L’exposition « Primavera, Primavera » propose un regard prospectif sur les créations d’une sélection d’artistes qui portent les interrogations, les doutes et les luttes des jeunes générations. À l’heure où la crise climatique et ses conséquences imprègnent nos pensées, nos manières d’habiter, de consommer et de faire, quelles conduites et alternatives engager pour faire face à ce monde changeant ? Devant les complexités de vie grandissantes et dans une société où les logiques de mondialisation dominent, la nouvelle génération reste pleinement consciente des défis à relever.
Les œuvres de la collection du Frac constituent le cœur de l’exposition, auxquelles s’ajoutent des invitations spécifiques qui interagissent avec celles-ci. Les créations présentées n’apportent pas de réponses préconçues face à un état du monde mais traduisent plutôt les inquiétudes, les revendications ou encore les aspirations d’un ensemble d’artistes.
Comment assument-ils ou assument-elles leur héritage, issu d’histoires familiales, sociétales ou encore coloniales ? Formant un réseau complexe de mémoires et de trajectoires personnelles, ce passé est aussi un terreau d’où émergent de nouveaux modes de pensées, pour comprendre d’où l’on vient et savoir où l’on va.
Les transmissions intergénérationnelles, des savoirs ou des expériences, sont également évoquées.
Par ailleurs, les artistes de la scène contemporaine sont fortement conscients des enjeux climatiques d’aujourd’hui. Aussi, l’attention et le soin envers le vivant, le monde et ses ressources, les espèces qui l’habitent, constituent une de leurs préoccupations majeures. Est-ce pour mieux endiguer les ravages déjà causés ou pour réparer en partie notre présent ?
La pratique collective ou de cocréation demeure une alternative pour mieux appréhender un avenir aux contours flous, dans une communauté de pensées et une mise en commun des énergies. L’impact des réseaux sociaux, et le développement exponentiel des technologies numériques ont profondément modifié les fondements de la relation entre les individus. L’écran est autant le symbole d’une fenêtre ouverte sur le monde que celui d’un miroir, isolant et parfois déformant.
Passé et présent portent en eux les germes de futurs envisageables, à soigner et à cultiver, qui ne sont pas encore écrits. Les artistes présentés ici remettent en cause un système centré uniquement sur l’humain pour proposer des modèles inédits, de nouveaux récits, intégrant le vivant dans son ensemble.
«Primavera, Primavera» s’inspire du rhizome, tel que conceptualisé par les philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari [1] qui le définissent comme une structure évoluant en permanence, dans toutes les directions et de façon horizontale. Ainsi, il n’est pas question ici de hiérarchisation, mais plutôt de privilégier des liens transversaux. Chaque alcôve de l’exposition est investie comme un îlot en soi, constitutif d’une chaîne formant en son tout un archipel rhizomique, où la porosité des œuvres présentées participe à une polyphonie de voix et de pensées.
«Primavera, Primavera» inaugure un cycle d’expositions en 2025 en Nouvelle-Aquitaine dédié à la jeunesse, à partir des œuvres de la collection du Frac.
Parcours de l’exposition
L’exposition se partage en différents chapitres, favorisant des résonances et une pensée buissonnière qui apparaissent de manière récurrente dans les réflexions de nombreux artistes ces dernières années.
La somme des sédiments
Les sujets de préoccupations de nombre d’artistes contemporains font état des mouvements et des flux dont nous sommes les héritiers. Qu’il s’agisse de géographies humaines, d’exploitation des corps, de frontières effacées, de circulation des biens, de domination culturelle, d’émancipation, ou encore de transmission et d’appartenance culturelle, ces artistes ont tous en commun de sonder notre passé, celui d’où nous venons. En marge des histoires auxquelles nous sommes inévitablement liés, la pluralité des voix présentes ici (Julien Creuzet, Alex Ayed, Nina Laisné ou encore de Cécile Vignau), nous plonge dans des récits de déplacements, d’inversement de rapports et de récupération. Au-delà de nos origines, il s’agit aujourd’hui de se demander vers quoi nous tendons, dans un monde où les sociétés et les cultures sont divisées par tant de frontières politiques et idéologiques.
