tubulaire rénale considérée responsable de la perte de calcium (Tsuchiya, 1969).
La toxicité chronique du cadmium chez l’Homme a été très étudiée en milieu professionnel depuis les premières publications de Friberg en 1950 (EFSA, 2009a). Des études épidémiologiques au sein de la population générale non professionnellement exposée ont été conduites ultérieurement.
La toxicité du cadmium a fait l’objet de plusieurs synthèses et de nombreux articles. Leurs conclusions sont les suivantes : les effets critiques de l’exposition au cadmium touchent majoritairement la fonction rénale et le tissu osseux.
Dans son avis de novembre 2011 relatif à la révision des teneurs maximales en cadmium des denrées alimentaires destinées à l’Homme (Anses, 2011a), l’Anses recommande, afin de réduire l’exposition de la population, d’agir sur le niveau de contamination des sources environnementales, en particulier au niveau des intrants (engrais contaminés, épandage des boues de station d’épuration …) à l’origine de la contamination des sols et des aliments.
Quels aliments contiennent du cadmium ?
Les aliments qui concentrent le cadmium et ont une teneur élevée sont les crustacés et mollusques, les abats, les biscuits sucrés et salés, ainsi que les barres de céréales et le chocolat. Les aliments les plus contributeurs d’apports en cadmium varient selon les quantités consommées par la population française : le pain, les légumes, les pommes de terre ainsi que les produits qui en contiennent.
Les algues ont aussi particulièrement tendance à accumuler cet élément présent dans le milieu marin : près d’un quart des algues destinées à l’alimentation dépassent la valeur de concentration maximale recommandée.
Quels risques pour la santé ?
L’exposition orale prolongée de l’homme au Cadmium induit des néphropathies, des maladies osseuses, des troubles de la reproduction et un risque accru de cancer pour plusieurs organes (poumon, prostate, reins et pancréas). Santé Publique France (SPF) alertait en 2021 : « le cadmium est suspecté de jouer un rôle dans l’accroissement majeur et extrêmement préoccupant de l’incidence du cancer du pancréas ». Le cancer du pancréas sera dans les années 2030-2040 la deuxième cause de mortalité par cancer, d’après la société nationale française de gastro-entérologie. La France compte d’ailleurs parmi les 10 pays ayant le plus grand nombre d’apparition de nouveaux cas.
En effet, le cadmium agit sur les mitochondries, induit un stress oxydatif, entraînant des dommages aux protéines, aux lipides et à l’ADN. Le cadmium diminue l’activité des enzymes de réparation de l’ADN, influençant la prolifération du cycle cellulaire et stimulant la cancérogenèse.
D’autres études mettent en évidence un lien entre l’exposition environnementale au cadmium et des troubles neurocognitifs. Quatre d’entre elles mettent en exergue une perte de l’ordre de 1 à 2 points de QI (quotient intellectuel) avec un doublement de l’exposition environnementale au cadmium. Celle de Ciesielski et coll. (2012) relève des difficultés d’apprentissage cohérentes avec les résultats précédents. Prises globalement, ces études épidémiologiques suggèrent l’existence de troubles neurocognitifs discrets, induit par l’exposition environnementale et/ou alimentaire au cadmium. Ces travaux sont encore en nombre insuffisant pour constituer un niveau de preuve épidémiologique fort. Mais comme l’écrivent Ciesielski et coll. (2012) : « si ces associations sont retrouvées dans d’autres populations, la toxicité neurodéveloppementale pourrait constituer un effet critique à prendre en considération dans l’évaluation future des risques sanitaires induits par le cadmium ».
Les Français, trop exposés via l’alimentation
Malheureusement, les engrais importés en France viennent d’une région du monde où la présence de Cadmium est trop importante pour les objectifs sanitaires. Les sols accumulent le cadmium qui ne peut en sortir que par les plantes.
Chez les adultes français, l’imprégnation moyenne au cadmium mesurée entre l’étude ENNS (2006-2007) et l’étude ESTEBAN (2014-2016) a augmenté de 75%. Cette surimprégnation qui touche 47% des adultes est également particulièrement inquiétante pour les enfants dont 18% dépassent déjà la concentration critique de cadmium urinaire définie par l’Anses ; notamment chez ceux qui mangent des céréales au petit déjeuner. À titre d’exemple, une étude aux Etats-Unis montrait un taux moyen d’imprégnation des moins de 18 ans plus de 4 fois inférieur à la France.
