Pour son grand temps fort estival, le musée Paul Valéry a choisi d’offrir à ses visiteurs une ode à la nature selon Jean Hugo (1894-1984). À la fois peintre, décorateur et écrivain, il demeure 40 ans après sa disparition un artiste majeur et singulier. Afin de présenter une vision la plus complète possible de son œuvre, les musées Paul Valéry, Fabre et Médard se sont associés pour que l’hommage prenne la forme de trois volets, présentés simultanément à Sète, Montpellier et Lunel, dans l’esprit de complémentarité initié par la candidature commune au label de capitale européenne de la culture pour 2028. L’œuvre de Jean Hugo chante la nature comme une présence splendide, comme s’il avait voulu la peindre telle » le reflet du paradis ».
À Sète, l’exposition « Jean Hugo, entre ciel et terre » montre, à travers un important ensemble d’œuvres dominé par la question du paysage, que la représentation de la nature est pour Jean Hugo autant une célébration de l’ordre du monde dans son apparence qu’une volonté de faire ressentir ce qui l’anime. Elle vient compléter chronologiquement celle du musée Fabre de Montpellier qui s’attache à l’œuvre de Jean Hugo jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et son appartenance aux avant-gardes au début du XXe siècle. Ces deux expositions entendent révéler au public l’ensemble d’une œuvre foisonnante dans toute sa richesse, diversité et complexité, et lui permettront d’embrasser la personnalité de Jean Hugo, arrière-petit fils de Victor Hugo, sous toutes ses facettes.
À travers plus d’une centaine d’œuvres – peintures, dessins, livres illustrés, objets d’art – le parcours de l’exposition « Jean Hugo, entre ciel et terre » se développe dans les espaces d’exposition temporaire du musée, sur plus de 600m², et invite le visiteur à approfondir sa découverte de Jean Hugo, l’artiste et l’homme.
Pendant quarante ans, entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et sa disparition en 1984, Hugo a poursuivi avec humilité une trajectoire artistique originale et rare, loin des avant-gardes et de leurs tendances iconoclastes. Mondain et retiré dans sa propriété de Fourques à Lunel depuis 1929, parisien et rural, Jean Hugo a toujours considéré avec bienveillance la comédie humaine, dont il se voyait aussi comme un acteur. Il n’a cependant jamais cessé de porter un regard ardent et attentif sur les choses qu’il nous est donné de ressentir, de voir, de toucher, de sentir et de goûter, de la plus humble créature au produit le plus élaboré du travail des hommes. Corporelle et sensuelle, l’œuvre de Jean Hugo chante la nature comme une présence splendide. Mais, nourrie d’une connaissance des territoires autant que d’une expérience intime, elle semble s’en éloigner dans le mouvement même où elle s’en approche.
Le parcours de visite est complété par un focus consacré au groupe Montpellier-Sète, bien représenté dans les collections du musée, avec lequel Jean Hugo avait partagé les murs d’expositions importantes et un autre dédié à Vincent Bioulès, avec qui Hugo entretenait des liens forts d’amitié.
Avec l’exposition concomitante donnée à voir au musée Fabre de Montpellier, ainsi que l’exposition qui se tient au musée Médard de Lunel, l’événement sétois permet au public de mesurer combien cet artiste a pu relever le défi de porter le nom d’Hugo au rang du meilleur de la création artistique. La spirituelle Louise de Vilmorin avait elle-même lancé : « Il est très difficile d’être descendant de Victor Hugo ; aussi il ne s’agit plus de descendre, il faut remonter. » C’est ce que fit, Jean Hugo, arrière-petit-fils de Victor, avec toute la pudeur et l’élégance qui le caractérisaient.