En bonne compagnie
Le collectif, l’auto-organisation, l’œuvre participative ou créée à plusieurs apparaissent de façon croissante comme des alternatives aux modèles classiques de production. Dans une ère post-covid et un contexte de plus en plus précarisant, ce « faire ensemble » opère à différents niveaux, de la collaboration ponctuelle à une démarche de co-création. Ce mode de travail se positionne comme un acte de résilience où l’intelligence collective, tout en se substituant à un individualisme prégnant, offre de nouvelles perspectives. Ces modèles se sont aujourd’hui multipliés pour réinventer un travail artistique durable, fondé sur des aspirations à la fois humanistes, écologiques et économiques
(Palette Terre, Daniel Dewar & Grégory Gicquel, Fossile Futur). Dans cette logique, le processus gagne ainsi en force face à une forme prédéfinie, laissant place aux imprévus et à la notion de hasard. Comment un artiste peut exister à travers le groupe ? Quelles sont ces pratiques, à la fois inclusives et pédagogiques, menées par toute une génération d’artistes dont le cœur du travail émerge du collectif ?
Panser les mondes
Comment pouvons-nous aujourd’hui envisager nos modes de vie, de production et de consommation dans un monde bouleversé par tant de crises ? Qu’il soit question d’écologie, d’économie, d’éducation ou de santé, il s’agit aujourd’hui de déplacer les discours et les perceptions ancestrales dont nous sommes légataires pour ouvrir le champ des possibles. Alizée Armet, Calypso Debrot, Morvarik K interrogent les connaissances scientifiques et leurs représentations, tout en imaginant la possibilité d’un art « vert » et durable, depuis sa source, sa conception, jusqu’à sa diffusion. Sont également évoquées ici les notions d’apprentissage et de soin, qui attraient autant à des corps blessés, fragilisés ou contraints, qu’à notre environnement naturel. L’empathie, l’attention ou encore la réparation incarnent des valeurs humanistes qui sont autant de leviers d’actions et de luttes portés par les courants écologistes et féministes.
De vives voix
Rendre visible ce qui est habituellement invisible, minoré, voire discrédité, par le biais de séances de travail collectives, telle est l’intention des œuvres de Carla Adra et de Charlie Aubry. Par un subtil recueil de mots, de témoignages et de souvenirs, ces artistes interrogent nos conceptions sociétales préétablies en tendant la main à celles et ceux qui, par le simple fait de leur âge ou de leur appartenance culturelle, sont marginalisés. Que nous disent alors ces artistes qui, par le prisme d’une pratique largement tournée vers l’autre, font preuve d’empathie ? Sur fond d’échanges et de réciprocité, il est question de transmission de savoirs et de partage d’expériences.
De la chambre à la fenêtre
L’usage de la chambre atteint son plein essor au XXe siècle en France, en même temps que l’amplification des notions d’individualité, d’intimité et de vie privée. Virginia Woolf préconise le besoin d’un “espace à soi”, libéré de toute obligation sociale et familiale, permettant de jouir d’un lieu propre au sein duquel chaque femme peut y défendre sa liberté de penser, de rêver et de créer. Cette mise en retrait temporaire, telle que proposée par l’autrice, est fondamentale pour favoriser les conditions idéales d’un acte créatif. Cette chambre, que l’on peut par analogie comparer à l’atelier de l’artiste, est à la fois un espace physique et psychique, induisant une forme de réclusion, nécessaire au développement d’une vie intérieure, d’un regard introspectif et d’une identité (Juliana Dorso). Cependant le psychiatre Jacques Lacan précise que, dans “le stade du miroir”, la construction psychologique de soi ne devient opérante qu’avec la présence et le regard d’autrui. Ce processus s’est accentué avec l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, nouveaux espaces où la sphère privée déborde sur la sphère publique, où l’on donne à voir certains aspects de sa vie intime, mettant au jour le concept d’extimité (Molly Soda, Ben Elliott). Au miroir s’ajoutent les écrans, qui jouent aujourd’hui un rôle de filtres (parfois déformants) et de fenêtres, dans la diffusion des représentations et des images de soi.
