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arts et cultures

Les adhésifs muraux de Stéphane Dafflon : pour une rythmique visuelle décomplexée

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Pour sa première exposition personnelle au plateau et dans une institution à Paris, l’artiste suisse Stéphane Dafflon revisite entièrement les espaces du plateau pour une intervention tant architecturale que picturale, générant toute une série d’œuvres nouvelles, peintures, sculptures et adhésifs muraux. Dans ce champ de l’abstraction qui est le sien, cette intervention et ces œuvres tendent à modifier notre perception du réel.
 
Les adhésifs muraux aux couleurs et nuances infinies confèrent à l’espace une puissance vibratoire, à la manière d’une onde qui entrerait en résonance avec l’architecture du lieu.
Créé à l’écran tout d’abord puis transposé de l’ordinateur à la toile ou au mur, le travail pictural de Stéphane Dafflon est toujours pensé pour un lieu, pour une architecture bien précise, dans laquelle il s’inscrit et sur laquelle il va agir pour modifier la perception qu’en a le spectateur, aussi bien visuellement que physiquement.
Par le long fondu enchaîné chromatique qui se déroule à travers l’installation murale que propose Stéphane Dafflon, l’espace du plateau est comme mis en mouvement et les sensations que le visiteur y éprouve témoignent d’une parenté certaine avec l’univers de la musique.
Non circonscrites au seul médium de la peinture, les œuvres abstraites de Stéphane Dafflon se développent également depuis quelques années sous la forme de sculptures. Les œuvres qu’il réalise en trois dimensions se déclinent avec différents matériaux tels que le bois, le plexiglas translucide ou l’inox. Peints ou miroitants, ces objets en trois dimensions font écho aux formes des peintures accrochées aux murs provoquant des reflets, des interactions avec le contexte environnant qui ouvrent l’espace à des perspectives inattendues.
 
Les espaces ainsi transformés initient une rythmique visuelle décomplexée (à la fois héritière et détachée des théories picturales de Max Bill notamment) mêlant objets, peintures et dessin à l’adhésif qui dialoguent les uns avec les autres comme autant de points de vue multiples dont les couleurs minutieusement choisies et calibrées viennent souligner un jeu graphique avec l’architecture.
Par ces emboîtements visuels entre peinture, sculpture, objet et architecture, le travail de Stéphane Dafflon propose un point de vue à la fois original et radical sur la peinture abstraite, une peinture que l’on peut juger comme élargie, qui s’invente en dehors des supports classiques que sont la toile et le châssis pour instaurer une conversation spatiale et colorée plaçant le spectateur au centre d’un véritable dispositif pictural.
 
Diplômé de l’ECAL/École cantonale d’art de Lausanne en 1999, où il enseigne depuis 2001, Stéphane Dafflon vit et travaille à Genève. Il a notamment présenté des expositions monographiques au Centre d’art de Fribourg, au MAMCO à Genève, au FRAC Aquitaine à Bordeaux, à l’Institut d’Art Contemporain de Copenhague et à la Villa Arson à Nice.
Ses oeuvres sont présentes dans de nombreuses collections publiques, parmi lesquelles : Artothèque de Villeurbanne/Fonds National d’Art Contemporain – FNAC, Puteaux / FRAC Poitou-Charentes, Angoulême / FRAC Aquitaine, Bordeaux / frac île-de-france, Paris / FRAC Franche-Comté, Besançon / FRAC Pays de la Loire, Carquefou / Fonds cantonal d’art contemporain (FCAC), Genève / Fonds d’art contemporain de la Ville de Genève (FMAC)/ Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne / Collection Kunsthaus, Aarau, Suisse.
Il est représenté par les galeries : Air de Paris, Paris / Xippas, Genève, Montevideo, Punta del Este (Uruguay) /Francesca Pia, Zürich / Parra Romero, Madrid.
 
www.fraciledefrance.com
L’exposition bénéficie du soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture et du Fonds cantonal d’art contemporain, DIP, Genève.

