Un groupe d’économistes, d’écologistes et d’anthropologues milite pour remettre en question un axe central de la politique économique mondiale – à savoir le « toujours plus ». Le mouvement de « décroissance » a joui d’un regain d’attention depuis le début de la pandémie de coronavirus, moment où le monde a connu le pire ralentissement économique depuis la Grande Dépression des années 1930. Aujourd’hui, et alors que les décideurs politiques donnent la priorité à la relance économique, ces universitaires interrogés par Sam Meredith, de CNBC, la chaine de télévision américaine spécialisée dans l’information financière, défendent l’idée que le bien-être social et écologique doit être prioritaire, à rebours d’une course effrénée à la croissance à tout prix.
La décroissance obligerait les sociétés à abandonner l’idée que le pourcentage de variation du produit intérieur brut est un indicateur de progrès fiable, et à apprendre à vivre mieux tout en produisant moins.
Giorgos Kallis, économiste écologique et figure éminente de la décroissance, explique que ce mouvement « est une critique de l’idée selon laquelle la croissance économique est une chose positive et nécessaire. Nous sommes au contraire convaincus qu’elle fait partie de notre crise et de nos problèmes actuels ». Le mouvement de décroissance, tient-il à souligner, ne prône pas une réduction des revenus individuels, ajoutant que les pays à revenu élevé ont déjà plus qu’assez de ressources pour assurer une bonne vie à tous.
Ceux qui rejettent la décroissance ne prennent pas en compte une réalité, dit-il. C’est que la croissance économique n’est tout simplement pas viable en tant que mécanisme de prospérité future. En fait, elle est le moteur d’un futur cataclysme.
« Notre société est enfermée dans l’idéologie de la croissance au point qu’il devient presque impossible à quiconque de la remettre en question. Le productivisme possède une sorte de caractère totalitaire, au point d’exclure la pensée critique », affirme Jason Hickel, anthropologue économique et maître de conférences à Goldsmiths, Université de Londres. « Il est au contraire nécessaire d’avoir un débat ouvert et démocratique sur le sujet » propose-t-il.
Que souhaitent les objecteurs de croissance ?
L’idée est de recadrer les objectifs de l’humanité pour faire face à l’urgence climatique en réduisant considérablement l’utilisation globale de l’énergie et des ressources de façon à rétablir l’équilibre avec le vivant. Dans le même temps, les objecteurs de croissance cherchent à réduire les inégalités et à améliorer le bien-être, par des mesures telles que la garantie de l’emploi, la réduction du temps de travail et éventuellement un revenu de base universel.
En pratique, il est probable que cela se traduise par un ralentissement de la croissance du PIB ou peut-être même par une réduction du PIB. Mais les partisans de la décroissance affirment que cela ne devrait pas être une source d’inquiétude car le PIB n’a rien à voir avec le progrès.
Ils s’empressent de souligner que l’idée est fondamentalement différente d’une récession puisque la décroissance est une réduction planifiée de l’utilisation de l’énergie et des ressources. Une récession, au contraire, est un événement non planifié qui a pour conséquence d’exacerber les inégalités et de réduire le bien-être.
« En fin de compte, c’est l’idée fondamentale de la décroissance. À l’heure actuelle, nous partons du principe que chaque secteur de l’économie doit croître en permanence, que nous en ayons besoin ou non. Une approche plus rationnelle consisterait à réfléchir aux secteurs que nous devons réellement faire croître, comme les transports publics et les énergies renouvelables, et aux secteurs qui sont clairement trop importants et qui devraient être réduits : comme la production de SUV, les voitures particulières, l’industrie de l’armement, la publicité, etc. »
Jason Hickel poursuit : « D’énormes pans de notre économie n’ont aucun rapport avec le bien-être de l’homme. Nous devons nous demander : voulons-nous vraiment poursuivre une croissance globale si elle doit mettre notre planète – et notre civilisation – en si grand danger ? Nous devons être plus intelligents que cela ».