2024, tout un territoire rend hommage à Jean Hugo (1894-1984)
Né en 1894 et disparu en 1984, ce brillant arrière-petit-fils de Victor Hugo, a traversé presque tout le XXe siècle. Tour à tour décorateur, peintre, poète et écrivain, il a réalisé plus de 1000 peintures et 3000 dessins, collaboré à près d’une cinquantaine de mises en scène théâtrales ou dansées, et ce tout au long de son existence. Il a largement contribué à plusieurs projets décoratifs et participé à de grands programmes artistiques à l’étranger. Illustrant les plus célèbres auteurs de son temps, il a montré une grande invention dans sa relation féconde avec l’éditeur Pierre-André Benoît. Enfin, il a déployé un remarquable don d’écrivain dans des Mémoires où l’humour le dispute à la poésie, d’après des carnets de notes scrupuleusement tenus « an par an » qui font de lui un témoin exceptionnel du XXe siècle, acteur reconnu et fin observateur de tous les mondes sociaux et culturels qui l’ont constitué. Après les rétrospectives de Toronto en 1973, Sète en 1974, Paris en 1976 et Montpellier en 1978 et 1995, cette saison-hommage dédiée à Jean Hugo en Occitanie en 2024, avec ses temps forts à Sète et Montpellier et aussi d’autres événements,- comme à Lunel, ville où il aura demeuré plus de cinquante ans -, espère marquer une nouvelle étape dans l’historiographie de cet artiste aussi grand qu’il était attachant.
Parcours de l’exposition
Dès lors qu’il s’installe à Fourques à l’automne 1929, la question du paysage tend à devenir centrale dans la peinture de Jean Hugo et s’impose véritablement comme un axe majeur de son travail dans la période de l’après-guerre. Elle met en jeu aussi bien un rapport à la nature d’ordre poétique qu’une relation à la peinture relevant d’une forme de « naïveté construite ».
Le parcours géographique de l’exposition permet de rendre lisible et accessible cette articulation. Il fait tout d’abord émerger des caractéristiques communes (formelles, thématiques) mais aussi spécifiques à chacun des territoires représentés. Ce parcours ménage ensuite une progression du plus proche au plus lointain, qui en recouvre une autre plus discrète, du matériel vers le spirituel. Pour l’artiste, la nature est un livre empli de signes dont il lui appartient de célébrer la splendeur à défaut de pouvoir en percer tout le mystère.
Introduction
Pendant 40 ans, de la fin de la guerre à sa disparition en 1984, Jean Hugo a poursuivi une trajectoire artistique singulière. Il n’a eu de cesse de porter un regard attentif sur les choses qu’il nous est donné de voir et de ressentir. De la Provence à la Cerdagne, en passant par les Cévennes et jusqu’à la Bretagne, Jean Hugo ressent un attachement profond et instinctif pour les régions de France où il séjourne : « Chère France ! Mais pourquoi ces paysages m’émeuvent-ils plus que d’autres ? » Une telle prédilection n’est cependant pas exclusive : Jean Hugo trouve ainsi en Catalogne, en Angleterre ou bien même dans un ailleurs rêvé, des paysages qui répondent à son goût. Nourrie d’une connaissance des territoires autant que d’une expérience intime, l’oeuvre de Jean Hugo donne à voir la nature comme une présence splendide. Sa représentation est à la fois une célébration de l’ordre du monde dans son apparence et une volonté de faire ressentir ce qui l’anime.
Les travaux et les jours : paysages du Languedoc et de l’Aveyron
Jean Hugo est attaché au domaine de Fourques, près de Lunel, où il s’installe définitivement durant l’automne 1929. Il l’est également à la Camargue ou encore aux territoires vallonnés de l’Aveyron, en particulier de la vallée du Durzon, près de Nant, où il lui arrive de résider à compter de 1962.
Attaché à connaître la nature qui l’environne, Jean Hugo a divisé le domaine de Fourques en sept secteurs qu’il parcourt successivement durant la semaine. Il en rapporte tout un trésor d’observations et de sensations, mais aussi des plantes qu’il conserve dans un herbier ou encore des galets dont il fait le support de paysages en miniature.
Dans la campagne de Lunel ou dans les hautes terres de l’Aveyron, les activités agricoles sont rythmées par la succession des saisons – cueillette des olives, sarclage de la vigne, pâture des bêtes. Entendue comme paysage, autrement dit comme spectacle, la nature ne correspond pas en effet pour Jean Hugo à un monde vide de toute présence humaine et animale. Femmes et enfants, hommes, peu individualisés ou réduits à l’état de simples silhouettes, sont rarement représentés dans l’oisiveté. Comme au temps de l’idylle, la nature généreuse leur prodigue ses biens au fil des travaux et des jours. Le paysage est ainsi la scène intemporelle, où cohabitent les bergers, les licornes et les saints, dans une forme de bonheur champêtre, menacé toutefois par les développements du progrès technique.