Stéphane Dafflon, Vue d’ensemble AST296, AST294, AST300, AST298, ASQT 299 – 2017 ©Stéphane Dafflon – Photo : Annick Wetter

Entretien entre Stéphane Dafflon et Xavier Franceschi (directeur du frac île-de-France et commissaire de l’exposition)

Tu connais bien le Plateau pour avoir participé à une exposition – Un mural, des tableaux en 2015 – pour laquelle tu avais réalisé une intervention*, qui déjà intégrait tous les espaces du lieu. Quelles ont été tes premières idées lorsque je t’ai proposé d’y revenir pour cette fois une exposition personnelle ?
 
Le fait d’avoir utilisé l’ensemble des murs du Plateau m’a amené initialement à penser une intervention qui n’occupait aucun mur et se déployait essentiellement au plafond ou sur le sol. Cette proposition était assez stimulante et offrait une façon différente d’appréhender mon travail. Au final, ce projet était matériellement très compliqué à réaliser, puis après avoir étudié la configuration actuelle du lieu, il m’a semblé plus juste de revenir à une proposition murale.
* Pour Un mural, des tableaux, Stéphane Dafflon avait été invité à présenter PM062, pièce récemment acquise par le frac Ile-de-france.
 
Une proposition essentiellement murale, mais qui s’est échafaudée en prenant en compte tout l’espace du Plateau et sa dimension proprement architecturale… Procèdes-tu toujours de cette façon quand tu es invité à réaliser une exposition, à savoir envisager nécessairement ta pratique picturale dans un rapport à l’architecture où elle va pouvoir se déployer ?
 
Le plus souvent, tout dépend du lieu et des possibilités d’intervenir sur son architecture. Et effectivement, je pense la peinture dans un environnement « installé ». Lorsque je conceptualise une pièce, son accrochage et l’environnement dans lequel elle sera présentée sont tout aussi importants. Le temps des expositions me permet de développer de nouvelles séries liées à des lieux et à des moments précis. C’est une manière de mettre à jour mes recherches.
 
Pour le coup, tu es donc parti de la réalité du lieu, je dirais même de l’état des lieux : celui que tu as pu faire comme suite à l’exposition précédente, celle de Pierre Paulin. Peux-tu nous dire les interventions, les modifications que tu y as apportées ?
 
J’ai conservé en partie la configuration que Pierre avait mise en place, dans l’idée d’un avant et d’un après. Mon intention était de transformer la manière dont les salles se succédaient les unes aux autres, la déambulation du spectateur et le rapport entre les oeuvres. L’ouverture dans le mur central m’a permis à la fois de conserver le mur existant, mais aussi d’appréhender à partir de ce point, le début et la fin de l’exposition.
Ce geste a défini l’élaboration de cette exposition. Il a été complété par un accrochage d’angle des pièces, imbriquant ainsi les différentes salles de l’exposition, une certaine forme de Tetris. Les parois devant les fenêtres ont été supprimées pour réintroduire la lumière du jour dans le lieu et le faire dialoguer avec l’extérieur.
 
Considères-tu cette ouverture panoramique dans le mur central comme une sculpture à part entière ?
 
Pour moi c’est une sculpture, mais intégrée directement à l’architecture.
 
Tu as donc aussi très vite pensé à un ensemble de peintures murales qui viendrait épouser certains murs en « all-over ». Ces peintures murales sont en réalité des adhésifs imprimés collés à même le mur. Tout d’abord, comment as-tu conçu les motifs de ces pièces ?
 
Suite aux modifications architecturales, j’ai défini plusieurs nuanciers que je voulais utiliser pour les teintes des pièces qui allaient se déployer dans l’exposition. Il m’a paru important que cette étape soit également visible.
 
Ces grands adhésifs jouent donc le même rôle que les peintures murales, telles que tu les as réalisées jusqu’ici. Malgré tout, entre peinture réelle et production mécanique, quelle différence y vois-tu ?
 
