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Arabofuturs, Science-fiction et nouveaux imaginaires

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L’exposition ARABOFUTURS invite à entrer dans les univers oniriques de la science-fiction et des nouveaux imaginaires arabes, jusqu’au 12 janvier 2025 à la Cité du Monde arabe. Cette exposition d’art contemporain se propose d’être une introduction à ce merveilleux et dynamique laboratoire d’hypothèses qui se déploie dans tous les territoires de la création actuellement. Vidéastes, plasticiens, photographes, performeurs, renouvellent ici les perspectives, redéfinissent les identités et cherchent à offrir des contre-récits émancipateurs : mondialisation, modernité, écologie, migrations, genre ou décolonisation sont quelques-uns de leurs sujets de prédilection. Dix-huit artistes délivrent de nouveaux possibles pluriels, engagés, respectueux du vivant, ou des visions dystopiques permettant de cerner les contradictions de notre monde. Leurs créations sont autant d’outils de réflexion que des invitations à décentrer son regard vers des futurs alternatifs.

« Le monde arabe bouge, fait sa révolution, tournant toujours plus vite et plus proche du soleil de l’innovation. Jamais Icare, toujours Prométhée, les artistes sont les éclaireurs du mouvement. C’est résolument vers le futur que les jeunesses arabes se tournent. Immense source de rêves, cette nouvelle génération d’artistes crée et transforme, portant par la force de leurs idées le monde de demain. Avec l’exposition ARABOFUTURS, l’IMA met à l’honneur ce vent novateur soufflant avec ardeur sur les scènes culturelles arabes.
Vivant une réelle Nahda — renaissance — scientifique, la région a été marquée par l’envoi de la première femme astronaute arabe, Rayyanah Barnawi, dans la station spatiale internationale – ISS. Cette chercheuse biomédicale saoudienne participait en son sein à des expériences sur les cellules souches. Par ailleurs, l’émirati Sultan al-Neyadi, est devenu le premier astronaute arabe à réaliser une mission spatiale de longue durée. Précurseur et témoin du changement qui se dessine sous nos yeux, il prononçait alors ces mots : « C’est sans aucun doute une nouvelle ère. C’est une nouvelle époque pour les explorations spatiales du monde arabe ». Nourris sur terre par les récits de ces pionniers futuristes, les artistes rentrent eux-aussi en orbite. Riad Sattouf retraçait avec nostalgie son enfance orientale dans sa BD au titre évocateur : L’Arabe du futur. Ces ARABOFUTURS, eux, nous téléportent ailleurs, vers ces dimensions oniriques et fantastiques, parfois ironiques et critiques ! Mouvement d’avant-garde, les futurités arabes sont en pleine expansion parmi ces jeunes créateurs. Pourtant la science-fiction est loin d’être nouvelle dans le monde arabe. Les premières occurrences du concept remontent au Xe siècle dans les traités philosophiques de Abû Nasr al-Fârâbî (al-madîna al fâdila ou La Cité vertueuse).
Désormais, c’est au tour de ces artistes contemporains de guider nos esprits vers une terra incognita esthétique, intellectuelle et narrative. Mus par leur jeunesse, ces vidéastes, plasticiens, penseurs et performeurs anticonformistes questionnent l’urbanisation galopante, l’arrimage de la technologie au consumérisme, la prolifération de l’asphalte et du verre… Ils renversent nos certitudes, nous proposent une table rase percutante sur la modernité, l’écologie, les migrations, la décolonisation et le genre. Issus du monde arabe et de ses diasporas, leurs contre-récits et leurs super-héros exposent une fiction alternative et éclatante, parfois décalée et décapante annonciatrice d’un nouveau monde.
Plus que jamais, l’IMA fait cap sur l’avenir. Notre bâtiment emblématique inventé par le visionnaire Jean Nouvel se fait vaisseau amiral d’anticipation. Les artistes y renouvellent radicalement notre regard sur notre société en perpétuelle mutation et nous ouvrent une fenêtre
sur la paix. En réponse aux aspirations de la jeunesse, ils réparent notre présent, offrent des possibles, suscitent des débats, enchantent notre futur. Merci à ces créatrices et créateurs de nous insuffler cette énergie inspirante !« 
Jack Lang, Président de l’Institut du monde arabe