De l’Estérel à Calafell : paysages du Sud, de la Côte d’Azur à l’Espagne
Jean Hugo séjourne parfois entre Hyères et Grasse, répondant à l’invitation de ses amis, comme le musicien Georges Auric ou encore le couple de riches mécènes formé par Charles et Marie-Laure de Noailles. En 1953, il se rend à Vallauris dans l’atelier de Picasso, qui, depuis 1947, modèle la terre pour créer des céramiques. Également intéressé par cette technique, Jean Hugo traite avant tout l’objet en trois dimensions comme un support de peinture, dont il exploite les nombreuses potentialités formelles.
Du mois de mai au mois d’octobre 1953, Jean Hugo se rend en Catalogne, région où il a déjà passé un mois en 1952, à Calafell. Il affectionne le territoire montueux d’Estartit, qu’il trouve tout particulièrement pittoresque. Les oeuvres nées de ce séjour se distinguent par l’intérêt porté aux figures de pêcheurs, mais aussi par des effets de nuit et une simplification des formes colorées, qui ne sont pas sans rappeler les recherches de Matisse engagées non loin de là, à Collioure.
Mais Jean Hugo n’est pas un théoricien de la couleur. Son rapprochement avec les peintres du groupe Montpellier – Sète, auprès desquels il est invité à exposer au musée Paul Valéry en 1972, s’explique précisément par leur absence de corpus théorique dans leur approche du paysage languedocien. Loin de toute recherche de réalisme, une figure – présence d’un bateau blanc dans le port de Sète – ou un détail – silhouette d’un chien noir observant des joueurs de pétanque – ouvre sur une dimension énigmatique, voire mystérieuse du réel.
Sur les terres du Ponant : paysages de Bretagne et de Grande-Bretagne
Ancré à Lunel, Jean Hugo n’en sillonne pas moins son pays par d’incessantes excursions. Ses pérégrinations le ramènent souvent vers le nord de la France, particulièrement la Normandie à laquelle il est lié par ses origines familiales. L’île de Guernesey, qui a marqué son enfance et porte le souvenir de Victor Hugo, constitue pour lui une source profonde d’émotion, tout comme le souvenir des années sur le front en Lorraine et dans la Somme pendant la Première Guerre mondiale.
Ses périples l’emmènent également vers l’ouest, lorsque l’été la famille Hugo fuit la chaleur méridionale, particulièrement la Bretagne qui émerveille l’artiste depuis les années 1930. À chaque latitude l’artiste développe un nouveau colorisme, toujours plus affranchi de la littéralité. En Bretagne, il s’attache à traiter les variations de la lumière et à construire ses paysages en masses colorées contrastées.
Shakespeare’s country : paysages de théâtre
Parfaitement bilingue depuis sa jeunesse à Guernesey, et d’autant plus anglophile depuis son mariage avec Lauretta Hope-Nicholson en 1949, Jean Hugo se rend et expose régulièrement en Grande-Bretagne. Tandis que Londres lui inspire quelques-uns de ses rares paysages urbains, aux tonalités plus acides, la campagne anglaise et ses villages de maisons de pierre alignées lui offrent de multiples variations graphiques dans des lavis ou des gouaches colorées.
La première carrière de Jean Hugo, celle des collaborations théâtrales, l’a inévitablement amené à William Shakespeare. L’artiste se voit proposer en 1963 une commande du festival de Stratford-upon-Avon pour célébrer les 400 ans de la naissance du dramaturge. Il imagine en une série de 13 paysages le voyage fait par Shakespeare de sa ville natale jusqu’à Oxford. Comme souvent le travail préparatoire suscite un séjour de l’artiste sur les lieux : il sillonne la région des Cotswolds, parcourant les petits villages, se documentant sur les légendes et coutumes de l’époque élisabéthaine. Outre les grandes toiles qui seront montrées lors du festival, Hugo réalise pour l’événement des maquettes de décors et costumes pour Le Roi Lear et La Nuit des rois (The Twelfth Night).
