Le MAC VAL (Musée d’art contemporain du Val-de-Marne) accueille, à partir du 21 octobre prochain, Matthieu Laurette pour une grande rétrospective, revenant sur 30 années de son parcours artistique. Cette exposition est l’occasion de rejouer des conversations qui ont eu lieu lors d’expositions collectives passées, de reconstituer des morceaux d’expositions auxquelles il a participé à la manière d’une period-room, où le principe rétrospectif serait joué réellement, dans toute sa dimension et où fusionnerait passé et présent. Une mise en question du rôle et de la place de l’art et de l’artiste à l’heure du spectacle généralisé et mondialisé.
Le MAC VAL accueille Matthieu Laurette pour une exposition rétrospective qui présente 30 années de production artistique et inclut un ensemble de nouvelles œuvres et interventions.
Artiste protéiforme, Matthieu Laurette utilise les médias de masse et l’industrie du divertissement comme lieu et outil de production décalant ainsi l’idée même d’atelier : le réel est son atelier. Véritablement multimédia, ses œuvres balaient un vaste spectre de mises en formes : de l’intervention télévisée à l’installation en passant par les récents développements sur Instagram, il développe de nombreuses stratégies d’infiltrations alliant art conceptuel, culture populaire, critique institutionnelle, réflexions économiques et problématiques sociétales. Dans l’ensemble, les œuvres de Matthieu Laurette utilisent des mécanismes existants (marketing, médias de masse, industries culturelles…) pour créer ses propres œuvres. Elles interrogent, entre autres, la notion même de valeur. Elles mettent en question le rôle et la place de l’art et de l’artiste à l’heure du spectacle généralisé et mondialisé.
Né en 1970 dans le Val-de-Marne, emblématique de sa génération, lauréat du prix Ricard en 2003, ses œuvres ont été exposées internationalement dans de grandes institutions (Guggenheim, Centre Pompidou, Biennale de Venise). Son travail est conservé dans de nombreuses collections publiques et privées. Artiste protéiforme, il utilise l’industrie du divertissement comme matière première et les médias (télévision, internet, presse…) comme moyens de production et de diffusion de son travail. Dès 1993, il déplace les lieux de production et d’exposition de l’art pour se confronter au réel. Se définissant comme multimédia – ses œuvres prennent différentes formes : de l’intervention télévisée à l’installation jusqu’aux récents développements sur Instagram – il développe de nombreuses stratégies d’infiltrations à l’intersection entre art conceptuel, culture populaire, critique institutionnelle, réflexions économiques et problématiques sociétales.
Première exposition monographique de Matthieu Laurette dans un musée en France, celle-ci est l’occasion de revenir sur le travail d’un artiste qui a exposé à plusieurs reprises dans les espaces de l’institution dans le cadre de projets collectifs. Cinq œuvres de sa série I AM AN ARTIST sont également présentes au sein de la collection du musée.
Retraçant une trentaine d’années de production artistique, « Matthieu Laurette : une rétrospective dérivée (1993 – 2023) » rassemble un ensemble de pièces de typologies diverses (Installation, vidéos, interventions, sculptures, photos, contrats, œuvres sur papier…) tout en élaborant plusieurs « dérives », autrement dit des manières de déjouer et détourner l’exercice codifié de l’exposition à caractère rétrospectif ; abordant la rétrospective elle-même comme un produit dérivé.
