Le secteur agricole est aujourd’hui confronté à un épineux paradoxe : maintenir, voire accroître, ses niveaux de production tout en réduisant l’impact de ses activités sur l’environnement. La robotique serait une solution.
À ce paradoxe s’ajoutent les contraintes économiques qui pèsent sur les exploitants et la pénibilité d’un métier exigeant, exposant l’agriculteur à plusieurs types de risque : accidents du travail, pathologies professionnelles et exposition à des produits potentiellement dangereux, à l’image des pesticides. On recense, par exemple, pour les seuls accidents liés au renversement de machines agricoles, entre 20 et 30 décès par an.
Depuis les années 1950, la modernisation de l’agriculture a permis de doubler les niveaux de production en réduisant la pénibilité. Ceci s’est accompagné d’utilisation de machines de grandes tailles et de produits potentiellement nuisibles. La contrainte environnementale de plus en plus prégnante a également favorisé le développement de nouvelles modalités de production, comme l’agriculture biologique ou l’agriculture de précision. Ces dernières nécessitent une main-d’œuvre accrue, pour réaliser par exemple un désherbage mécanique (sans herbicides) ou effectuer des traitements très localisés.
Surtout des dispositifs d’assistance
Dans ce contexte, la robotique peut apporter des solutions, en permettant d’effectuer avec précision des tâches répétitives et d’intervenir dans des zones difficiles (dans les vignobles en forte pente, par exemple) sans exposer les individus.
Les économistes perçoivent d’ailleurs cet intérêt et placent l’agriculture comme le second marché pour la robotique de service à l’horizon 2025.
Sans aller jusqu’à la commercialisation de solutions robotiques complètes, les constructeurs historiques proposent, depuis une dizaine d’années, des dispositifs d’assistance à la conduite comprenant notamment des systèmes de guidage automatique, lors des phases de travail en plein champ. À l’instar des véhicules autonomes, ces dispositifs requièrent la présence d’un conducteur ; ils ne constituent donc pas des robots à proprement parlé.
De fait, la présence de robots commerciaux dans un cadre agricole concerne pour l’essentiel des systèmes intervenant dans le périmètre de l’exploitation, comme les robots d’affouragement ou de traite, démocratisés depuis plusieurs années. On estime aujourd’hui que la moitié des exploitations laitières qui voient le jour sont équipées de telles machines. En 2015, 3 316 exploitations, sur les 514 800 que compte la France, en disposaient.
Si les robots sont performants dans les bâtiments – où ils évoluent dans un environnement connu et des conditions répétables –, à l’extérieur, la diversité des sols et des travaux à réaliser (semis, désherbage, récolte, etc.) rend la robotisation plus compliquée. Par conséquent, les solutions commerciales complètement autonomes restent cantonnées à des actions limitées, comme le désherbage en maraîchage ou l’assistance à l’opérateur, notamment dans les vignes.
L’avènement du tracteur autonome demeure pour le moment à l’état de prototype, à l’image du tracteur sans chauffeur Magnum mis au point par l’entreprise américaine Case IH et présenté ces jours-ci au Salon international du machinisme agricole.
À la recherche de la modularité
L’avènement de la robotique en agriculture nécessite, on le voit, encore des développements scientifiques et technologiques pour pouvoir s’adapter à différentes situations et accomplir divers types de travaux agricoles. Face à cette diversité, les robots doivent pouvoir adapter leurs comportements, voire leur configuration (hauteur, voie, etc..), en temps réel ; c’est ce qu’étudie notamment le projet Adap2E.
Ils permettront alors de remplir différentes missions, avec un niveau d’autonomie réellement utile pour l’agriculteur. Les projets PumAgri et Ted, en cours de développement, visent ainsi à accroître la modularité – c’est-à-dire les capacités d’adaptation – des robots agricoles pour différentes cultures et opérations.
Cette modularité ne se conçoit pas que pour une seule machine, mais également pour une flotte de robots, capables de coopérer entre eux afin d’étendre les capacités de production en tentant de limiter l’impact environnemental. Les projets européens Mars et Flourish développent de tels concepts à l’aide de machines de petite taille. Le projet Safeplatoon a également montré la capacité de contrôler plusieurs robots en coordination à l’aide d’une machine conduite manuellement.
La place des robots dans le système agricole
De telles avancées permettent d’entrevoir de nouvelles possibilités pour l’agriculture : conjuguer production et respect de l’environnement, tout en réduisant la pénibilité des travaux agricoles. Car elles ont surtout vocation à améliorer les conditions de travail en secondant les agriculteurs. Pour être pleinement efficaces et utiles, ces innovations doivent donc se faire en lien l’ensemble des acteurs de la filière.
Elles s’accompagnent également d’une réflexion plus globale sur l’organisation des exploitations et du travail agricole. Des initiatives, comme la plateforme RobAgri, témoignent de ce souci de faire en sorte que les robots contribuent socialement, économiquement et écologiquement à l’amélioration de cette activité exigeante qu’est l’agriculture.
Roland Lenain, Directeur de recherche, équipe « Robotique et mobilité pour l’environnement et l’agriculture », Irstea
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.