Livres / noir et blanc : excursus dans le domaine du livre / paysages à l’encre
Coloriste à la fois surprenant et audacieux, Jean Hugo est également un dessinateur hors pair. Ses travaux à l’encre et ses lavis, souvent méconnus, révèlent les étapes essentielles qui précèdent la peinture ainsi que leur association étroite avec la couleur, dont ils permettent de fixer les valeurs.
Dans d’autres cas, l’intérêt de Jean Hugo pour la poésie et l’univers du livre, que la riche bibliothèque de Fourques attise et étanche tout à la fois, se trouve à l’origine d’un dessin ou bien d’une série d’illustrations en noir et blanc. À compter des années 1920, il sera régulièrement fait appel à lui pour collaborer à plus d’une centaine de projets d’édition. Son goût pour le livre et ses contraintes développe chez lui la maîtrise du format miniature et de la synthèse. Avec l’éditeur Pierre-André Benoît, rencontré en 1948, qui réunit autour de lui une galaxie d’auteurs et d’artistes, Jean Hugo collaborera à plus de cinquante ouvrages, dont certains de tout petit format, les « Pabuscules », dominés par la recherche d’un accord harmonieux entre image et texte.
Dans d’autres cas, Jean Hugo peint pour le livre des oeuvres sur papier de petit format, qui bénéficient des progrès réalisés dans le domaine de la reproduction d’art. En 1947, à la demande de la maison d’édition Gallimard, il réalise 113 petites gouaches pour l’édition du Cornet à dés, de Max Jacob. Plus tard, en 1971, le Nouveau Cercle Parisien du Livre lui confie le projet ambitieux de 26 lithographies pour La Saulsaye, chef-d’oeuvre de la Renaissance du poète lyonnais Maurice Scève, où deux bergers méditent sur la valeur respective de la vie active en ville et de la retraite à la campagne.
Horizons lointains : paysages des autres continents
Hormis ses fréquents allers-retours entre France et Angleterre, Jean Hugo a peu voyagé à l’étranger. Exception notable, le voyage qu’il fait en URSS en 1952, invité pour les commémorations des 150 ans de la naissance de Victor Hugo, événement pour lequel il s’est considérablement investi. Pour autant, les occasions ne manquent pas pour lui d’imaginer de lointaines contrées, que ce soit pour des commandes ou lorsqu’il note soigneusement les récits de voyages de ses enfants sur différents continents. Ces échanges lui inspirent souvent de savoureuses petites gouaches intimes, révélatrices de sa complicité avec chacun d’eux.
Jean Hugo se voit confier la commande de six grandes toiles, Les Pays en marche, pour l’Exposition universelle de Montréal en 1967, exposées dans le Pavillon L’Homme dans la cité. Des six pays représentés – la Dalmatie, le Canada, Cuba, la Tunisie, le Sénégal et Ceylan – seule la Tunisie est pour lui un pays connu, visité quelque vingt ans plus tôt à l’occasion d’un pèlerinage dans le désert. Pour le reste, il s’agit de représentations imaginaires, où les pays exotiques apparaissent comme un Paradis perdu pour l’Européen ressentant l’action mortifère de l’industrialisation sur la nature.
L’espace du dedans : intérieurs et natures mortes
Jean Hugo garde un goût prononcé pour la nature morte, genre qui lui permet tant de célébrer la manne de la nature que d’explorer, comme Cézanne et les cubistes avant lui, les jeux de construction d’un espace pictural par définition abstrait. Les perspectives transgressives animent les objets et dynamisent des espaces apparemment simples ; intérieur et extérieur se mêlent en fond de toile de compositions simples ou complexes d’objets ou éléments naturels, dans un équilibre instable. Le même jeu sur les différents plans de l’espace est exploré dans les portraits de son entourage. Comme dans les paysages, la scène est saisie dans un instant suspendu, tandis que le dessin incisif et les champs colorés évoquent des affinités avec Matisse.