« Parmi les nombreuses discussions que Matthieu Laurette et moi avons eu, il y en a eu quelques-unes à propos de la temporalité de son travail : je lui faisais, par exemple, la remarque qu’un nombre non négligeable de ses projets avaient des bornes temporelles ouvertes (en cours /ongoing), une caractéristique propre à des pratiques conceptuelles défiant l’unité physique et temporelle de l’œuvre d’art. Cet aspect de la pratique de Matthieu m’intéressait particulièrement dans le contexte de son exposition rétrospective au MAC VAL puisqu’une rétrospective d’artiste est toujours – traditionnellement – un exercice d’arrêt sur image. Il permet d’appuyer sur pause pour mieux regarder “ dans le rétro ”. La question qui se posait était donc la suivante : comment faire PAUSE sur la pratique de Matthieu Laurette, un travail qui ne s’arrête pas ? Un travail qui ne s’est jamais arrêté – ou, autrement formulé : comment composer une rétrospective qui rende palpable l’idée d’une pratique en train de se faire, d’une pratique qui fuirait une temporalité fixe ? Matthieu le savait déjà, ou du moins il en avait eu, très vite, l’intuition : il allait falloir dévier. » —
Extrait du texte de Cédric Fauq, catalogue de l’exposition
Le 16 mars 1993, TF1 diffuse à midi son émission quotidienne « Tournez manège ! » qui permet à des hommes et des femmes de se rencontrer sans – initialement – se voir. Parmi les candidats : Matthieu Laurette, 22 ans, étudiant à l’école des Beaux-arts de Grenoble. Évelyne Leclerc, présentatrice, lui demande ce qu’il souhaite faire plus tard. Matthieu Laurette répond d’abord « artiste » et précisera, à la suite d’une autre question, « multimédia ». En 1993, ce terme n’est pas encore associé au champ lexical de l’informatique mais désigne les artistes travaillant plusieurs mediums. L’émission ayant été enregistrée avant sa diffusion, Matthieu Laurette a le temps de confectionner des cartons d’invitations et de les envoyer pour donner rendez-vous à des connaissances ainsi qu’à des personnes du monde de l’art français (qu’il ne connaît pas), le 16 mars, à midi, sur TF1. C’est sa première exposition personnelle. Matthieu Laurette fait alors œuvre de son passage à la télévision et de sa déclaration. Environ 6 millions de spectatrices et spectateurs assistent à cette première Apparition.
« Cette exposition est l’occasion de rejouer des conversations qui ont eu lieu lors d’expositions collectives passées (notamment au MAC VAL), de reconstituer des morceaux d’expositions auxquelles il a participé. Entrer en dialogue avec le travail de Matthieu Laurette, témoigne d’affiliations revendiquées et spécule sur des affinités non-conscientes. Cette rétrospective est envisagée comme une exposition-palimpseste. “ À l’époque médiévale, un palimpseste désignait un parchemin manuscrit sur lequel on réécrivait un nouveau texte après avoir effacé l’ancien. Par analogie, l’exposition-palimpseste désigne la capacité d’une exposition à se construire à travers le temps, par couches successives et sédimentation mémorielle ”. Par extension, cela désigne la capacité d’une exposition à absorber les strates de son passé pour se réinventer. En dérivant l’exposition, nous pouvons observer les traces d’écritures antérieures, en même temps que nous relisons le travail de Matthieu Laurette à l’aune de notre regard informé de 2023 »
Extrait du texte de Julien Blanpied, catalogue de l’exposition
C’est le début d’une pratique conceptuelle qui cherchera, dans les années qui suivront, à penser l’exposition comme médium et les espaces de définition de l’art, les modes d’énonciation qui permettent de se dire artiste (entre reconnaissance par les autres et auto-proclamation), et à rendre les frontières entre mondes de l’art (de la représentation) et monde réel (de l’action) plus poreuses. Matthieu Laurette est alors déjà profondément marqué par la pensée de Guy Debord telle que développée dans La Société du Spectacle (1967). Il fera même de cet ouvrage le matériau de plusieurs œuvres. Refusant le terme de performance, il qualifiera plus tard sa pratique de Critique Institutionnelle IRL, rajoutant au nom de ce mode opératoire artistique dont les prémices sont identifiées dès la fin des années 1960 (Critique Institutionnelle) l’acronyme de l’expression « In Real Life », employée à l’origine par diverses communautés en ligne pour désigner le « monde réel » (par opposition au monde virtuel et à la fiction).
