Nous savons que la crise climatique a déjà un effet profond sur les systèmes météorologiques mondiaux, modifiant les températures, les précipitations, la configuration des vents et bien d’autres choses encore – et une nouvelle étude prédit des déluges probables sur les régions montagneuses de l’Asie de l’Est, d’Amérique et d’Europe à l’avenir. Selon les scientifiques, les pluies diluviennes seront provoquées par les rivières atmosphériques. Ces étroits couloirs d’humidité concentrée peuvent rapidement provoquer des inondations lorsqu’ils rencontrent une barrière telle qu’une chaîne de montagnes, libérant de grandes quantités d’eau en un court laps de temps.
Les rivières atmosphériques sont d’étroits couloirs d’humidité concentrée en suspension dans l’atmosphère, qui peuvent contenir jusqu’à 15 fois plus d’eau que la quantité qui s’écoule dans un fleuve géant comme le Mississippi, par exemple. Si vous n’êtes pas familier avec les rivières atmosphériques, ou si vous vous demandez s’il ne s’agit pas d’un nom fantaisiste pour « pluie », sachez qu’il s’agit en fait d’un mouvement unique d’humidité dans l’atmosphère terrestre, responsable de la majeure partie du transport horizontal de la vapeur d’eau en dehors des tropiques.
Responsables des plus grandes inondations et phénomènes météorologiques extrêmes
Ces panaches d’humidité en suspension, qui peuvent s’étendre sur 400 à 600 km de large, ont été associés aux plus grandes inondations et phénomènes météorologiques extrêmes que l’on ait connu dans le monde ces dernières années. Des scientifiques dirigés par Duane Waliser, spécialiste de l’atmosphère au Jet Propulsion Laboratory de la NASA, ont découvert que les rivières atmosphériques massives sont responsables de 75 % de tous les phénomènes extrêmes de vent et de pluie sur les côtes du monde, et de la moitié des plus fortes rafales de vent enregistrées depuis près de deux décennies.
Et ce qui est peut-être encore plus inquiétant, c’est que les vents associés aux rivières atmosphériques sont deux fois plus rapides qu’une tempête moyenne, assez forts pour faire tomber même des séquoias californiens vieux de 1 000 ans, comptant parmi les plus grands du monde. « Non seulement les [rivières atmosphériques] présentent un risque d’inondation », prévient le professeur Waliser, « mais elles présentent également un risque de vents violents et de conditions extrêmes qui peuvent être dangereuses. »
Un phénomène amplifié par le réchauffement climatique
Bien que les rivières atmosphériques soient des phénomènes naturels, on s’attend à ce que le changement climatique intensifie les événements de précipitations sévères causés par ces « rivières dans le ciel » à l’avenir, en raison de l’augmentation des taux d’évaporation et de la plus grande capacité de rétention d’eau atmosphérique.
Selon les modèles des chercheurs, les précipitations en Asie de l’Est seront plus fréquentes et plus importantes dans les décennies à venir, à mesure que la planète se réchauffe. Davantage d’eau sera transportée dans l’air et davantage de précipitations tomberont sur le sol. « Nous constatons que tant le transport de vapeur d’eau lié aux rivières atmosphériques que les précipitations s’intensifient sur les pentes sud et ouest des montagnes de l’Asie de l’Est dans un climat plus chaud », écrivent les chercheurs dans leur article qui vient d’être publié dans la revue Geophysical Research Letters. « Les rivières atmosphériques apporteront des précipitations extrêmes sans précédent sur l’Asie de l’Est dans le cadre du réchauffement climatique » écrivent-ils.
De manière générale, les rivières atmosphériques captent l’humidité des zones plus chaudes et la déposent sur les régions plus froides. Leurs mouvements sont contrôlés par les changements de vent et de température – exactement le genre de changements que le bouleversement climatique peut provoquer. Dans des régions telles que le Japon, Taïwan, le nord-est de la Chine et la péninsule coréenne, les précipitations pourraient atteindre des niveaux record, selon l’étude. La plupart des pluies se déposeront sur le versant sud-ouest des Alpes japonaises.
Pour parvenir à leurs conclusions, les scientifiques ont effectué des simulations basées sur des données météorologiques recueillies de 1951 à 2010, en modélisant ces données jusqu’à l’année 2090 et en supposant une augmentation de la température conforme aux scénarios les plus extrêmes du changement climatique. « Nous avons utilisé des simulations de modèles de circulation atmosphérique mondiaux à haute résolution ainsi que des simulations de réduction d’échelle de modèles climatiques régionaux », explique le spécialiste de l’environnement Yoichi Kamae, de l’université de Tsukuba au Japon.
De nombreuses recherches ont déjà été menées sur ces rivières atmosphériques, mais on ne sait pas encore très bien comment ces bandes d’humidité évolueront en fonction du climat – d’autant que leur comportement est déterminé par des caractéristiques topologiques ainsi que par les mouvements d’air plus chaud et plus froid.
Pour certaines régions, l’augmentation des précipitations sera un avantage ; pour d’autres, des conditions météorologiques extrêmes pourraient provoquer des inondations dangereuses, voire mortelles. Il ne s’agit là que du dernier lien entre le changement climatique et la fréquence croissante des phénomènes météorologiques extrêmes.
Les chercheurs affirment que la modélisation pourrait également s’appliquer à d’autres zones où des rivières atmosphériques pourraient se développer. Bien que de nombreuses incertitudes subsistent, il semble probable, d’après cette étude et d’autres, que certaines parties du globe vont connaître des précipitations beaucoup plus importantes au cours des prochaines décennies. « Nos conclusions s’appliquent probablement aussi à d’autres régions des latitudes moyennes où les interactions entre les rivières atmosphériques et les montagnes abruptes jouent un rôle majeur dans les précipitations, comme dans l’ouest de l’Amérique du Nord et en Europe », explique le professeur Kamae. « Ces régions pourraient également connaître des événements de précipitations extrêmes plus fréquents et plus intenses à mesure que le climat se réchauffe. »
Publié la première fois dans UP’ Magazine le 24/01/2022