Qui mieux que les artistes et les acteurs culturels pour mobiliser sur les enjeux sociétaux et environnementaux ? A partir de ce postulat, l’association COAL a décidé de soutenir le rôle incontournable de la création et de la culture dans les prises de conscience et les mises en œuvre de solutions concrètes, en collaboration avec les institutions, les collectivités, les ONG, les scientifiques et les entreprises. A la question « Comment imaginez-vous le monde qui vient ? », l’artiste Louis Guillaume répond, à l’occasion du Prix COAL, « vivant » 2020.
Le prix COAL s’attache à promouvoir l’émergence d’une culture de l’écologie et la transformation des territoires par l’art en développant des programmes artistiques. Il offre à dix artistes l’opportunité de témoigner, d’imaginer, d’expérimenter avec l’objectif d’œuvrer pour un monde plus respectueux du vivant et de l’équilibre écologique. Par leurs créations, les artistes peuvent inciter les décideurs et les citoyens à prendre la mesure de l’urgence, celle d’un vivant menacé et pourtant riche d’une diversité infinie ; mettre en lumière l’extrême fragilité et l’immense force du vivant ; et contribuer activement à enrayer son extinction massive.
A l’honneur cette année, parmi dix autres artistes, Louis Guillaume, qui présente le projet Saisons et espèces, structures du vivant.
Né en 1995 à Rennes, l’artiste y vit et y travaille. A 24 ans, récemment sorti de l’école des Beaux-Arts de Rennes, sa pratique s’est nourrie de nombreux voyages entre l’Europe, l’Asie et l’Amérique ainsi que de multiples collaborations avec des jardiniers et botanistes. Pour ses installations et sculptures, il glane selon les saisons et réalise des œuvres souvent éphémères, faisant des formes du vivant son axe de développement et de recherche principal.
“Saisons et espèces, structures du vivant ”
Tel un chasseur-cueilleur en quête permanente de ce qui lui servira de matériau, Louis Guillaume arpente les milieux comme autant de jardins où sont cartographiées des zones de récolte et d’approvisionnement en ressources naturelles, propres à chaque période de l’année. Il y cherche des alternatives naturelles à ce qui existe industriellement, faisant parfois appel à des traditions oubliées. Colle à base de bouleau, de résine de pin ou de gui, cheminée en turricule de vers de terre, c’est le lien plastique et usuel qui le lie à la matière. Imitant le végétal, il tend vers une autonomie des moyens et s’occupe de ses réalisations éphémères comme on prend soin d’une plante, en jardinier.
Avec Saisons et espèces, structures du vivant, il souhaite développer ces expérimentations centrées sur les saisons et les intempéries qui guident sa création : ramasser des nids de frelons abandonnés après certains coups de vent, profiter en mai des peupliers en période optimale de pollinisation, amasser de la turricule aux endroits où elle est la plus chargée en matière argileuse, étudier la structure interne alvéolaire des stipes et des feuilles du bananier d’Abyssinie en juin, le houx en juillet, les cheveux d’ange en août, le gui en décembre puis la coquille d’huître pour le reste des mois en bre…
La question du temps est omniprésente dans le vivant. S’en rapprocher, c’est activer une décélération, s’ouvrir à un monde qu’il faut observer pour le saisir et toucher pour le comprendre. Par ce processus de digestion biomimétique, Louis Guillaume construit un avenir tourné vers le progrès technique qui se trouve aussi dans ces formes de vie toujours innovantes et ces savoir-faire présents depuis bien plus longtemps que nous.
Interview
Décrivez-nous votre environnement actuel, comment vivez-vous cette ère de covid-19 ? Comment cette situation influence-t-elle votre démarche artistique ?
Je le vis étrangement bien. J’ai quitté mon appartement et mon atelier à Rennes pour venir à la Rochelle chez mes parents. Je suis dans une situation de confinement plutôt agréable, entouré de ma famille et d’un jardin. Tout le monde va bien autour de moi, c’est un point important. Je vis à peu près normalement grâce à tous ces gens qui sont mobilisés sur le terrain et qui font de leur mieux pour que le monde ne sombre pas dans un chaos total. Autrement, je suis dehors la plupart du temps, dans mon jardin que je n’ai jamais fini d’observer. Je me dis aussi que c’est une vraie opportunité pour la nature qui est en pleine période de reproduction pour donner le meilleur d’elle-même pour assurer sa pérennité. Artistiquement, ma pratique sculpturale est entrée en hibernation, alors que la pratique du dessin et de la peinture que j’avais ensevelies depuis mon entrée aux Beaux-arts reprend des couleurs. La situation actuelle est pleine de contraintes, il faut voir comment s’en inspirer, travailler avec la contrainte est toujours quelque chose de formateur. Je suis aussi actuellement sur l’écriture d’un scénario autour du sujet de l’escargot. L’idée m’est venue alors que je jardinais et qu’une limace a commencé à faire des motifs sur mon t-shirt. L’histoire évoquera des situations du confinement, tout en basant la narration autour d’un jeune homme, d’une rencontre bouleversante, jusqu’à une métamorphose, évoquant des questions sur le genre.
