En Angleterre, en Italie, mais aussi en France, un afflux inhabituel d’enfants admis en réanimation pour des inflammations sévères du tissu cardiaque et des artères coronaires a conduit les pédiatres à lancer une alerte. Les médecins sont surpris par cet afflux anormal de jeunes patients dont une partie est testée positive au Covid-19. Le ministre de la santé Olivier Véran s’est déclaré inquiet mais vigilant face à cette situation, alors que les écoles devraient rouvrir dans quelques jours.
La première alerte urgente a été lancée ce 27 avril par des médecins britanniques s’inquiétant d’une « réaction rare mais dangereuse chez les enfants, qui pourrait être liée à une infection par un coronavirus ». Le directeur médical du NHS, le système de santé anglais, Stephen Powis, a déclaré avoir eu connaissance de rapports faisant état de maladies rares et graves chez les enfants. « Ce n’est que ces derniers jours que nous avons vu ces rapports. Nous avons demandé à nos experts d’examiner la situation de toute urgence » a-t-il déclaré à la BBC.
Au même moment, un afflux inhabituel de jeunes patients a conduit les chefs de services de réanimation pédiatrique français à s’interroger. Puis à échanger. Trois grands services parisiens ont recensé au moins une quinzaine de cas de myocardites, c’est-à-dire d’inflammation du tissu musculaire du cœur, qui conduisent à des défaillances cardiaques, chez des jeunes patients. « À l’hôpital Trousseau, nous en avons constaté trois en dix jours, contre deux ou trois par an habituellement », détaille à BFM le Professeur Pierre-Louis Léger, chef de service de la réanimation pédiatrique de l’hôpital Trousseau (AP-HP). « A Necker, c’est plus d’une dizaine et à l’hôpital Robert Debré, trois ou quatre », poursuit-il. « Autant dire un bilan totalement anormal en cette période ».
Outre les médecins britanniques et français, leurs homologues italiens ont aussi observé des syndromes similaires à Bergame, haut lieu de l’épidémie dans la péninsule. Des constatations rejointes par des pédiatres espagnols et suisses.
Alerte sanitaire
Cette situation a conduit les cinq services de réanimation pédiatrique d’Ile-de-France à lancer une alerte aux autorités sanitaires, lundi 27 avril. Puis des sociétés savantes, dont la Société française de pédiatrie, la Société francophone de rhumatologie et de médecine interne pédiatrique, ont adressé mercredi 29 avril une alerte aux professionnels de santé.
Le Centre maladies rares des malformations cardiaques congénitales recense au moins 25 cas en trois semaines dans les réanimations parisiennes, « dont neuf rien qu’à Necker sur les deux derniers jours ». Le Centre évoque « un nombre croissant d’enfants de tous âges (…) hospitalisés dans un contexte d’inflammation multi-systémique associant fréquemment une défaillance circulatoire avec des éléments en faveur d’une myocardite ».
Selon le professeur Léger interrogé par les journalistes de BFM, les huit premiers patients ont entre 8 et 15 ans. Ceux du professeur Dauger, moins de 10 ans. La plupart n’a pas de comorbidité, c’est-à-dire de maladie préexistante. Souvent, les jeunes malades ont présenté des signes digestifs, de la fièvre, puis un état de choc respiratoire. « Cela ressemble à des myocardites virales ou à la maladie de Kawasaki, une maladie inflammatoire, sans en être une car cette maladie est fréquente chez des enfants plus jeunes (moins de 5 ans généralement) et que le tableau n’est pas typique ; c’est-à-dire que tous les symptômes ne collent pas », analyse le professeur Léger.
Toujours selon ce médecin, la majorité des enfants ont été testés positifs au Covid-19, soit par test diagnostic, soit par test sérologique. C’est-à-dire qu’ils ont des anticorps montrant qu’ils ont été infectés antérieurement, souvent sans symptômes.
Afflux incompréhensible
Les médecins ne comprennent pas cet afflux de jeunes patients à Paris alors que l’épidémie de coronavirus est, dans cette région, en voie de décrue. Ils soupçonnent un effet retard de la contamination. Les enfants auraient été contaminés et auraient développé des syndromes inflammatoires à bas bruit, passés inaperçus, qui se seraient aggravé a posteriori. La surprise est d’autant plus forte que, jusqu’à présent, l’épidémie semble avoir épargné les enfants. En effet, selon le dernier bulletin épidémiologique de Santé publique France, les moins de 14 ans représentent moins de 1% des hospitalisations pour Covid-19. Au 21 avril, sur les 5405 patients admis en réanimation, 26 avaient moins de 14 ans.
Les enfants admis ces derniers jours dans les services d’urgence souffrent de douleurs abdominales, de diarrhées et vomissements, puis de fièvre ; les médecins découvrent ensuite une inflammation cardiaque ainsi qu’un syndrome respiratoire important. Par ailleurs, tous les enfants récemment admis dans les hôpitaux ne sont pas positifs au Covid-19 selon les tests PCR. A Trousseau, les médecins ont soigné une enfant qui n‘était pas positive par test PCR mais qui présentait tous les signes du Covid-19 au scanner.
Les scientifiques, comme le professeur Dauger, chef du service de réanimation pédiatrique de l’hôpital Robert-Debré, pensent qu’il doit y avoir une corrélation avec le Covid-19 mais on ne connaît pas encore la relation directe ni le mécanisme physiologique. Il confie ses doutes au journal Le Monde : « On reste avec des points d’interrogation. Est-ce une atteinte directe du virus ? ou des réactions post-infectieuses, des anomalies de la réponse immunitaire ? Ce n’est pas documenté pour l’instant. »
Alors que le premier ministre a annoncé ce 28 avril l’ouverture des écoles pour les petits dès le 11 mai, le ministre de la santé se veut rassurant face à ces nouvelles. « Je prends ça très très au sérieux. Nous n’avons absolument pas d’explication médicale à ce stade. » Il n’en demeure pas moins qu’il reste sur l’idée que les enfants sont peu touchés par le Covid-19 et ne compte pas, à ce jour, remettre en cause la réouverture des écoles.
Il est vrai que les médecins se veulent rassurants. Le professeur Léger précise ainsi que « L’évolution des malades traités est plutôt favorable, même s’il nécessite un séjour en réanimation, et des médicaments pour soutenir le cœur ». Il ajoute une note positive : « Pour les trois patients de mon service à Trousseau, tous ont récupéré ». « Il faut rassurer les parents, cela reste des cas rares qui ne remettent pas en cause le fait que les enfants sont moins sujets à des formes graves, et sont sans doute moins porteurs, moins vecteurs que les adultes » », abonde le professeur Dauger de l’hôpital Robert Debré.