Voyages vers demain : regards sur les futurités dans la création contemporaine

Par Elodie Bouffard et Nawel Dehina, Commissaires de l’exposition

Dans le contexte de bouleversements auxquels le monde est confronté depuis un demi-siècle, la science-fiction est l’outil de prédilection pour questionner les sociétés actuelles et lire les failles de notre futur immédiat. Dans les années 2000, les artistes du monde arabe et de ses diasporas s’emparent de la fiction spéculative pour rêver les mondes de demain et dresser un constat sans détours sur l’évolution des sociétés.
Par l’anticipation, elles et ils questionnent le présent et le transgressent.

ARABOFUTURS invite à entrer dans les univers oniriques de la science-fiction et des nouveaux imaginaires arabes. Cette exposition d’art contemporain se propose d’être une introduction à ce merveilleux et dynamique laboratoire d’hypothèses qui se déploie dans tous les territoires de la création actuellement. Vidéastes, plasticiens, photographes, performeurs, renouvellent ici les perspectives, redéfinissent les identités et cherchent à offrir des contre-récits émancipateurs : mondialisation, modernité, écologie, migrations, genre ou décolonisation sont quelques-uns de leurs sujets de prédilection. Dix-huit artistes délivrent de nouveaux possibles pluriels, engagés, respectueux du vivant, ou des visions dystopiques permettant de cerner les contradictions de notre monde. Leurs œuvres sont autant d’outils de réflexion que des invitations à décentrer son regard vers des futurs alternatifs. Elles deviennent le lieu dans lequel les personnes invisibilisées dans notre présent se reconnaissent et peuvent imaginer un futur dans lequel elles sont légitimes. Les artistes créent ainsi de nouveaux avenirs émancipateurs qui interrogent et libèrent nos imaginaires du poids des discours dominants et anthropocentrés. Ces œuvres donnent la place non seulement aux personnes minorisées mais aussi au vivant qui nous entoure et même au non-vivant. L’objectif étant de créer un monde dans lequel ces éléments peuvent retrouver leur place, tout en mettant en exergue la fragilité du « règne humain ».
Ces « Voyage(s) vers demain », selon le titre de la pièce de théâtre de 1957 de Tawfik al-Hakim, donnent autant matière à réflexion qu’à contemplation, et invitent à imaginer ensemble des futurs avec et par le monde arabe, pour l’humanité et le vivant tout entier.

L’exposition réunit les œuvres de Zahrah Al Ghamdi, Sophia Al-Maria, Fatima Al Qadiri, Mounir Ayache, Meriem Bennani, Hicham Berrada, Neïla Czermak Ichti, Souraya Haddad Credoz, Ayham Jabr, Tarek Lakhrissi, Søren Lind, Sara Sadik, Gaby Sahhar, Larissa Sansour, Hala Schoukair, Skyseeef, Aïcha Snoussi et Ayman Zedani.

Parcours de l’exposition

« L’exposition s’est construite dans une démarche transnationale présentant une sélection d’artistes issue des scènes artistiques du monde arabe et de ses diasporas. Multiplicités de regards et d’expériences donc, mais également de témoignages et de points de vue sur un monde qui se détraque ou qui s’est détraqué depuis trop longtemps déjà. Mettant en relief les perspectives ouvertes par les artistes présentés et cherchant à éclairer les territoires spéculatifs développés par leurs soins, l’exposition n’est néanmoins qu’un instantané, n’ayant pas vocation à être exhaustive et ne nourrissant pas d’autre ambition que de témoigner de l’ef­fervescence des futurités arabes.
Pour mieux appréhender ces diverses pratiques artistiques, le parcours a été pensé comme un vaisseau, partant de la réalité la plus palpable de notre monde et allant explorer des futurs de plus en plus irréels et alternatifs.« 
Elodie Bouffard et Nawel Dehina, Commissaires de l’exposition