Focus sur l’œuvre
« Les porteuses de paysage »
En 1979, Jean Hugo peint un ensemble de quatre tableaux intitulé Les Porteuses de paysage. Sur chacun des panneaux, une femme dont le vêtement stylisé indique une paysanne, porte, littéralement, un paysage, comme d’autres portent sur leur tête ou leur épaule une jarre remplie d’eau ou un panier chargé de fruits. Porteuses de paysages, ces femmes sont elles-mêmes accueillies – portées – par un paysage aussi stylisé que l’est leur tenue. En bas, car c’est en registres que ce paysage faisant fonction de fond est composé, là où les pieds de ces porteuses reposent, se trouve la terre : celle d’un chemin où s’inscrivent les traces de leur cheminement, entre touffes d’herbe et fleurs. Au milieu règne un champ vert, fond coloré tendant vers le plan sur lequel s’inscrivent les aplats des robes et des tabliers : robes rose et jaune pour les deux panneaux centraux, robe noire et tablier bleu pour la figure de gauche, robe bleue et tablier noir pour celle de droite, cette fausse symétrie conférant aux tableaux latéraux une fonction d’encadrement, ou de clôture. Et puis il y a le ciel : bleu nuit dans les panneaux latéraux tel un rappel, dans une tonalité plus sombre, du bleu « ciel » du tablier de l’une et de la robe de l’autre, il est d’un rose violacé, fuchsia, dans le panneau de la femme à la robe rose, tandis que celle qui porte une robe jaune se tient devant un ciel turquoise, bleu-vert. Là où le chemin et le champ sont traités de la même façon dans tous les panneaux, ce qui crée un effet d’unité comme dans un retable peint, les quatre ciels répondent à une autre logique. De même chromatisme dans les panneaux latéraux, ils viennent renforcer l’effet compositionnel instauré par l’écho entre les vêtements des deux femmes, à savoir assumer le rôle encadrant de ces tableaux, là où les deux autres fonctionnent comme panneaux centraux, ornés de figures plus statiques que leurs voisines. Si la couleur choisie par Hugo pour chacun de ses ciels semble dialoguer avec celle de la figure, soit par un jeu d’écho et de gradation tonale (bleu ciel/bleu foncé, rose/fuchsia), soit par un jeu de contraste (jaune/vert), un autre dialogue s’instaure, plus symbolique, entre le paysage porté par ces femmes et le ciel sur lequel celui-ci s’inscrit. Sans être semblables, les paysages des panneaux latéraux, que les femmes portent sur leur épaule (gauche sur le panneau de droite, droite sur celui de gauche), ont des traits communs, en particulier l’association entre nature et construction qui structure leur composition, tandis que les paysages des panneaux centraux, posés sur la tête des porteuses, diffèrent par leur nature, ou leur géographie : l’un figurant une vallée ouverte, l’autre un relief plus contrasté.
Désapprentissage
Afin de comprendre le cheminement de Jean Hugo vers le paysage, il faut avoir recours à une notion qui amène à considérer cet artiste dans la lignée du romantisme pictural : le désapprentissage. Celui-ci permet d’éclairer la démarche de Jean Hugo non pas sous l’angle d’une soudaine table rase, d’une amnésie volontaire laissant libre cours à l’imagination créatrice et à la pure présence du monde, mais bien à la façon d’un oubli savant, sciemment construit. C’est Lawrence Gowing, un historien de l’art britannique, qui emploie le premier ce terme à propos de Turner. Il s’agit pour lui d’expliquer le mouvement interne de l’œuvre de Turner, notamment sa façon de se détacher progressivement des normes en vigueur en matière de
représentation de la figure humaine.
Désapprendre, c’est se débarrasser sciemment du savoir appris qui entrave l’accès à une possible vision. Désapprendre, et c’est en cela que Jean Hugo s’inscrit philosophiquement dans une filiation romantique, c’est tenter de refaire le chemin à l’envers : de la connaissance vers l’innocence originelle. Non point ignorer la connaissance mais articuler apprentissage et désapprentissage, art savant des figures nourries de références avouées et art délibérément naïf du paysage, dont la naïveté s’élabore par rapport au pôle le plus savant, dans un écart délibéré.
Ce dualisme expérience/innocence, que l’on retrouve chez un William Blake, a des accents chrétiens que ne peut ignorer Jean Hugo, ce grand chrétien pour qui le mas de Fourques fut, à partir des années 1930, le lieu d’un retour à Dieu et au paysage.