C’est une technique qu’il m’est arrivé d’utiliser pour la réalisation de muraux, mais pour la première fois en « all-over ». L’adhésif est peut-être plus proche de la technique du papier peint, mais il l’est surtout de l’outil informatique sur lequel je travaille initialement : Et là, il n’y a pas eu ce moment où je dois interpréter les teintes que j’ai à l’écran dans la préparation de mes couleurs. Je l’utilise aussi lorsque le temps de réalisation est très court. Le nombre de teintes m’a amené à simplifier le mode de réalisation. L’adhésif est aussi un moyen d’évacuer une part de subjectivité et de prendre un peu de distance avec les couleurs.
 
L’une des caractéristiques de ton travail est effectivement de concevoir tes pièces systématiquement sur ordinateur préalablement à leur réalisation. Dirais-tu que c’est notamment cela qui te distingue de tes glorieux ainés, de certains des peintres abstraits minimalistes et géométriques qui t’ont précédé ? Comment te situes-tu par rapport à eux ?
 
Dans une continuité, j’essaie d’adapter ces recherches à des préoccupations actuelles, de mon quotidien et peut-être que de passer par un écran en fait partie.
 
Il y a une alternance entre ces muraux et des peintures sur toile, toutes nouvelles et produites pour l’occasion. Comment as-tu voulu jouer sur les deux « tableaux » ? Comment as-tu déterminé les motifs de ces toiles ?
 
Il s’agit des divisions d’un rectangle que j’ai effectuées afin de me rapprocher de la grille du nuancier des adhésifs muraux. Chaque tableau est une possible simplification de cette division même. Quant aux teintes, je les ai calibrées à partir d’une impression des adhésifs, ce qui a généré un filtre sur l’ensemble des teintes de l’exposition.
Etonnement, avec ce système que je pensais moins subjectif, j’obtiens des compositions qui font beaucoup plus référence à des motifs existants.
 
Il fut question un temps de ne présenter que des muraux réalisés en adhésif, ce qui aurait fait qu’aucune peinture réelle n’aurait été présente…
 
J’ai eu cette envie au départ, d’opter pour une technique plus industrielle. Il me semble que c’est aussi une façon de peindre mais sans le geste.
 
Au-delà de la construction rationnelle de tes pièces – muraux et peintures –, y a-t-il pour toi une volonté de déstabiliser ou tout au moins de perturber la perception du visiteur comme ce fut le cas dans certaines de tes expositions antérieures ? J’ai l’impression, alors que nous faisons cet entretien avant le montage de l’exposition, qu’il s’agira ici plus d’un jeu de vibrations, d’une proposition multicolore plus stable en quelque sorte…
 
Effectivement plus stable, car il n’y a pas de contraste fort. C’est le lien entre la succession et le croisement des œuvres ainsi que des salles qui va produire un jeu sur la perception, pas les œuvres en-soi.
 
On a souvent parlé d’une sorte de point de jonction entre le l’art et le champ du design à propos de tes interventions, avec cette idée que si valeur d’usage il y avait, c’était peut-être précisément dans cette façon de guider le visiteur dans un parcours donné. Comment réagis-tu à cela ?
 
Je ne sais pas si j’ai envie de le guider, je pense plutôt donner des impressions, libre à lui de s’en saisir. Il y a différents niveaux de lecture possibles. Par rapport au design, je pense que cette discipline m’a fourni des techniques, des outils, des modèles, mais surtout des solutions d’efficacité sur les formes dans le réel.
 
Quand on dit « vibration », on peut légitimement évoquer le champ de la musique et du son. Tu as
régulièrement fait ce parallèle à propos de ton travail. Est-ce que ce pourrait encore être le cas avec cette proposition ?
 
Plutôt que vibration, je préfère l’idée d’un rythme, d’une sonorité visuelle. Etant essentiellement des pièces accrochées dans les angles, elles peuvent faire penser à une onde d’échos d’un angle à l’autre.
 
