Le temps de Giacometti (1946-1966), co-organisée avec la Fondation Giacometti, explore de manière inédite l’art et la vie de l’artiste Alberto Giacometti dans le contexte de l’après-guerre, jusqu’à son décès en 1966. Cette exposition entend faire ressortir tous les aspects qui répondent aux grandes questions artistiques et philosophiques qui furent celles de son époque, du surréalisme finissant à l’engagement existentialiste.
Le cheminement d’Alberto Giacometti (1901-1966), artiste emblématique du XXe siècle, est d’une grande singularité. Dans les années 1920, il absorbe la fin du mouvement cubiste, puis incarne le sculpteur surréaliste par excellence. En revanche, après-guerre, alors que les abstractions triomphent de part et d’autre de l’Atlantique, il affirme un choix qui lui est propre, à lui et à quelques autres : celui de la figuration.
Très apprécié pour ses représentations emblématiques d’une humanité à la fois meurtrie et en mutation, en phase avec la pensée existentialiste, faisant écho dans son art aux temps récents de guerre, de massacres et d’angoisse nucléaire, il trace une voie unique.
Humaniste, solitaire dans son travail, c’est aussi un homme dans son temps, un être sociable, dont la création doit être relue dans les différents contextes qui furent les siens : celui du cercle des artistes, écrivains et philosophes qu’il fréquente, de la jeune génération qui lui rend visite, de celles et ceux qui le photographient, des galeries dans lesquelles il expose et pour lesquelles il peut imaginer lui-même des scénographies, comme à la galerie Maeght en 1951.
Mêlant chefs-d’œuvre, sculptures, peintures, gravures, photographies et aussi archives, elle fera pénétrer le public dans ces années 1950 élargies, essentielles pour la compréhension des mutations artistiques et intellectuelles de l’après-guerre. Cette exposition est composée essentiellement grâce aux prêts des œuvres de la Fondation Giacometti, qui conserve les œuvres que l’artiste a gardées avec lui toute sa vie. Elle rassemble une centaine d’œuvres emblématiques telles que La Femme au chariot (vers 1945), La Cage (1950), L’Homme qui marche II (1960), la Grande Femme I (1960), ou encore un ensemble de peintures, des dessins sur revue, des photographies ainsi que des archives, afin de brosser une vaste fresque de l’artiste comme un acteur du monde de l’après-guerre, par ses créations, ses liens avec le monde intellectuel et artistique, ses expositions et ses écrits.
Prolongeant l’exposition, une partie contemporaine provoque des rencontres entre Giacometti et des artistes d’aujourd’hui autour de la déambulation de la figure de « l’Homme qui marche », interrogeant ses chutes et ses espoirs actuels.
En écho à l’exposition, la présentation de E.R.O.S. (1959). Histoire d’une exposition surréaliste à travers la collection Daniel Cordier, replonge le public dans l’histoire de la huitième Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme, présentée dans la galerie de cet amateur d’art en 1959 à laquelle participe Alberto Giacometti.
Commissariat : Émilie Bouvard et Annabelle Ténèze, assistées d’Audrey Palacin
Alberto Giacometti (1901-1966)
Né en 1901 à Borgonovo, près de Stampa, en Suisse italienne, Alberto Giacometti est le fils de Giovanni Giacometti, peintre post-impressionniste renommé auprès duquel il découvre la peinture et s’initie à la sculpture. À l’âge de 13 ans, Giacometti réalise ses premières aquarelles : des paysages de montagne autour de la maison familiale dans le village de Stampa et un premier portrait sculpté de son frère cadet Diego.
En 1922, il quitte sa vallée natale et s’installe à Paris pour suivre les cours du sculpteur Antoine Bourdelle à l’académie de la Grande-Chaumière, où il travaille d’après modèle. A partir de 1925 il s’intéresse à l’avant-garde, notamment aux artistes cubistes.
En 1929, il commence une série de sculptures appelées Femmes plates, proches de l’abstraction, qui le fait remarquer par le milieu artistique. En 1930, il adhère au mouvement surréaliste d’André Breton au sein duquel il est un membre actif. Ses sculptures, et notamment Boule suspendue, jouent un rôle central dans la définition par Dalí des objets « surréalistes » et « à fonctionnement symbolique ».
Il prend ses distances avec le groupe surréaliste ; même si ses œuvres du début des années 1930 continuent d’être présentées dans les expositions du groupe.
