La Cité des sciences et de l’industrie ouvre ses portes à l’invisible avec Mare Nubium, une installation de Charlotte Charbonnel qui transcende les frontières entre art et science. En s’inspirant de la « mer des Nuées » lunaire, l’artiste propose un voyage sensoriel où matières terrestres et phénomènes cosmiques entrent en résonance. Des métaux liquéfiés aux vibrations lunaires, Charbonnel déploie une poésie visuelle et sonore captivante, nous plongeant dans une réflexion sur la transformation et les forces élémentaires. Avec une virtuosité qui conjugue science et art, Mare Nubium explore les métamorphoses de la matière, traduisant en formes tangibles l’énergie et le mouvement qui façonnent notre univers. L’exposition invite le public à plonger au cœur de phénomènes naturels, mêlant fluides, ondes et vibrations dans une expérience étonnante. À travers cette exposition, la Cité des sciences et de l’industrie réaffirme son engagement à promouvoir des projets où l’expérimentation artistique et la recherche scientifique se rencontrent.
Mare Nubium nous invite à éprouver cette matière paradoxalement morte et vivante, fluide et solide, fixe et mouvante, qui traverse l’espace pour échafauder de nouveaux regards sur le monde.”
Par Gaël Charbau, conseiller artistique d’Universcience
Charlotte Charbonnel est la deuxième artiste invitée dans le cadre des expositions monographiques que la galerie Art et sciences de la Cité des sciences et de l’industrie consacre cette saison à l’approche de la matière dans la pratique des artistes contemporains.
Reconnue pour sa pratique autour des matériaux et les phénomènes invisibles, Charlotte Charbonnel explore des éléments naturels comme les minéraux, l’eau ou les ondes sonores et électromagnétiques, qu’elle manipule dans des œuvres qui relèvent de l’expérience physique et poétique.
Pour son exposition Mare Nubium (mer des Nuées), elle a cherché à établir un dialogue avec les espaces de la Cité des sciences et de l’industrie. Elle a souhaité que son exposition soit comme « un grand écoulement de matière » qui dévalerait depuis les plafonds jusqu’à la galerie.
Un immense matériau réfléchissant, initialement développé par la Nasa, s’anime progressivement par des projections de lumières et de vidéos pour se jeter dans une matière en constante transformation…
Il s’agit de gallium, un métal dont le point de fusion très bas (29,8° C) lui permet d’alterner état solide et état liquide. Les vidéos présentées sont issues de films tournés
à 1 000 images par seconde, réalisées par l’artiste avec le Laboratoire Magma et Volcan (université Clermont-Auvergne) qui étudie, entre autres, l’écoulement pyroclastique. Dans l’installation, tel un grand travelling synesthésique, la matière est en premier lieu lumière, devient image en mouvement, puis liquide en fusion, avant de se figer dans un volume en apparence inerte.
L’exposition évoque l’énergie à travers la chaleur, les craquements, la dilatation de la surface de la Lune : Mare Nubium renvoie en effet à la « mer lunaire » située dans le bassin des Nuées, sur la face visible de la Lune, une grande étendue remplie de lave refroidie.
L’artiste souligne l’influence réciproque entre la Terre et la Lune. Loin d’être un astre mort, la Lune est régulièrement animée de sursauts sismiques, mis en évidence par des capteurs installés par la Nasa lors des missions Apollo. La pièce Sélénéphonie traduit en ondes sonores cette activité en faisant vibrer une plaque de métal.
Les œuvres de la série Molybdomancies, Morphologie des cendres, Fulgur et les grandes photographies Mécanique des laves nous plongent au cœur de la matière où l’infiniment petit semble former un paysage dont nous aurions perdu l’échelle. Comme extraites de ce magma minéral, apparaissent ici et là des roches volcaniques sur lesquelles sont imprimées des vues de la Lune et d’autres astres.
Mare Nubium nous invite ainsi à éprouver cette matière paradoxalement morte et vivante, fluide et solide, fixe et mouvante, qui traverse l’espace pour échafauder de nouveaux regards sur le monde.