Pour rendre possible cette Critique Institutionnelle IRL, Matthieu Laurette met en place un ensemble de modes d’actions et stratégies : infiltration, appropriation, détournement, neutralisation. Il emploie tous les canaux de circulation de l’information visuelle (imprimé, télévisuel, internet, réseaux sociaux…), développant une esthétique qui se nourrit de la publicité et de la presse (comme le fait le Pop Art), pervertissant la froideur clinique et administrative associée à l’art conceptuel.
Dans les années 90, il produit un corpus d’œuvres autour des Produits Remboursés : il s’agit de retourner les opérations marketings (« Premier achat remboursé » ; « satisfaits ou remboursés » ; etc…) visant à la vente de produits de consommation en grande surface contre elles-mêmes, afin de vivre « remboursé » ou, autrement dit, gratuitement. Matthieu Laurette, sur la base de ce geste, fera le buzz (comme on dira plus tard) : il passe à la télévision, fait la couverture de magazines, publie un site internet, et part en tournée dans plusieurs villes de France avec son camion-vitrine et ses conférences « Comment manger rembourser ? » pour initier les publics à ce véritable mode de vie. À partir des Produits remboursés, son œuvre, à la fois dans ses modes de communication et son contenu, devient intrinsèquement politique.
Le travail de Matthieu Laurette se cristallise donc autour de trois problématiques : la circulation de l’image, de l’art et de l’argent. Très rapidement, il sera invité à participer à des expositions en France et à l’étranger, dans des lieux hautement reconnus tels que le Guggenheim à New York (1998) ; l’ICA à Londres (1999) ou encore lors d’évènements majeurs comme la 49e Biennale de Venise en 2001 (dont le commissaire est alors Harald Szeemann). Il sera, en 2003, lauréat du prix de la Fondation Ricard.
Ce moment de reconnaissance institutionnelle (et commerciale) l’amène à développer des œuvres qui font de la condition même de l’artiste (aussi bien géopolitique qu’économique) leur contenu : Citizenship Project (1996 – en cours) ; THINGS (Purchased with funds provided by) (2010 – en cours) et DEMANDS & SUPPLIES (2012 – en cours).
Pour revenir sur ces trente années de production artistique, « Matthieu Laurette : Une rétrospective dérivée (1993 – 2023) » a été pensée non pas comme un récit chronologique linéaire mais, comme son titre l’indique, une dérive, dans toute sa polysémie. Celle-ci est à la fois spatiale et temporelle : dans les hauteurs de l’espace de la rétrospective, des affichages publicitaires suspendues contiennent des images d’expositions de Matthieu Laurette, à la fois photos souvenirs et archives de la pratique de l’artiste, elles servent de point d’ancrage à la rétrospective, cherchant à resituer les contextes dans lesquels l’artiste a opéré et auxquels ses œuvres sont intimement liées. Aussi, quatre œuvres précédemment montrées au MAC VAL seront installées exactement à leur emplacement d’origine. Ces « remakes » seront parfois sources de conflits avec la scénographie de l’exposition précédente (conservée pour la rétrospective) voire entre différentes œuvres. Ils sont aussi l’occasion d’inviter d’autres artistes au sein de l’exposition, voisin.es passé.es des œuvres de Matthieu Laurette dans d’autres lieux.
En cela, la rétrospective n’est pas seulement conçue comme une rétrospective d’œuvres mais une rétrospective d’expositions (où les gestes de mises en rapport d’œuvres de commissaires de projets ayant inclus Matthieu Laurette sont rejoués, à des degrés différents).