GULF FUTURISM ET MÉLANCOLIES URBAINES

Sophia Al-Maria & Fatima Al Qadiri Série The desert of the unreal 2012, photographie Direction photographique : Lyndsy Welgos © Lyndsy Welgos

Le parcours débute par des œuvres questionnant la futurité présente dans les pays du Golfe et introduisant le concept pionnier du Gulf futurism ou « futurisme du Golfe ». Ce champ de création et de pensée a été formulé en 2012 par Sophia Al-Maria et Fatima Al Qadiri,
interrogeant le développement de la région du Golfe et témoignant de ce que cet espace ambitionne d’être : un territoire d’expérimentation de ce que le monde est voué à devenir dans un futur proche.
Les deux artistes interrogent à travers leurs œuvres ce futur qui existe déjà, l’hyper modernisation accélérée de la région depuis les années 70 et cet idéal de futur technologique déjà présent et éprouvé dans le Golfe. Elles tentent de questionner ce modèle à travers une réflexion sur ses paradoxes, et explorent la nécessité de repenser les modèles pour construire les sociétés de demain.
Ainsi dans l’installation introductive de l’espace, l’artiste américano-qatarie Sophia Al-Maria interroge l’ultra-capitalisme incarné par le centre commercial et le consumérisme qui l’accompagne. Présentant principalement des centres commerciaux vides à Doha, la vidéo Black Friday (2016) offre une vision sombre et sinistre de ces espaces artificiels pensés pour perdre les visiteurs dans des labyrinthes de boutiques et de magasins qui deviennent leur tombeau. Conçus à des échelles impensables et à des hauteurs incroyables, les centres commerciaux présentés dans la vidéo apparaissent comme des temples vertigineux dédiés à l’artifice et au capitalisme.

La série photographique réalisée par Sophia Al-Maria, Fatima Al Qadiri et Lyndsy Welgos, parue dans la revue Dazed & Confused, matérialise avec force et humour leur réflexion autour du Gulf Futurism, en offrant une vision surannée et décalée du « futurisme » déjà présent dans la région. Elles proposent avec ces photomontages une interprétation de l’univers des centres commerciaux et des hôtels de luxes en jouant avec des éléments de la pop culture, de l’iridescence et des néons, qui nous transportent dans un autre espace temps et accentuent alors le caractère étrange et artificiel de ces environnements. Dans l’article, Al-Maria et Al Qadiri citent de nombreux exemples de futurisme du Golfe, notamment des motos équipées de lumières pour ressembler aux véhicules du film Tron (1982), l’esthétique spatiale de l’architecte William Pereira à Doha, ou encore s’inquiètent des projets d’agrandissement du masjid al harâm à la Mecque qui poursuivraient la destruction des sites historiques entourant la Kaaba.

Les tensions entre espaces naturels, ou bâti traditionnel et urbanisme galopant et hors-norme du Golfe, trouvent une résonnance chez l’artiste saoudienne Zahrah Al Ghamdi et son installation de 2021, Birth of a Place. Créée pour la première biennale d’art contemporain de Diriyah, elle a été redéfinie pour l’exposition. Proche de Riyadh, Diriyah abrite le site al-Turaif classé au patrimoine de l’Unesco. Son architecture en brique séchée est considérée comme un trésor national. Al Ghamdi s’inspire de ce site pour explorer les contradictions et les tensions entre les architectures domestiques et le développement urbain effréné du royaume saoudien. Ces architectures désertées ou muséifiées sont réinterprétées dans son installation pour former un nouvel environnement urbain futuriste, qui rappelle la skyline des gratte-ciel, mais s’en différencie en proposant un nouvel horizon possible.

Cette section de l’exposition cherche ainsi à définir une trajectoire qui prend comme point de départ un territoire imaginaire, fortement inspiré de la réalité du Golfe, avant de déployer d’autres discours spéculatifs s’intéressant plus particulièrement aux questions liées aux migrations, à l’identité et à la ségrégation sociale dans le contexte nord-africain et français.