Narrations spéculatives
Comment les artistes d’aujourd’hui envisagent notre avenir, proche ou lointain ? L’ère anthropocène, caractérisée par le fort impact environnemental des activités humaines sur notre planète, constitue le fondement des diverses perspectives présentées.
Ni utopiques, ni dystopiques, les œuvres de Sara Sadik, Lola Gonzalez, ou encore Tarek Lakhrissi sont ici autant d’échappées fictives, ouvrant la porte à de nouveaux récits créateurs. Rituels libérateurs, fédération de personnes, amitiés ou relations amoureuses semblent constituer les bases d’une civilisation nouvelle. Reprenant les codes du cinéma d’anticipation et de la science-fiction, les artistes Morgane Jouvencel, Lény Bernay, Selim Bentounes et Anonyme imaginent, non pas la fin de la vie, mais l’émergence de mondes alternatifs. Ils réorientent nos futurs par le biais de « narrations spéculatives » [2]. À la fois musiciens, poètes, cinéastes, plasticiens, les artistes favorisent, à l’image de leurs pratiques protéiformes, l’hybridation, l’interconnexion, l’alliance, la collaboration et la cohabitation entre humains et non-humains. Ces futurs envisageables sont les marques d’une résistance et d’une contestation face à un présent enlisé dans de multiples crises qui ne répond pas aux attentes de la jeunesse actuelle.
35 artistes dont 4 collectifs + 50 œuvres
CARLA ADRA, ANONYME, LÉNY BERNAY, CHARLIE AUBRY, ALIZÉE ARMET, ALEX AYED, SELIM BENTOUNES,
COLLECTIF BIENTÔT FINI (CLÉMENTINE BETH, CALYPSO DEBROT, LUCILE GENIN, MAYA PAULES, LUCIE SCHNEIDER), LOU CHAVEPAYRE, JULIEN CREUZET, CALYPSO DEBROT, DANIEL DEWAR & GRÉGORY GICQUEL, JULIANA DORSO, KENNY DUNKAN, BEN ELLIOT, FOSSILE FUTUR, EVA GEORGY, LOLA GONZÀLEZ, JARDIN, MORGANE JOUVENCEL, MORVARID K, EURIDICE ZAITUNA KALA, ÖZGÜR KAR, TAREK LAKHRISSI, NINA LAISNÉ, NTSHEPE TSEKERE BOPAPE, RAFAEL MORENO, PALETTE TERRE (BASTIEN COSSON, AURÉLIEN PORTE, NICOLAS ROGGY, JONATHAN BINET, SYLVIE FANCHON, NICOLAS CHARDON, JOSQUIN GOUILLY FROSSARD, JULIEN MONNERIE, MAXIME BARON, KARINA BISCH, WE ARE THE PAINTERS, CORENTIN CANESSON,
ROMAIN POUSSIN, ÉMILE VAPPEREAU, ANTOINE RENARD, OLGA ROGER-DEBROT, KEVIN ROUILLARD, SARA SADIK, ZEINAB SALEH, MOLLY SODA, ARTIE VIERKANT, CÉCILE VIGNAU…
Commissaires d’exposition : Karen Tanguy et Émeline Vincent
Exposition « Primavera, Primavera » du 16 novembre 2024 au 25 mai 2025 – FRAC NOUVELLE-AQUITAINE MÉCA – MÉCA, 5 Parvis Corto Maltese – 33800 – Bordeaux
Tél. 05 56 24 71 36
WWW.FRACNOUVELLEAQUITAINE-MECA.FR
[1] Gilles Deleuze et Félix Guattari, Rhizome, Les Éditions de Minuit, Paris, 1975
[2] Notion développée, entre autres, par les philosophes Donna Haraway, Isabelle Stengers ou Vinciane Despret
Photo d’en-tête : Lola Gonzàlez, Tonnerres, 2022, collection Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA © Adagp, Paris, 2024