En 1999, invité par Christian Bernard à exposer au MAMCO à Genève pour un projet monographique, Matthieu Laurette investit des vitrines pour montrer un ensemble d’impressions sur papier A4, installées sur présentoirs. Chaque feuille A4 représente une œuvre de l’artiste « disponible à la vente ». Déjà une forme de rétrospective, Matthieu Laurette continuera à concevoir des œuvres qui fonctionnent comme des indexes de son corpus d’œuvres, qui pensent la « disponibilité » de ses pièces, leur circulation, leur absence ainsi que leur reproduction ou transformation. L’exemple le plus récent est la pièce MATTHIEU : Une rétrospective dérivée, 1993 – 2015, une collaboration entre Matthieu Laurette et le studio de design graphique Syndicat (Sasha Léopold et François Havegeer), présentée dans l’exposition. D’autres gestes de la rétrospective dérivée, des nouvelles productions, fonctionneront également comme des rétrospectives condensées, des pièces qui contiendront, conceptuellement, tout le travail de Matthieu Laurette, pensées comme des poupées russes. Une autre (une pièce sonore), soulignera l’absence de certaines œuvres, les « pièces manquantes » de l’exposition. Enfin DRINKS BY: The beer, wine and other alcohol art archive (1999 – en cours), une œuvre de Matthieu Laurette sous forme de collection et exposition indépendante sera montrée dans l’espace du Salon du musée.
En parallèle et complément de l’exposition « Matthieu Laurette : une rétrospective dérivée (1993 – 2023) », le MAC VAL publie Matthieu Laurette : une monographie dérivée (1993 – 2023), édition bilingue de 336 pages dont le graphisme a été confié à Syndicat. Celle-ci contient un ensemble d’archives majeur documentant le travail de Matthieu Laurette, accompagné des textes de Julien Blanpied, Inès Champey, Dorothée Dupuis, Alex Farquharson, Cédric Fauq, Nicolas Surlapierre et de multiples invité.es.
L’exposition sera également le lieu de plusieurs moments de rencontres, ateliers, discussion et expérimentations à la direction de différents publics pour faire perdurer les dérives.
Biographie de Matthieu Laurette : Matthieu Laurette (né en 1970 à Villeneuve Saint Georges), est un artiste français qui travaille avec une variété de médiums comme la télévision, la vidéo, l’installation ou encore des interventions dans l’espace public. Laurette utilise des stratégies diverses pour explorer les relations entre art conceptuel, Pop Art, Critique Institutionnelle, économie et société contemporaine.
Il a étudié à l’École régionale des beaux-arts de Rennes de 1989 à 1992 puis à l’École supérieure d’art de Grenoble entre 1992 et 1995. Il a enseigné comme artiste invité et professeur dans plusieurs écoles et universités (San Francisco Art Institute, San Francisco ; Städelschule, Frankfurt ; École cantonale d’art de Lausanne, Lausanne ; Design Academy, Eindhoven ; École nationale supérieure des beaux-arts, Paris ; Universitat Internacional de Catalunya, Barcelona ; Edinburgh College of Art (en), Edinburgh ; École supérieure d’art visuel, Genève ; HISK, Gand ; de ateliers1, Amsterdam…). Il était de 2011 à 2014 professeur à l’Institut supérieur des Beaux-arts de Besançon/Franche comté et co-fondateur du Pôle de recherche « Contrat social ».
Exposition du 21 octobre 2023 au 03 mars 2024 au MAC VAL : Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, Place de la Libéraion – Vitry sur Seine (94)
(Musée ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h, sans réservation)
Accès au MAC VAL : Depuis le périphérique (sortie Porte d’Italie ou Porte d’Ivry), rejoindre la Porte de Choisy, puis prendre la D5 jusqu’à la place de la Libération à Vitry-sur-Seine (sculpture de Jean Dubuffet).
Pour aller plus loin :
- Extrait de “La société du spectacle” réalisé par Guy Debord (1974)
- Extrait d’un passage télévisé de Matthieu Laurette autour des produits remboursés (1999)
- Jeff Koons au micro de Laure Adler dans L’heure bleue sur France Inter (octobre 2021)