AVATARS ET MONDES AMPLIFIÉS

Meriem Bennani Party on the CAPS 2018, Vidéo HD, couleur, son FNAC 2021-0481 Centre national des arts plastiques © Meriem Bennani / CNAP

Cet espace propose de découvrir un autre aspect de l’environnement créatif SF autour de projets d’anticipation et de jeux narratifs explorant le concept de mondes parallèles ou amplifiés. Dans leur pratique, Meriem Bennani comme Sara Sadik, créent des installations et environnements immersifs associant, avec humour, références à la pop culture mondialisée (langages de la télé-réalité, de la publicité, des clips, des réseaux sociaux) et représentations de l’histoire et de la culture marocaines ou de la culture maghrébine en France.
Toutes deux donnent naissance à des univers et des vocabulaires propres qui fusionnent l’imaginaire personnel et l’esthétique populaire, en usant de techniques et de technologies de postproduction de haut niveau, et agrémentant le tout de référentiels générationnels et culturels forts.

Sara Sadik 13or 2019, Vidéo HD, couleur, son © Sara Sadik

Sara Sadik s’inspire de ce qu’elle nomme le « Beurcore », qu’elle définit comme la culture de la jeunesse des quartiers populaires, issue de la diaspora maghrébine. Ses œuvres questionnent sa représentation et les clichés qui sont véhiculés à son propos, à travers des références liées au rap, au langage, à la mode et aux réseaux sociaux.
Dans la vidéo 2ZDZ (2019), Sara Sadik incarne une représentante de la NoGoZoneXperience, un studio de réalité virtuelle spécialisé dans la
simulation d’environnements dangereux. Elle y présente la Zetla Zone, un territoire désormais interdit d’accès à tout étranger, après des décennies de délaissement et de mise à distance. Cette présentation est l’occasion de tourner en dérision les clichés accolés à certains quartiers, mais aussi de retourner le stigmate et d’offrir un contre-récit fort dans lequel les cultures invisibilisés dans nos sociétés deviennent légitimes et puissantes. Ainsi, le quartier du futur qu’elle montre est devenu totalement autosuffisant et pleinement ancré dans ses identités multiples et ses esthétiques propres.
C’est dans un monde dystopique où la téléportation a remplacé les avions, qu’un crocodile farfelu nommé Fiona nous accueille et nous raconte la vie sur le CAPS : une île transformée en camp de réfugiés pour les immigrés clandestins arrêtés par l’armée américaine , durant leur téléportation. Bienvenue dans Party on the CAPS (2018) de Meriem Bennani, premier volet d’une trilogie de films d’art. Les thèmes de la migration, de l’exil, de la science et de l’éthique, ainsi que du mode de vie marocain, y sont évoqués à travers la réalité augmentée d’une fête d’anniversaire tapageuse dans le quartier marocain du CAPS. Cette vidéo est aussi pour Bennani l’occasion de porter un regard critique sur la notion de frontières, de société du contrôle ou de néolibéralisme, par le biais du surnaturel, de la dystopie et de l’humour.

Ce quotidien augmenté se déploie esthétiquement dans la série photographique Culture is the waves of the future (2022-2024) de Skyseeef. L’artiste joue la carte du rétrofuturisme en « augmentant » des voitures emblématiques, dans leur migration transsaharienne. Jouant sur le réel augmenté, il condense l’attrait de l’esthétisme des années 1970 et ce vieux rêve futuriste que le monde continue d’attendre : la voiture volante. Ce rêve devient réalité dans un territoire marocain pour lequel peu de représentations du futur existent. Skyseeef s’empare de ce symbole suranné de la voiture volante, pour proposer une futurité alternative, dans laquelle les identités culturelles marocaines sont visibles et s’épanouissent en dehors d’un récit hégémonique du futur. Au-delà du Maroc, c’est une vision libre et sans frontière, décolonisée, que nous
propose alors l’artiste avec ses voitures volantes, promesses de la potentialité d’une mobilité libre et sans frontières.