L’urgence climatique devrait être le moteur d’une autre croissance
Les partisans de la décroissance soutiennent que le système économique actuel sacrifie à la fois les personnes et l’environnement à un moment où tout, des événements climatiques extrêmes à l’élévation du niveau des mers, est de portée mondiale et d’une nature sans précédent. « Nous avons un système qui non seulement n’apporte pas de bénéfices sociaux, mais qui accélère aussi les catastrophes planétaires », s’insurge Julia Steinberger, économiste écologique et professeur de l’Université de Lausanne.
L’universitaire, qui est également l’un des principaux auteurs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations Unies, poursuit : « Nous parlons d’une catastrophe planétaire qui est vraiment cataclysmique dans ses dimensions. Sur notre trajectoire actuelle, nous parlons d’un changement climatique mettant en danger environ la moitié de toutes les plantes et de toutes les espèces d’insectes, ainsi qu’un quart des espèces de vertébrés, d’ici un siècle ».
« Ce que les gens qui rejettent la décroissance ne prennent pas en compte, c’est que la croissance économique n’est tout simplement pas viable en tant que mécanisme de prospérité future. En fait, elle est le facteur direct d’un futur cataclysme ».
Quels arguments contre la décroissance ?
Dans un webinaire tenu ce 8 février, intitulé « Going for Growth« , John Van Reenan, professeur d’économie à la London School of Economics, a cherché à défendre la croissance économique contre les critiques selon lesquelles elle est inévitablement néfaste pour l’environnement. Selon lui, il y a trois raisons pour lesquelles la croissance est en mesure de répondre efficacement à l’urgence climatique. Il évoque l’importance de l’innovation verte, des mesures de croissance plus appropriées qui tiennent compte de l’épuisement du capital naturel et fait valoir qu’une bonne croissance de la productivité serait plus susceptible de coïncider avec une volonté politique de mettre en place des politiques climatiques.
« Pour toutes ces raisons, je ne pense pas qu’il y ait un lien nécessaire entre la croissance et la dégradation de l’environnement. En fait, je pense que la croissance, bien pensée et bien utilisée, peut concrètement nous aider à faire face aux problèmes que nous rencontrons avec le changement climatique », fait valoir M. Van Reenan. Il concède toutefois que pour certaines personnes, le choix de consommer moins puisse les rendre plus heureux. « Mais, imposer la décroissance à la société dans son ensemble va être difficile. Les gens n’ont pas envie d’entendre qu’ils vont devoir se faire à l’idée de vivre moins bien que leurs parents. Et je ne crois pas que ce soit nécessaire ; nous n’avons pas à nous résigner à cela : comme je l’ai argumenté, nous pouvons choisir de meilleures façons de soutenir la croissance. »
Les partisans de la décroissance objectent que cette critique ne tient pas. Ils arguent que nombreux sont ceux, partout dans le monde, qui sont déjà sur une trajectoire d’accumulation de richesse bien inférieure à celle de leurs parents et grands-parents – et ce, alors même qu’ils vivent dans une économie orientée vers la croissance.
Le mouvement de la décroissance gagne du terrain
Le mouvement de décroissance a connu quelques avancées ces dernières années. Les chefs de gouvernement d’Islande, d’Écosse et de Nouvelle-Zélande se sont tous engagés publiquement à donner à l’avenir la priorité au bien-être de leur population, plutôt que de se focaliser uniquement sur la croissance économique.
« Vous savez, il y a 20 ans, si quelqu’un avait fait quelque chose comme cela, les gens lui auraient ri au nez », souligne Jason Hickel. « Mais les choses ont changé. Chaque fois qu’un gouvernement annonce un changement vers l’économie post-croissance, cela devient immédiatement viral dans les médias sociaux. Les gens sont clairement désireux d’adopter un autre type d’approche et sont mûrs pour mettre en œuvre des solutions alternatives ».
Source : CNBC
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