D’où vous vient cette sensibilité au vivant, au végétal ? Et qu’est-ce qui vous fascine dans les saisons, les conditions climatiques qui régissent un milieu, les matériaux organiques ?
J’ai depuis longtemps une sensibilité pour le végétal, que mon père passionné de jardin a su éveiller et aiguiser. Au niveau artistique, ce sont toutes les formes du vivant et leurs comportements qui m’intéressent et m’inspirent : le potentiel d’adaptation des plantes, la façon dont elles cohabitent dans un milieu, le réseau d’interdépendance de chaque élément. En mimétisme aux formes du vivant, mes réalisations sont éphémères, en évolution constante au fil du temps. Le terme d’œuvre pour moi englobe tout ce processus de récolte et de transformation jusqu’à la réalisation plastique. À la manière d’un architecte nomade, tout s’invente : de la récolte, au stockage, au déplacement, jusqu’au moment de l’installation. Tout cela, dans un cycle qui se perpétue au fil des saison et des déplacements. L’installation ou la réalisation plastique « achevée » n’est qu’une étape dans la vie de l’œuvre. C’est d’ailleurs sûrement pour cela que je les expose en suspension, dans une situation d’attente, de fragilité et de légèreté.
Votre formation aux Beaux-Arts de Rennes vous a-t-elle incité/permis de développer cet intérêt pour le vivant ? Quelle est la place accordée au vivant dans les Beaux-Arts ? Plus généralement dans l’art contemporain ?
Je pense qu’elle est de plus en plus présente au sein des Beaux-Arts. Notamment je crois par la présence de Nicolas Floc’h, enseignant à l’école et très investi sur ces questions. Les projets qu’il met en place au sein de l’EESAB jouent un rôle de sensibilisation auprès des étudiants. J’ai eu la chance de faire évoluer ma pratique en la confrontant à son regard. J’ai ensuite eu l’opportunité de faire une résidence sur OAO, son bateau d’exploration du milieu marin. Cela m’a permis de découvrir un milieu riche et encore peu représenté. Je m’y intéresse de plus en plus. Je pense aussi à Kristina Solomoukha qui m’a beaucoup apporté à propos de l’implication de l’art sur le monde politique.
Travailler avec le vivant, l’organique, pose la question des effets du temps, car il s’agit souvent d’œuvres qui ne se conservent pas. Selon moi, l’enjeu est là finalement : considérer / accepter l’œuvre d’art dans ses transformations, son instabilité, son caractère éphémère.
Racontez-nous un processus de transformation entre la matière récoltée telle quelle et la réalisation plastique que vous en tirez
Je ne transforme pas directement la matière, du moins pas tout le temps. J’essaie justement de préserver au maximum la matière que je trouve, pour pouvoir la réutiliser au fil de mes réalisations. Cela jusqu’à l’épuisement.
La véritable transformation s’exprime par ma réalisation plastique qui doit s’adapter à son déplacement, son installation, puis son stockage et ainsi de suite. C’est pour cela qu’elles sont souvent pensées en kit, à agencer, modulables et extensibles selon le lieu.
Néanmoins, ce qui arrive souvent c’est que je prélève de la matière pré-transformée par des processus naturels. Par exemple, les nids de frelons asiatiques. Ils sont composés d’écorce de bois, provenant d’une multitude d’arbres – préférant le vieux bois plus tendre pour en faire leur nid. En m’en saisissant, j’interfère à mon tour dans l’évolution de la matière qui a déjà subit la transformation des frelons. Puis, je réduis en poudre le nid pour en faire des sculptures mélangées à de la résine de pin. Le terme transformation est un changement d’état, de formes.
Au Mexique j’ai travaillé avec des peaux d’oranges grâce à un marchand qui les pelaient en de fines lamelles. Une forme que je n’avais jamais observée. Je n’avais que quelques heures pas plus, pour profiter de son élasticité afin de la tresser. La chaleur cristallisait l’ensemble rapidement. Plus tard je me suis aperçu que les fourmis s’étaient appropriées à leur tour ma réalisation. Elles disséquaient la peau afin de l’acheminer jusqu’à la fourmilière. La boucle était bouclée.
Créer à partir de la nature, qu’est-ce que ça change ? Peut-on dire que l’art est déjà dans la nature ? La nature dans l’art ? Aussi, comment vous situez-vous dans la frontière art/artisanat ?