SUBVERTIR LA SF – DECOLONISER LE FUTUR 

Depuis les années 40 une esthétique science-fictionnelle s’est développée et, avec elle, une dimension intergalactique et de nouveaux paradigmes déformant la temporalité. Certains artistes de cette exposition s’inscrivent dans ces codes et esthétiques pour les subvertir, et en faire un objet culturel, historique et politique.
Les thématiques de la conquête spatiale ou des voyages dans le temps permettant l’élaboration d’uchronies, leur donnent la possibilité de développer de nouvelles dérivées à l’Histoire. L’anticipation offre à des récits alternatifs jusqu’alors ignorés des opportunités et permet aux artistes de développer, par exemple, de nouveaux types d’autoreprésentations où tout devient possible, dans des réalités non entachées par
les souvenirs de la colonisation et de l’oppression.
Cette esthétique SF vintage connue de tous, est le point de départ du travail de Ayham Jabr, l’artiste syrien qui s’est fait connaître par la viralité de sa série Damascus under Siege fusionnant les images réelles avec des représentations SF glanées sur le web. Dans cette série, réalisée en 2016 à Damas alors que la ville est assiégée, il introduit la question du surréel dans la réalité. Comment faire quand le réel rattrape
la fiction ? Les images montrent une flotte de vaisseaux spatiaux qui assiègent et encerclent Damas. La série commence avec un message qui est lancé par les Martiens : « Nous sommes venus vous apporter la paix », alors que des vaisseaux spatiaux menaçants, faisant planer le risque d’un anéantissement total, volent à travers la ville. Les images créées par Ayham Jabr, semblant surgir d’une bande dessinée de
science-fiction, proviennent cependant de la sombre réalité de la guerre que connaît alors l’artiste et dont il tente de se distancier par ces photomontages surréalistes. Ce décalage permet à l’artiste de faire un pas de côté et d’interroger la violence des sociétés humaines.
Damas, ville millénaire, mille fois attaquée, conquise, blessée, est à nouveau le théâtre des haines de l’humanité. Mais ces pierres qui ont survécu et qui survivront à leurs agresseurs sont également les témoignages de la résilience des sociétés.

Mounir Ayache episode 0: the leap of faith of Hassan al Wazzan,also known as Leo Africanus 2023, installation multimédia, sculptures 3D, tirages numériques © Mounir Ayache

Dans cette même influence SF mais avec un langage esthétique différent, développé par images de synthèse, Mounir Ayache, artiste franco-marocain, propose également une réflexion sur les liens historiques entre passé, présent et futur. Avec episode 0 : the leap of faith of Hassan al Wazzan, also known as Leo Africanus (2023-2024), Mounir Ayache présente une installation composée de sculptures 3D, de tirages numériques et d’un jeu vidéo qui plonge les visiteurs dans le voyage imaginaire de Hassan al-Wazzan (connu sous le nom de Léon l’Africain). Au XVIe siècle, au cours du sac de Rome, cet ambassadeur et grand géographe maghrébin découvre une porte spatio-temporelle dans les tunnels du Pincio, près de la Villa Médicis, qui le téléporte au XXVIe siècle.
Pensionnaire de la Villa Médicis, Mounir Ayache s’est immergé lui-même dans Rome pendant un an pour nourrir son œuvre de sa propre expérience. Ainsi l’installation en perpétuelle expansion (des versions augmentées seront présentées tout au long des six mois de l’exposition) est un tunnel temporel liant passé, présent et futur. C’est ainsi à une relecture du savant et de l’explorateur que nous convie l’artiste.

Super-héros au casque d’acier ciselé aux ornements riches et travaillés dans le plus bel art d’une furussiyya futuriste, Léon l’Africain nous invite, dans sa quête initiatique à la découverte d’une géographie fantastique futuriste truffée de références à l’art et l’architecture islamiques. Mounir Ayache imagine ainsi un décor futuriste où se fondent sculptures traditionnelles et numériques, images fixes et animées ; un
environnement où virtuel et réel se superposent, dans une réappropriation de l’imaginaire des expériences et identités arabes.
Cette œuvre se construit sur le droit à l’autoreprésentation dans l’invention d’une technoscience futuriste décolonisée.