Quelles sont les recommandations de l’Anses pour réduire l’exposition au cadmium ?
De manière générale, varier son alimentation permet de limiter son exposition. Toutefois, selon l’Agence, il faut agir à la source, en particulier au niveau des matières fertilisantes en partie à l’origine de l’augmentation de la concentration en cadmium dans les sols et, in fine, de sa teneur dans les aliments. A cet effet, l’Agence avait proposé de nouvelles valeurs seuils afin d‘éviter la survenue d’effets sanitaires et de mieux protéger les consommateurs comme les travailleurs.
Voir les propositions de l’Anses sur les niveaux en cadmium dans les matières fertilisantes et supports de culture permettant de maîtriser la pollution des sols agricoles et la contamination des productions végétales.
Comment décontaminer les Français ?
Dans sa publication de 2021, l’Anses précise que, quel que soit l’engrais et le scénario utilisés, un flux inférieur à 2 g Cd/ha sur 1 an réduit à la fois l’accumulation dans les sols et le transfert de cadmium dans la chaîne alimentaire. Cela correspond à une teneur en cadmium inférieure ou égale à 20mg/kg dans les engrais minéraux phosphatés.
Les arrêtés et décrets proposés, en consultation publique jusqu’au 29 novembre, proposent bien la teneur de 2 grammes par hectare mais 60 milligrammes par kilogramme d’engrais (60mg/kg). Cette valeur de 60mg/kg a déjà été adoptée en Europe en 2019 mais la France, malgré les alertes de SPF, autorisait jusqu’ici encore 90mg/kg. Plusieurs pays européens (Finlande, Slovaquie…) ont déjà adopté pour leurs territoires des valeurs de 20mg/kg, préconisées par l’Anses.
Une question reste cependant en suspens : comment les agriculteurs vont-ils pouvoir respecter cette valeur à l’hectare sachant que, si le produit vendu respecte la limite de 60mg/kg (un logo “CE” assure de son respect potentiel), la teneur réelle, elle, n’est pas du tout mentionnée ?
On peut donc penser que la contamination des Français, déjà l’une des plus importantes au monde, (si cette valeur est maintenue) va continuer d’augmenter. « Une programmation de baisse progressive à 40mg/kg puis à 20 mg/kg a été proposée mais les textes présentés ne reprennent pas cette indispensable évolution », regrette Pierre Souvet, président de l’ASEF.
On notera que l’alimentation biologique, qui n’utilise pas ces engrais chimiques, contient en moyenne moins de 48% de cadmium d’après l’étude Baranski (2014). Acheter ces engrais dans des pays où les gisements sont moins contaminés ou décontaminer localement la production, peut faire monter les prix. Une aide aux agriculteurs pour qu’ils n’aient pas à supporter ce surcoût éventuel permettrait de limiter ce risque sanitaire.
Sans surprise, Santé Publique France définit l’exposition environnementale au cadmium comme “un problème de santé publique en France”.
Fondée en 2008, l’Association Santé Environnement France (ASEF), composée exclusivement de professionnels de santé, a pour objectif d’informer sur l’impact des polluants sur la santé, et surtout de donner des conseils pour les éviter. L’ASEF est reconnue d’intérêt général et agréée 1% for the Planet. L’association travaille sur tous les sujets en lien avec la santé et l’environnement (qualité de l’air extérieur et intérieur, alimentation, biodiversité…). Dans cette démarche d’information, elle réalise des enquêtes, organise des conférences, publie des petits guides santé accessibles au public, téléchargeables gratuitement et forme les professionnels de santé.
L’ASEF soutient la démarche internationale « One Health », « une seule santé » , portée notamment par l’OMS et les Nations Unies qui est la reconnaissance formelle de l’interdépendance de la santé des êtres humains, des animaux sauvages et domestiqués, des végétaux et de la préservation des écosystèmes, de la biodiversité et du climat.