Sélection d’œuvres
La série Molybdomancies est tirée d’une pratique de divination antique consistant à faire fondre du plomb avant de le jeter dans de l’eau froide et d’interpréter la forme
apparue. En s’inspirant de cette technique, l’artiste a répertorié différents métaux afin d’observer leurs formes et leurs réactions.
Dans l’exposition Mare Nubium, les molybdomancies sont accrochées et dialoguent avec les différents états liquides, solides et en mouvement de la matière métallique évoquant le noyau terrestre.
Larmes de la terre : Sur cette paroi mouvante, les glissements d’une matière filmée au rythme de 1 000 images par seconde sont projetés, montrant l’empreinte des particules en déplacement. Ces images peuvent évoquer un processus d’érosion sous l’action du vent ou de l’eau, entre usure et transformation du paysage, une avalanche de neige fondue ou quelque paysage extraterrestre.
Mare Nubium : Les installations Substratum liquide et Mare Nubium, composées de gallium et de matière miroir, sont évolutives et mouvantes. Elles évoquent l’énergie et la transformation d’un paysage lunaire qui se rétracte et se dilate sous l’effet de la chaleur comparable à une grande étendue de lave liquide qui se refroidit.
Morphologies des cendres : L’installation Morphologies des cendres est réalisée à partir d’une succession d’images de cendres de lave d’Auvergne (de 20 à 30 microns) faites au microscope avant d’être montées en film. Des centaines d’images sont assemblées et donnent la sensation d’un morphing, évoquant une radiographie
où l’on entre dans la matière de la cendre.
Sélénéphonie : Cet instrument évoquant une parabole traduit en ondes sonores l’activité sismique lunaire enregistrée lors des missions Apollo, nous faisant entendre les vibrations du satellite à travers la matière d’un grand disque de métal.
Une artiste liée à l’invisible
L’artiste Charlotte Charbonnel, née en 1980, vit et travaille à Paris. Après une résidence de trois mois en Inde à la Sanskriti Kendra Foundation en 2003, elle sort diplômée de l’École supérieure des Beaux-Arts de Tours (2004) et de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs (2008). Nommée « Woman to Watch » par le National Museum of Women in the Arts de Washington, D.C. (2018), elle a exposé dans différentes institutions dont le Centre d’art contemporain La Maréchalerie de Versailles, la Verrière Hermès de Bruxelles, le Palais de Tokyo à Paris, le MAC VAL à Vitry-sur-Seine, l’Abbaye de Maubuisson à Saint-Ouen-l’Aumône, le Creux de l’enfer à Thiers ou encore le Kunstmuseum à Bonn en Allemagne.
Plusieurs catalogues d’exposition ont été publiés ainsi qu’une monographie de son travail, A07-AI7, diffusée aux Presses du réel.
« Depuis plusieurs années, Charlotte Charbonnel semble vouloir tisser les liens invisibles qui unissent les matières élémentaires de l’univers. Sa pratique pluridisciplinaire est liée à l’espace et se nourrit des sciences, de collaborations et d’enquêtes dans différents domaines et disciplines.
L’auscultation méticuleuse de la nature a notamment conduit l’artiste à s’intéresser de près aux fluides ou aux vibrations mécaniques des matériaux : chants des cailloux dans une rivière, sifflement du vent islandais… Le son s’est révélé être un moyen évident de captation et de transmission. À l’écoute du monde, elle a exploré et transmis la vibration acoustique des lieux où elle a été invitée à exposer.
En suivant des protocoles précis qui donnent à percevoir différemment un phénomène complexe, l’artiste crée un terreau fertile à l’imaginaire. Elle revisite avec enchantement les formes qui ont toujours exercé une fascination sur les Hommes : celles qui se situent dans l’interaction des quatre éléments ou la nature élémentaire de l’univers, rendant la vision d’un ciel étoilé ou le spectacle de la formation des nuages magnétisants. »
Nathalie Desmet, critique d’art et commissaire d’expositions
Exposition Charlotte Charbonnel, du 26 novembre 2024 au 20 avril 2025 à la Cité des sciences et de l’industrie – 30 avenue Corentin Cariou – 75019 – Paris