Gaby Sahhar « Jour » 2022, huile, bâton d’huile et graphite sur lin

C’est enfin à une réflexion sur la déshumanisation des sociétés modernes et à une critique de nos espaces urbains normatifs que nous invite l’artiste palestinien·ne Gaby Sahhar, avec sa peinture de grand format intitulée Jour (2022). Iel y représente une société cyberpunk faite d’acier. Aucune forme organique ne prend place dans cet univers ultra-moderne et terriblement standardisé. Les dérives du tout technique,
de la vitesse, interrogent sur la violence de nos sociétés et leurs aspects normatifs et compétitifs. L’artiste explore l’impact feutré, et pourtant très puissant, des dynamiques d’oppression et de standardisation des sociétés actuelles, qui ne laissent pas de places aux multiples identités culturelles ou de genre. La somme de ces explorations se traduit sous son œil par des scènes urbaines spéculatives qui, bien que familières,
véhiculent un net sentiment d’étrangeté. Tandis que nous y reconnaissons des éléments archétypaux de notre réalité, les villes de Sahhar et leurs habitants semblent appartenir à un monde de cyborgs, anonymes et inexpressifs, entravés dans l’expression de leur singularité par cet espace public normatif.

La sélection d’artistes qui suit ouvre les portes de futurs pluriels par l’invention de nouvelles possibilités d’existence. Hybridations, réécriture des mythes, nouvelles humanités, mondes fantastiques et post-humains sont les territoires narratifs explorés dans cet espace. Ces futurs hybrides et imaginaires sont ceux d’artistes aux revendications radicales de changement, refusant les paradigmes actuels et les modèles patriarcaux, capitalistes, expansionnistes qui ont régi jusqu’à présent les sociétés humaines.

HYBRIDATIONS ET NOUVELLES HUMANITÉS

Ici le monstre, l’alien ne sont pas là pour effrayer mais pour témoigner des frontières sociales, des histoires amputées et des limites morales de l’humanité. Ils ne sont pas des figures de l’horreur, mais de nouvelles possibilités. Ils incarnent les marges et revendiquent physiquement une singularité pouvant se déployer sans crainte dans des univers à leur mesure. Les artistes dessinent les nouveaux paradigmes de l’altérité, en la mettant au centre des futurs à venir.
Ainsi dans les peintures et dessins de l’artiste française Neïla Czermak Ichti, sorcières, femmes à antennes, visages volants et autres créatures hybrides exposent l’altérité étrange, la monstruosité désirable et leur existence en chacun de nous. Peuplées de références à la pop culture, aux films d’horreur et aux mangas, ces œuvres déploient leur cortège de créatures fantastiques, dans lesquelles nous pourrions voir une réinterprétation des djinns médiévaux. Peintre, dessinatrice et conteuse, l’artiste propose une représentation futuriste de l’étrange et du merveilleux.

Tarek Lakhrissi, avec ses deux bas-reliefs, The Hours et The Kiss (2023), reprend à son compte cet art classique, très présent dans l’espace public français, et porteur d’une mémoire officielle. Poète, vidéaste, performeur et plasticien, Lakhrissi, dans la création de ces
œuvres, cherche à faire acte de « réparation poétique » d’une histoire fragmentaire. Ici, les démons deviennent iridescents, queers, sereins car ils servent l’humanité. Ces puissances magiques qui constituent la contre-histoire des marges et des minorités sont l’avenir des sociétés et honorées à la hauteur de leur rôle. L’hybridation humaine par les puissances magiques aujourd’hui invisibilisées suggère des manières possibles de remodeler les êtres humains dans l’avenir.
Cette série d’œuvres propose l’effacement des paradigmes normatifs et la renégociation des liens entre humain et non-humain, réel et merveilleux, sciences et nouveaux imaginaires et cela jusqu’à développer dans l’œuvre vidéo de l’artiste saoudien Ayman Zedani une
nouvelle philosophie de la matière animée, regroupant les organismes vivants et non vivants. Non-humancollaborators (2020) est une installation vidéo qui explore le dynamisme de la matière à travers le prisme des nouvelles philosophies matérialistes. Pour produire ses œuvres de manière à la fois factuelle et fictive, Zedani a travaillé avec des composants non humains : vivants comme les plantes et les bactéries, ou inanimés, comme l’argile et le sel. Il a mené différentes expériences dans un espace artificiel et a documenté les différentes façons dont ces éléments pourraient évoluer ensemble sans intervention humaine.
Les œuvres de cette section reconsidèrent les frontières entre l’humain et le non-humain, en ouvrant la discussion sur l’altérité non humaine et imaginant des futurs transhumains alternatifs.