Les formes d’art sont dans la nature en effet, on ne pourrait d’ailleurs pas penser se les approprier et faire mieux. Mais ces formes apparaissent aussi par le regard de l’homme, c’est justement en jumelant et en essayant de croiser ces regards qu’on peut essayer de créer des choses intéressantes. Instaurer une relation parallèle avec le vivant et l’humain au lieu d’une relation perpendiculaire. Créer à partir de la nature c’est adopter un comportement d’observation, de patience, une décélération dans le processus de fabrication. Personnellement, j’essaie de reconnecter ma pratique avec certaines traditions, artisanats, qui travaillent au contact de la matière, qui nous font éprouver la matière.
Comment envisagez-vous l’exposition de vos œuvres éphémères et mouvantes ?
J’essaie de m’écarter un peu du white cube mais l’œuvre, aussi éphémère et mouvante soit-elle, a besoin d’être contextualisée. Pour mon exposition de diplômé, aux Beaux-Arts de Rennes, j’ai par exemple choisi d’exposer dans le parc du Thabor, plus particulièrement dans les serres botaniques. Cette contextualisation dans ce parc permettait de retrouver le lien avec la provenance des matériaux. Mon intention était aussi de favoriser une approche pour un plus large public. Pour cela, à l’avenir j’aimerais beaucoup me rapprocher des Parcs botaniques et des espaces naturels pour l’exposition de mes travaux et conserver ce lien avec le milieu de mes recherches.
Je souhaite aussi développer mes recherches autour du spectacle vivant et de la performance. Les matières que j’utilise s’y prêtent bien. Mon processus de création possède déjà une part chorégraphique et onirique.
Comment réfléchissez-vous aux formes et temporalités de vos sculptures ?
Je m’inspire en observant les comportements des végétaux, des insectes, des animaux mais surtout, je choisis les matériaux avec lesquels je veux travailler, selon les caractéristiques de ceux que je récolte : leur élasticité, leur plasticité, leur souplesse. Je m’inspire des caractéristiques du matériau, de ce qu’il transporte avec lui, de ce qu’il a intégré pour s’adapter et évoluer.
Quel est votre rapport, en tant qu’artiste ou à titre personnel, à l’engagement environnemental ?
En tant qu’artiste, je compte faire partie de ce mouvement collectif de sensibilisation et de protection du vivant. Ouvrir aussi ma production avec des scientifiques et des acteurs engagés autour de la préservation des espèces, des végétaux, de l’environnement. Favoriser un processus de création respectueux de l’environnement à toutes les étapes. Transmettre à la jeune génération est aussi primordiale. En collaboration avec Béatrice Guilleman, nous avons animé des ateliers dans une école primaire autour des questions de collectes de matériaux naturels ou transformer afin de concevoir en trois dimensions un monde plus en lien avec la nature. J’ai aussi réalisé la scénographie de la chorégraphe Corinne Duval qui a pensé un spectacle destiné à la petite enfance, entièrement conçu à partir de matériaux naturels afin de sensibiliser les enfants à l’éveil des sens, aux sensations procurées par le contact avec l’organique. Dans ce travail de sensibilisation, la part d’esthétique est importante car elle permet une première accroche, elle permet d’attirer le regard à partir d’une forme, d’une sculpture, et d’aiguiser la curiosité des gens. Dans le cadre de mon exposition au Thabor par exemple, certaines personnes ont quitté l’exposition en ayant envie d’être plus attentifs à certains matériaux avec lesquels j’avais travaillés. La préservation de nos environnements provient de notre attention et des regards qu’on leur porte.
Comment imaginez-vous le monde qui vient ?
Je pense qu’il y a une prise de conscience de la valeur du vivant de plus en plus forte. Autour de moi j’entends beaucoup l’envie d’ouvrir des fermes, de se retrouver, de se reconnecter à l’environnement. Mais cette prise de conscience doit être relayée aussi par des décisions politiques concrètes. C’est pour cela que je suis heureux de pouvoir participer, grâce à COAL, au congrès de la Nature de L’UICN afin d’apporter une voix supplémentaire à l’association. Il faudra bien renouer ce lien avec le vivant qu’on a mis de côté. Le biomimétisme, la bio-inspiration peut elle aussi apporter la part de progrès qui est indispensable à l’homme. L’homme est un phasme indiscipliné. Il faut que l’on assimile le bon mouvement à avoir sur la branche pour ne pas qu’elle casse, que l’on adopte le bon comportement pour se fondre dans l’environnement sans trop l’affecter.
Photo d’en-tête : Louis Guillaume – Expérimentation autour de la peau d’oranges à l’école d’art Mérida, Mexique 2018 – Matériaux : Tasseau de bois, tube en PVC, lamelles de peaux d’orange