Alors que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) vient de décréter « une urgence de santé publique de portée mondiale », l’épidémie du Zika s’accélère. Face à ce virus émergent transmis par les moustiques, les laboratoires pharmaceutiques se lancent dans une course à la recherche d’un vaccin. Sanofi annonce aujourd’hui s’engager à répondre à l’appel mondial pour le développement d’un vaccin contre ce virus Zika. Transmis par les moustiques, ce virus est le symptôme de la globalisation et de la généralisation des échanges. Ces changements exercent une énorme pression sélective sur les virus et peuvent engendrer l’apparition de nouveaux variants doués d’une capacité de transmission accrue et responsables de nouvelles pathologies. C’est ce que nous explique l’entomologiste, Christophe Paupy.
L’Amérique latine est, depuis février 2015, confrontée à une vague épidémique du virus Zika (ZIKV) jusqu’alors inconnu sur ce continent. Le ZIKV est un arbovirus transmis par des moustiques du genre Aedes, tout comme les virus de la dengue et du chikungunya.
De quoi parle-t-on précisément ? Les arbovirus (ARthropod-BOrne VIRUS) sont des virus transmis par des arthropodes hématophages (moustiques, phlébotomes, tiques…). Ils appartiennent à plusieurs familles. Les plus importantes concernant la santé humaine sont celles des Flaviviridae (zika, dengue, west-nile, encéphalite japonaise, encéphalite à tiques), Togaviridae (chikungunya, mayaro, o’nyong nyong, ross-river) et Bunyaviridae (fièvre de la vallée du Rift, fièvre de Crimée-Congo). Quasiment tous les arbovirus sont des virus à ARN, dont la plasticité et les forts taux de mutation permettent une meilleure adaptation à des hôtes tour à tour vertébrés et invertébrés. Les arbovirus infectent naturellement des animaux sauvages (mammifères, oiseaux…) et certains sont capables d’être transférés à l’homme et de causer des maladies.
Emergence en Amérique Latine
Le virus Zika a émergé au Brésil, affectant pour l’heure un nombre de personnes estimé entre 440 000 et 1 300 000. Il entame désormais une progression continentale en Amérique du Sud et Centrale et dans l’arc Caribéen. Les territoires français d’Amérique ne sont donc pas épargnés, les premiers cas ont été enregistrés en Guyane française, Guadeloupe, Saint-Martin et en Martinique.
Cette vague épidémique américaine fait suite à celle enregistrée en différents points de l’Océanie en 2013-2014. La Polynésie française avait alors payé le plus lourd tribut avec l’infection probable de plus de 30 000 personnes. Antérieurement à ces deux grands épisodes de circulation, le virus demeurait globalement discret en raison de sa distribution géographique « limitée » à l’Afrique et à l’Asie et de sa faible pathogénéicité pour l’homme.
Son statut d’arbovirus bénin a néanmoins évolué avec d’une part, la survenue de syndromes de Guillain-Barré en Polynésie Française, et avec d’autre part, l’augmentation dramatique (d’un facteur 20) du nombre de nouveau-nés présentant des microcéphalies au Brésil. La communauté médicale demeure démunie face au phénomène car il n’existe ni vaccin, ni traitement spécifique contre le virus, et l’essentiel de la réponse repose sur une prise en charge des symptômes, sur le contrôle des moustiques vecteurs et sur la protection contre leurs piqûres.
Cycle forestier
Durant la première moitié du 20e siècle, en plein essor de l’arbovirologie, de nombreuses équipes de recherche visaient à comprendre l’épidémiologie de virus maintenus dans la faune sauvage, et en particulier celle de la funeste fièvre jaune. On plaçait alors en forêt des singes sentinelles afin de voir s’ils pouvaient acquérir ou non des virus selvatiques (c’est-à-dire circulant naturellement au sein de cycles impliquant des animaux sauvages et des moustiques forestiers, le mot selvatique venant du mot latin “selva”, “forêt”).
Ce fut le cas du ZIKV, isolé pour la première fois en 1947 d’un singe macaque placé dans la forêt de Zika près de la ville d’Entebbe en Ouganda. Plus tard le virus sera isolé de moustiques forestiers dans cette même forêt, et de l’organisme d’un homme en 1954 au Nigéria. La circulation du virus sur le continent sera ensuite rapidement confirmée dans d’autres pays d’Afrique, puis en Asie sans pour autant qu’il soit considéré comme un problème majeur de santé publique en l’absence de formes graves documentées et en raison de la fréquence de formes inapparentes (tellement discrètes, sans symptômes, qu’elles passent inaperçues de la personne atteinte).