ARCHÉO-FICTIONS OU L’ARCHÉOLOGIE DE LA RUINE

Larissa Sansour & Søren Lind « In the Future They Ate From the Finest Porcelain » 2015, vidéo numérique, couleur, son
© Larissa Sansour

L’exhumation du passé dans des mondes futurs introduit le rôle du mythe dans la formation de l’Histoire et de l’identité nationale, sociale, culturelle, de genre ou encore technologique. Dans cette section, quatre artistes réimaginent des passés ou des histoires oubliés, afin de mieux reformuler le présent et créer des futurs alternatifs. Le discours porté par l’artiste palestinienne Larissa Sansour avec le danois Søren
Lind, la tunisienne Aïcha Snoussi ou encore le franco-marocain Hicham Berrada, se situe à l’intersection de la science-fiction, de l’archéologie et de la politique.
Ces artistes proposent une réflexion poétique sur la « politisation » de l’archéologie créant une résonance entre le passé, le présent et le futur dans le cadre de leurs œuvres spéculatives. En mettant en lumière un mythe politique pour Sansour et Lind, queer pour Snoussi ou technologique pour Berrada, leur travail devient une intervention historique aboutissant de facto à une réinvention du passé et une critique du présent.
In the Future, They Ate From the Finest Porcelain (2015) de Larissa Sansour et Søren Lind est une installation filmique se présentant comme un essai documentaire fictionnel inspiré par la politisation de l’archéologie en Israël/Palestine. Combinant prises de vue réelles, images de synthèse et photographies d’archives, le film explore le rôle du mythe et de la fiction dans l’écriture de l’histoire et la création des identités nationales.
Un groupe de résistants auto-proclamés enfouit dans le sol des porcelaines, décorées du motif traditionnel palestinien du keffieh et qui sont censées appartenir à une civilisation entièrement fictive. Le groupe espère ainsi influer sur l’histoire et apporter leur soutien à de futures revendications territoriales. Une fois déterrées, ces porcelaines témoigneront de l’existence de ce peuple contrefait. Par l’établissement d’un tel mythe, le geste posé par le groupe de résistance devient une intervention historique donnant naissance de facto à une nouvelle nation.

Aïcha Snoussi, elle, présente Chaos Archéologie, ٣, ٢ , ١ (2022), une nouvelle étape dans son travail d’archéologie-fiction. Ici, pas de céramique mais la magie et la fragilité du papier. En exhumant ces artefacts, l’artiste s’engage dans la documentation d’une grande
civilisation oubliée, aux fondements hybrides, fluides, organiques, et ancrés dans des pratiques magiques et mystiques. L’artiste inscrit des traits de magie et de spiritualité tunisiennes dans ces civilisations imaginaires, interrogeant ainsi la légitimité des savoirs hégémoniques enseignés jusque-là, afin de reformuler les potentialités d’un futur moins empirique.

Dans Terre future, après la pluie (2022), Hicham Berrada présente un grand terrarium dans lequel des circuits imprimés se décomposent lentement, rongés par l’humidité et la végétation, et retournent à la terre dans une brume dramaturgique. Ce seront les dernières traces de la présence humaine quand celle-ci aura disparu de la planète. L’œuvre relève de la poésie de la ruine qui articule tout le travail de l’artiste.
Séduisante, elle repose sur la certitude de la catastrophe inéluctable. Alors que des sociétés humaines ont pu léguer à l’humanité temples et vestiges antiques, les sociétés modernes ne laisseront que des cartes-mères rouillées, symbole de l’obsolescence et de l’inconsistance des réalisations du monde actuel.