On a parlé de sculpture et de fait tu en proposes certaines, nouvelles, directement reliées aux peintures présentes dans l’exposition. Peux-tu nous dire quelle aura été leur conception ?
 
Ce sont des sculptures élémentaires, composées de cadres tubulaires avec une forme géométrique simple, assemblés par des aimants. Elles sont présentes pour compléter le propos, pour accentuer certain lien entre les toiles et les adhésifs, et aussi en référence à des peintures que j’ai pu réaliser auparavant.
 
C’est amusant, parce que ce jeu de déconstruction/reconstruction que tu te plais à jouer régulièrement dans tes œuvres prend ici une autre dimension… Pour revenir à ce travail entre espace et perception colorée, il y a une pièce qui participe pleinement de ce rapport singulier mais sur un autre mode, par intervention de la lumière. Peux-tu nous en dire quelques mots ?
 
Je cherchais une transition entre la salle principale et la dernière, qui fait suite à un petit couloir, un peu sombre. Il s’agit d’une nouvelle pièce, composée d’une ampoule qui reproduit aléatoirement un spectre lumineux. Elle s’apercevra de l’extérieur de la salle, par une ouverture réalisée dans le mur. Une autre façon de rejouer ce nuancier.
 
Nous avons aussi parlé de rejouer une pièce que tu avais présentée consistant à perturber cette fois le dispositif lumineux existant…
 
C’est une pièce que j’apprécie car elle est très simple en soi. Il s’agit de V001 de 2004 qui avait été présentéepour la première fois au Spot. C’est un néon qui clignote aléatoirement à l’aide d’un variateur et qui reproduit lemoment où il doit être changé.
Le questionnement que peut provoquer une telle pièce m’intéresse.
 
Si les titres de tes oeuvres ont toujours une explication toute rationnelle (AST075 pour 75e acrylique sur toile, PM031 pour 31e peinture murale, etc.), le titre de l’exposition – U+25A6 – a lui une origine plus mystérieuse. Peux-tu nous la préciser ?
 
Je désirais un titre abstrait mais en lien avec l’exposition. Cela provient du langage Unicode, qui est un standard informatique qui permet des échanges de textes dans différentes langues. Dans ce code, U+25A6 correspond à une forme géométrique, le carré avec des hachures perpendiculaires, faisant pour moi référence à la grille.
 
Au-delà de ces outils, il a été dit que ton art était l’expression d’un monde électronique et numérique. Qu’en penses-tu ?
 
Effectivement à un certain moment, peut-être un peu moins aujourd’hui. La rapidité d’évolution de ce monde n’est pas vraiment en adéquation avec ma recherche de peintre qui, elle, reste malgré tout très lente. Ce qui est sûr, c’est que cela a influencé l’élaboration et la succession de mes pièces ainsi que l’ensemble de mon travail.
Mais il ne s’agit que d’une part infime de ce monde.
 
Quel est le rapport entretenu avec la notion de décor ?
 
Aucune notion péjorative en tout cas et il m’est difficile d’y échapper lorsque mon intention première, lors de l’élaboration de ce projet, était de produire un effet d’immersion spatiale chez les visiteurs.
Propos recueillis par Xavier Franceschi, directeur du frac île-de-France et commissaire de l’exposition
 
Exposition Stéphane Dafflon au plateau, du 1er février au 15 avril 2018 – 22 rue des Alouettes, 75019 Paris (Accès métro : Jourdain ou Buttes-Chaumont / Bus : ligne 26)
Exposition ouverte du mercredi au dimanche de 14h00 à 19h00
Nocturne chaque 1er mercredi du mois, Plateau-Apéro
Entrée libre
 
Photo : Œuvre de Stéphane Dafflon, AM012-AM013, 2017 © courtesy de Stéphane Dafflon et Air de Paris, Paris
 

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