Pour citer un autre écrivain romantique, Kleist, il s’agit de « devenir comme un petit enfant », de « retomber en l’état d’innocence », c’est-à-dire dans cet état paradisiaque d’avant le Péché originel, d’avant la consommation du fruit de l’arbre de la connaissance.
C’est ici que l’idée de désapprentissage prend tout son sens. Kleist, encore : « Ainsi, dis-je un peu à la légère, il nous faudrait à nouveau goûter à l’Arbre de la connaissance pour retomber en l’état d’innocence ? » Le paysage de Jean Hugo a besoin de son travail sur les figures. De cela, de ce lien constitutif, Les Porteuses de paysage sont l’emblème : les unes portent l’autre. La simplicité qui est la marque de ses tableaux de paysage n’a pu se trouver que dans un pas de côté par rapport au reste de son art qui fait de lui à la fois un héritier et un observateur distancié des tendances de son temps (cubisme, néo-humanisme, surréalisme, etc…). Il fallait posséder la norme avant de pouvoir s’en éloigner.
Une innocence savamment retrouvée
La naïveté délibérée de la fresque de Lunel ou celle, plus élaborée, des quatre panneaux des Porteuses de paysage, s’éclairent d’un jour nouveau dès lors que l’on comprend qu’il s’agit de la qualité que l’artiste cherche dans le paysage : une naïveté savamment élaborée.
Le paysage de Jean Hugo résulte de décisions picturales en actes, qui toutes concourent à amener son art vers plus de simplicité, ou du moins vers un effet esthétique qui peut être nommé ainsi. Ces opérations, nous pouvons les qualifier de réduction, afin d’indiquer notamment en quoi Hugo part là d’une forme de complexité dont il s’agit de faire surgir un ordonnancement nouveau, plus simple d’apparence. […]
Extrait de L’innocence retrouvée – Le paysage selon Jean Hugo, par Pierre Wat
Le musée Paul Valéry
Installé au flanc du mont Saint-Clair sur une terrasse surplombant le Cimetière marin et la Méditerranée, le Musée Paul Valéry dispose d’une vue et d’une situation exceptionnelle. Son architecture conçue par l’architecte Guy Guillaume date du début des années 1970 et s’inscrit dans la logique des bâtiments du Corbusier.
Le Musée Paul Valéry réunit plus de 7000 œuvres . Aux collections Beaux–arts, qui comptent 800 peintures et près de 3000 dessins, viennent
s’ajouter des fonds spécifiques, tels les fonds Paul Valéry et Salah Stétié.
Les jardins qui l’entourent accueillent des manifestations en plein air : une programmation pluridisciplinaire qui propose conférences, rencontres (notamment les Journées Paul Valéry et les Journées Jean Vilar, en alternance) et concerts, en lien étroit avec les collections du musée et les
trois expositions temporaires qui rythment le déroulement de l’année.
Les collections :
Le fonds des peintures réunit un ensemble significatif d’œuvres classiques, académiques et orientalistes. Parmi les œuvres du XIXe siècle, le courant réaliste est notamment représenté par une Mer calme à Palavas, de Gustave Courbet. La collection témoigne également de l’intérêt porté à Sète par de nombreux artistes comme Jongkind.
Les collections du XXe siècle réunissent des peintres tels que Raoul Dufy, Maurice Marinot, André Lhote, Henri Martin, Auguste Chabaud, Pierre Ambrogiani, René Seyssaud, Jean Messagier, Kijno, Yan Pei–Ming, Philippe Pradalié, Jean-Luc Parant et des artistes sétois de la génération actuelle tels que Jean Denant, André Cervera et Topolino.
Le fonds illustre par ailleurs très largement les deux écoles sétoises qui, au XXe siècle, ont donné à la ville sa renommée dans le domaine des arts plastiques : le groupe Montpellier– Sète (François Desnoyer, Gabriel Couderc, Camille Descossy, Georges Dezeuze, Pierre Fournel, Colette Richarme, Jean Hugo…), la génération qui l’a suivi (Pierre François, René-François Grégogna) et la figuration libre représentée par des de Robert Combas, Hervé Di Rosa, François Boisrond, Rémi Blanchard et Richard Di Rosa.