MONDES ORGANIQUES, MONDES À VENIR

L’urgence du dérèglement climatique et la conscience de l’impact de l’activité humaine sur le monde naturel alimentent la création d’œuvres post-humaines, illustrant la résilience des mondes et les nombreuses réinventions du vivant après la fin du règne humain.
Ces créations interrogent et critiquent notre société et son idéal de croissance perpétuelle qui nous mènent à l’autodestruction. Mais la fin n’est que le début d’autre chose, la force créatrice de la nature perpétuera les formes fantasques du vivant qui nous survivra dans cet
avenir post-humain.
Les artistes rêvent et rendent plausible une communion avec la nature et le vivant dans un avenir non anthropocentrique. Toutes ces œuvres ont en commun de mettre en avant nos liens d’interdépendance avec ce qui nous entoure, vivant et non vivant.
Ainsi l’artiste libanaise Hala Schoukair explore de longue date un langage pictural organique et vivant. Son travail minutieux s’emploie à magnifier la beauté de la répétition infinie d’un motif, compose des mondes organiques, neuronaux ou encore aquatiques, invitant à l’avènement d’une nouvelle cosmogonie. Ses tableaux oscillent entre l’infiniment petit et l’infiniment grand et semblent révéler l’intimité imperceptible des bruissements permanents du monde organique qui vit autour de nous et que nous négligeons. Un ressenti qui va jusqu’à l’échelle vibratoire jouant sur l’incontrôlable recolonisation des mondes par ces organismes géologiques mutants et poétiques, synonymes d’espoir et de vies nouvelles.

Dans sa dernière série de sculptures, intitulée Les Hygres (2023), Hicham Berrada défie et hybride les lois du vivant. En artiste démiurge, il crée et expérimente des œuvres-laboratoires dans lesquelles il fusionne organismes vivants et non vivants. Pour ces trois sculptures, l’artiste applique la symétrie bilatérale, une loi biologique qui régit la majorité des formes animales, à des entités minérales. Se présentent ainsi devant nous des êtres composites, défiant les lois naturelles. Fusions, combinaisons, hybridations entre la matière inerte et organique, Berrada invite à la recomposition des lois terrestres dans un environnement post-humain. La matière inerte devient vivante, ces
sculptures se métamorphosent en oracle ou matière divinatoire. Structurées autour de cet axe central, test de Rorschach iridescent, elles deviennent ce que l’observateur souhaite y voir.

Les céramiques de l’artiste libanaise Souraya Haddad Credoz sont, elles, à appréhender comme des créatures nées d’un univers dormant en nous, un environnement à la fois familier et non encore formé. Ouvertes aux lectures et aux interprétations individuelles, elles offrent la possibilité d’un avenir symbiotique. Ces concrétions semblent témoigner d’un monde en construction, en fusion et bouillonnement, entre nature organique et minérale. Ses bouquets et chimères, par le jeu de leur présence, déclenchent l’imagination ; ils s’immiscent dans notre subconscient pour nourrir les mythologies de la création de mondes futurs.

Zahrah Al Ghamdi « Mycelium Running », 2023, pièces en cuir naturel Courtesy de l’artiste et de Athr Gallery

C’est sur l’œuvre de Zahrah Al Ghamdi Mycelium Running (2018-2024) que l’exposition se clôt. L’artiste est venue installer plus de 1000 pièces en cuir qu’elle a minutieusement coupées, cousues, rembourrées, faites bouillir et brûlées. Assemblés sur les murs et le sol, les éléments s’apparentent à un nouvel organisme vivant, animal ou végétal, qui semble proliférer et s’adapter à son environnement. L’artiste fait
ici l’apologie de la collaboration, ces champignons du futur ainsi amalgamés, entrelacés, interconnectés recolonisant les espaces artificiels, asséchés par l’arrogance humaine. Ces champignons, se propagent et progressent vers la sortie de l’exposition, comme dans un mouvement irrépressible : ils nous invitent à participer à cette force créatrice et à poursuive nos réflexions pour demain.

Exposition « Arabofuturs, Science-fiction et nouveaux imaginaires » jusqu’au 12 janvier 2025 à l’Institut du monde arabe – 1, rue des Fossés-Saint-Bernard – Place Mohammed V – 75005 Paris
01 40 51 38 38 / www.imarabe.org

Photo d’en-tête : Arabofuturs – IMA © Skyseeef

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