En 1935, il se dédie intensément à la représentation de la figure humaine, sujet qui l’occupera le reste de sa vie. Son frère cadet Diego, qui l’a rejoint quelques années auparavant, est un de ses modèles permanents. Après avoir passé les années de guerre en Suisse, de retour à Paris, Giacometti continue à travailler, principalement d’après modèle. Annette Arm, avec qui il s’est marié en 1949, devient un autre modèle omniprésent dans son œuvre. Giacometti réinvestit aussi la peinture et renoue, au début des années 1950, avec le sujet du paysage.
Entre 1958 et 1961, Giacometti réalise, dans le cadre de la commande, qui n’aboutira finalement pas, pour décorer la place de la Chase Manhattan Bank à New York, une Grande Femme et une Grande tête à une échelle monumentale, aux côtés de l’Homme qui marche.
Ces trois œuvres deviendront iconiques. En 1962, Giacometti présente une première version de cet ensemble de sculptures en bronze et remporte le Grand Prix de sculpture de la 31ème Biennale de Venise.
Les rétrospectives de 1965, à la Tate Gallery (Londres), au Museum of Modern Art (New York) et au Louisiana Museum (Humlebaek, Danemark) consacrent l’artiste peu de temps avant qu’il ne s’éteigne, en janvier 1966, à l’hôpital de Coire, en Suisse.
Exposition jusqu’au 21 janvier 2024 aux Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse – 76 allées Charles de Fitte – 31300 Toulouse
E.R.O.S. (1959) Histoire d’une exposition surréaliste à travers la collection Daniel Cordier
Depuis leur ouverture en 2000, les Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse accueillent en dépôt permanent la Collection Daniel Cordier, donnée par celui-ci au Musée national d’art moderne – Centre Georges Pompidou (Paris).
À l’occasion de la nouvelle présentation de cette collection, les Abattoirs replongent au cœur des « 8 ans d’agitation » de la galerie Cordier entre 1956 et 1964. 1959 marque son histoire d’une invitation lancée à André Breton et Marcel Duchamp, à imaginer une nouvelle exposition internationale du surréalisme. Il s’agit de la huitième du genre, depuis celle de 1936 organisée aux New Burlington Galleries (Londres), et dans la lignée de celles de 1938 à la galerie des Beaux-Arts ou de 1947 à la galerie Maeght, à Paris.
Cette Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme, « E.R.O.S. », aborde la thématique de l’érotisme. En 1959, si André Breton se défend de traiter l’amour charnel, c’est pour mieux célébrer le « besoin fondamental de transgression » des surréalistes : à l’image de Cordier, eux aussi sont des agitateurs.Autour d’un ensemble d’œuvres historiques du groupe, d’autres inédites ou apparentées, « E.R.O.S. » est un labyrinthe investi par Friedrich Schröder-Sonnenstern, Robert Rauschenberg, Mimi Parent et bien d’autres compagnons de jeu.
Accueilli par les effluves d’un parfum aux notes « sexuelles » et la diffusion de « soupirs amoureux », le public pénètre dans ce qui reste l’une des premières expositions-happening.
Au fond du couloir qu’empruntent les visiteurs de « E.R.O.S. », L’Objet invisible (1934) d’Alberto Giacometti les attend à côté de Bed (1955) de Robert Rauschenberg.
Avec La Boule suspendue (1931) l’artiste est ainsi intégré à la partie « rétrospective » de l’exposition : les deux sculptures jalonnent les cinq années qu’il passe dans le groupe surréaliste, de 1930 à 1935. Aussi, La Boule suspendue est la première des œuvres qu’il réalise avec eux et, selon Salvador Dalí, elle est le « prototype des objets à fonctionnement symbolique ».
Aux Abattoirs, cette évocation de « E.R.O.S » regroupe certains des artistes qui y furent présents, mais aussi des œuvres contemporaines qui réactualisent son propos. Sous l’égide d’Eros qui sert de fil rouge – ou rose – au parcours, les artistes travaillent le corps, évocation du désir poussé à son plus haut point, qui rattache l’être humain à l’animal, comme au végétal. Surréalistes, poétesses, universitaires ont contribué dès l’après-guerre à écrire une histoire de la sexualité et de l’érotisme : aujourd’hui, sa relecture teinte la poétique des corps d’une coloration politique.
Commissariat : Julien Michel, Attaché de conservation aux Abattoirs
Photo d’en-tête : Alberto Giacometti, L’Homme qui marche II, 1960 – Plâtre – 188,5 x 29,1 x 111,2 cm /Fondation Giacometti © Succession Alberto Giacometti /Adagp, Paris 2023