Deux fonds littéraires d’importance sont enfin conservés au musée. Le premier est constitué par l’importante donation de livres d’artistes et d’oeuvres d’art consentie par le poète Salah Stétié. Le fonds Paul Valéry, consacré au penseur et poète natif de Sète, rassemble un important ensemble de peintures, de dessins, d’objets et de manuscrits uniques, dont l’un des premiers états du Cimetière marin ainsi que l’ensemble de la correspondance de Paul Valéry avec Stéphane Mallarmé.
Commissariat : Sous le commissariat général de Michel Hilaire, Directeur du Musée Fabre et de Florence Hudowicz, conservatrice en chef du patrimoine, responsable des arts graphiques et décoratifs au Musée Fabre, l’exposition « Jean Hugo. Entre ciel et terre » est placée sous le commissariat de Stéphane Tarroux, Directeur du Musée Paul Valéry, et d’Ingrid Junillon, conservatrice du patrimoine au Musée Paul Valéry.
Et aussi…
A Montpellier et à Lunel « Jean Hugo, le regard magique » au Musée Fabre, à Montpellier.
Du vendredi 28 juin au dimanche 13 octobre 2024
À travers un ensemble de plus de 330 pièces, dont de nombreux prêts d’institutions françaises et étrangères, l’exposition Jean Hugo, le regard magique a pour ambition de présenter l’homme et l’artiste et bien sûr son œuvre , depuis les origines en 1914 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, à la fois dans toute sa diversité d’expression, ainsi que dans l’histoire culturelle qui l’accompagne, toutes deux d’une richesse passionnante.
Avec la proposition sétoise et celle du musée Médard de Lunel, ville où il a vécu plus de cinquante ans, l’hommage qui lui est rendu à l’été 2024 souhaite marquer une nouvelle étape dans la connaissance et la reconnaissance de cet artiste, qui fut tour à tour décorateur, peintre, poète et écrivain.
Au travers d’un parcours en cinq chapitres, l’exposition met en évidence les différents moments de la vie et carrière de Jean Hugo jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Né dans une famille prestigieuse en 1894, l’artiste sut développer au coeur de ses héritages une vision du monde tout à fait unique qui donne encore à voir aujourd’hui la possibilité de l’émerveillement. L’arrière-petit-fils de Victor Hugo, nourri par les arts et la littérature, va créer à son tour sa propre constellation au coeur des avant-gardes, qui croisent tous les arts pour imaginer un nouveau monde : Picasso, Cocteau, Bérard, Kochno… Des œuvres de Picasso, Cocteau et aussi du Douanier Rousseau viennent ponctuer le parcours.
Sous le commissariat général de Michel Hilaire, directeur et le commissariat scientifique de Florence Hudowicz, conservatrice en chef du patrimoine, responsable des arts graphiques et décoratifs.
« Jean Hugo, le regard magique. Sa vie à Lunel de 1920 à 1984 » au Musée Médard à Lunel
Du mercredi 19 juin au dimanche 22 septembre 2024
L’exposition Jean Hugo, le regard magique. Sa vie à Lunel de 1920 à 1984 célèbre le quarantième anniversaire de la disparition de l’artiste (1894-1984), en concomitance avec les deux grandes expositions.
Le musée Médard propose d’explorer dans les plus intimes détails le cocon créatif de Jean Hugo à Lunel : le mas de Fourques, où il vécut plus de soixante ans (1920 – 1984). Grâce au travail de mémoire effectué par la famille, il est possible de faire découvrir toutes les richesses d’un lieu et d’un héritage puissant : l’atelier de l’artiste ; la passion pour la Camargue et ses traditions ; les sources d’inspiration locales et la marche comme instrument d’appropriation amoureuse de son environnement.
Entre peintures, photographies, esquisses, objets et documents, se retrace toute l’originalité d’un parcours où la vie et l’art dialoguent sans cesse, dans la simplicité du quotidien.
Exposition « Jean Hugo. Entre ciel et terre », jusqu’au 13 octobre 2024 – Musée Paul Valéry, 148, rue François Desnoyer – 34200 – Sète
www.museepaulvalery-sete.fr
Image d’en-tête : Plantation d’une vigne, 1957 – Huile sur contreplaqué 38 x 51,5 cm /Musée des beaux-arts, Nîmes © Florent Gardin ©ADAGP, Paris, 2024