Les études génétiques indiquent qu’il existe deux lignées du virus, l’une africaine, l’autre asiatique résultant d’une introduction secondaire depuis l’Afrique à une date difficile à estimer, mais qui aurait pu intervenir dès la fin du 19e siècle où il aurait circulé de manière silencieuse.
Ainsi et jusqu’en 2006, moins de 40 cas humains de ZIKV étaient décrits dans la littérature et il faudra attendre 60 ans après son isolement, pour que le virus revienne sur le devant de la scène en 2007 avec un nouveau territoire touché dans le Pacifique dans l’île de Yap (États fédérés de Micronésie).
L’épisode de Yap constitue un fait marquant car il donne lieu, outre l’évasion du virus en dehors de la zone Afrique-Asie, à la première documentation d’une épidémie de ZIKV, à la mise en évidence de sa réalité clinique et surtout de son potentiel épidémique. Les épidémies actuelles ou récentes permettent de le vérifier avec en outre, la description de graves complications.
Globalisation
Pour l’heure on explique mal les facteurs responsables du changement brutal de l’épidémiologie du ZIKV. Néanmoins on peut incriminer l’accélération de la globalisation de l’économie observée au cours des dernières décennies. Notamment, le changement d’échelle opéré dans le secteur des transports de biens et de personnes. L’augmentation du trafic aérien se traduit non seulement par l’augmentation du nombre de voyageurs porteurs du virus, mais également par la création de nouvelles connexions, offrant ainsi des opportunités quasi illimitées pour la dissémination rapide de virus (qui pourront être transmis à d’autres personnes au point d’arrivée si les porteurs de virus sont piqués par des moustiques compétents) y compris dans des lieux extrêmement isolés.
Par ailleurs le transport de marchandises aide à la diffusion des moustiques vecteurs, et à l’homogénéisation de leurs distributions géographiques comme c’est le cas pour Aedes albopictus, le moustique tigre présent aujourd’hui sur tous les continents en régions tropicales et tempérées, mais aussi pour son cousin Aedes aegypti présent dans toute la zone intertropicale.
Pour résumer, de nombreux territoires sont, du fait de la présence de l’une ou l’autre de ces espèces de moustiques, à risque en cas d’introduction du virus ZIKV. Il est tentant de faire le parallèle avec le virus Chikungunya, lui aussi découvert en Afrique, lui aussi transmis par des Aedes, qui a lui aussi connu une période de latence de plusieurs décennies en Afrique et en Asie, et qui a lui aussi finalement émergé durant la dernière décennie causant des épidémies explosives en différents points du globe et donnant lieu à la description de formes graves de la maladie.
Dans le grand village planétaire, les virus doivent sans cesse s’adapter aux conditions locales, notamment à la variabilité des hôtes humains ou des vecteurs. Ces changements intempestifs exercent une énorme pression sélective sur les virus et peuvent engendrer l’apparition de nouveaux variants doués d’une capacité de transmission accrue et responsables de nouvelles pathologies.
Les émergences de virus transmis par moustiques sont de plus en plus fréquentes (virus west-nile, fièvre de la vallée du rift, dengue, chikungunya, zika…) et de nouvelles sont attendues dans les prochaines années. Les zones tropicales et en particulier les forêts regorgent de nombreux virus qui pourraient quitter leurs niches forestières pour être transférés d’hôtes animaux réservoirs vers de nouveaux hôtes dont l’homme, puis diffusés à des échelles locales ou planétaires.
chensiyuan/Wikipédia
Ce risque est particulièrement grand dans les interfaces entre les environnements naturels et anthropisés. L’empreinte croissante de l’homme sur ces milieux rend l’hypothèse encore plus plausible. En Afrique Centrale par exemple, le moustique tigre est désormais présent en forêt où il pique l’homme et les animaux sauvages. On conçoit donc très bien qu’il pourrait faciliter des transferts de nouveaux virus vers l’homme. Plus que jamais il est crucial d’accentuer les efforts de recherche dans de telles interfaces, afin de comprendre les modalités et les risques d’émergences d’arbovirus zoonotiques, et de prévenir précocement leur diffusion. Les arbovirus engagent avec nous une grande partie d’échecs : Ils ont pour eux la patience, nous la capacité d’anticipation.
Christophe Paupy, Entomologiste médical, Institut de recherche pour le développement (IRD)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.